Quelle image Emmanuel Macron veut-il envoyer sur sa fonction présidentielle ?
Par Gaal Dornick, Jean C
Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron prenait la parole par le biais d'une allocution télévisée, diffusée simultanément sur 11 chaînes françaises, afin d'annoncer les mesures de confinement destinées à lutter contre la propagation du Covid-19 qui ravage le monde entier. Une prise de parole qui marquera sans doute l'histoire par les mesures absolument inédites qu'elle transmet mais aussi l'exceptionnel score d'audience enregistré, près de 35,3 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie. Un total qui fait suite à 25 millions d'audience le jeudi précédent, où il avait annoncé la fermeture de nombreux établissements, et 22 millions lors de la prise de parole faisant suite aux manifestations des gilets jaunes. Si ces chiffres trouvent leur principale origine dans les circonstances exceptionnelles et critiques auxquelles les allocutions entendent répondre il n'empêche que l'actuel Président de la République en a fait sa marque de fabrique.
La Ve République, pour citer son fondateur le général De Gaulle se définit en premier lieu par « son esprit », la pratique présidentielle joue ainsi un grand rôle dans son évolution. Chaque président en activité modifie ainsi informellement notre Constitution par sa gouvernance. Ne nous y trompons en effet pas, c'est bien le chef de l'Etat qui dirige le pays dans l'immense majorité des cas, notamment par sa mainmise sur le Parlement avec le fait majoritaire(1) et celle sur le gouvernement, qu'il peut modifier à sa propre discrétion.
Ainsi l'étude de cette allocution record ne poursuit ni un but politique ni un but purement rhétorique mais cherche davantage à répondre à la question : qu'est-ce qu'un président de la Ve République française à l'heure actuelle ? Quelle image de cette fonction Emmanuel Macron veut-il entretenir ? Après près de 3 ans de mandat Emmanuel Macron a modelé la fonction à son image et sa réaction face à la plus grosse crise qu'il ait connu jusqu'à présent nous donne de nombreux indices de réflexion propres à répondre au moins partiellement à cette question.
UNE FIGURE D'AUTORITE
En premier lieu, il s'agira d'aborder le point le plus trivial, selon lequel Emmanuel Macron souhaite apparaître comme un leader incontesté. Il semble ne faire aucun doute que ce soit lui qui prenne les décisions les plus importantes, sans concurrence aucune. Il consulte ainsi les Présidents des assemblées, son gouvernement, et même ses prédécesseurs, mais la dernière décision lui revient.
Cette figure d'un organe décisionnel fort transparaît également avec l'usage prépondérant de la première personne du singulier, près de 45 fois dans l'ensemble du discours. Le Président apparaît ainsi omniprésent dans la gestion de la crise à laquelle le pays doit faire face. Sans verser dans une analogie mettant en scène M. Macron comme un roi et le Parlement et le gouvernement comme ses conseillers, il semble juste d'affirmer que l'actuel chef de l'Etat dispose d'une grande liberté dans l'exercice de son pouvoir et que les contreparties institutionnelles n'y sont pas strictement équivalentes. Bien sûr, l'urgence de la situation favorise une centralisation des pouvoirs pour un exercice plus rapide et efficace de ces derniers. Un exemple bien connu peut être cité avec le régime du dictateur romain, strictement règlementé mais toutefois incomparable à nos institutions. Il est notable cependant qu'en France cette transition se soit faite très naturellement sans besoin d'une quelconque procédure.
UN DECIDEUR AVISE
Malgré cette acceptation générale, le chef de l'Etat ne s'abstient pas pour autant de poser quelques garde-fous devant ses décisions.
Il s'appuie énormément sur un argument d'autorité bien connu, la science. Il place les « scientifiques » et les « experts » au centre de son argumentaire. De fait, ils apparaissent comme des moteurs des choix du Président. Ces termes utilisés à plusieurs reprises sont certes généraux et ne précisent rien mais ils octroient au chef de l'Etat une légitimité immédiate.
L'évocation de ces autres sources de conseils, compétentes qui plus est, décharge Emmanuel Macron d'une part de la responsabilité de la décision, en ce qu'elle la rend collégiale. Ainsi, la décision semble justifiée, dictée par le bon sens.
En effet, la pression point. Non pas celle des institutions, mais celle de l'opinion. A l'heure d'internet, les modes d'expression se font plus simples et accessibles à tous. Les scandales naissent et s'embrasent avec une rapidité inédite. La pression ne s'exprime pas dans l'Hémicycle, mais sur les réseaux sociaux ou dans la rue.
A ce titre un chef de l'Etat doit donc avoir le contrôle de sa communication, et soigner ses prises de paroles. Pour gouverner pleinement il doit avoir le soutien de l'opinion, a minima du moins, et cherche à se prémunir d'éventuelles attaques en prenant soin de justifier son mode de décision.
UNE INTIMITE AVEC SES CONCITOYENS
Le Président de la République adopte également une posture de proximité avec ses interlocuteurs. Il s'adresse directement à ses citoyens et il s'y adresse en personne. La mise en scène également, si elle garde une part de solennité, présente un penchant intimiste. Un plan fixe sur le buste du locuteur sans élément apparent entre ce dernier et le spectateur, un ton direct et un regard fixe, l'on se surprendrait presque à lui répondre au détour d'une fin de phrase. Cette mise en scène est relativement nouvelle et supplante le traditionnel texte ou pupitre dans la plupart des discours. Elle n'est pas le fruit du hasard, et donne au chef de l'Etat une posture paternaliste non sans la présence de la solennité liée à la fonction.
Cet aspect paternel s'accentue encore lorsqu'à plusieurs reprises il rappelle à ses concitoyens le sens de la responsabilité à adopter. Plus encore dans un passage pour le moins surprenant au sein duquel il expose un véritable guide du confinement, avec des propositions d'occupations ou des comportements à ne pas adopter. La distance se réduit une fois de plus, l'allocution prend la forme d'une discussion banale entre deux connaissances.
Le chef de l'Etat combine ainsi un ton autoritaire et affirmé avec une proximité voulue avec ses interlocuteurs.
Il donne également rendez-vous aux français ultérieurement, presque comme si l'allocution était une émission par laquelle les citoyens confinés prenaient information des évolutions de la situation. Par ce biais, il prend le contrôle de l'information, en se posant comme son seul garant viable, à l'encontre des « faux sachant ».
L'allocution devient incontournable, le seul moyen viable de s'informer par rapport à la crise en cours et, par extension, le Président un repère.
Un Président de la Ve République selon la pratique présidentielle opérée par Emmanuel Macron semble donc vouloir être le chef de l'Etat incontesté, et lors de la crise, il cherche à se poser comme un repère pour les citoyens et à créer une image de proximité avec eux. L'actuel chef de l'Etat tâche d'associer une figure d'autorité aux moyens de communication contemporains.
(1) Fait majoritaire : fait selon lequel la couleur politique du gouvernement et du Parlement concordent. Depuis le passage du septennat au quinquennat de 2000, l'élection présidentielle est suivie des élections législatives, phénomène qui permet presque à coup sûr au Président élu de disposer d'une majorité correspondante au Parlement.
Sources :
« Adresse aux Français, 16 mars 2020 ». elysee.fr, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-covid19.
« Allocution de Macron : 35,3 millions de téléspectateurs, un record absolu ». RTL.fr, https://www.rtl.fr/actu/politique/allocution-de-macron-35-3-millions-de-telespectateurs-un-record-absolu-7800267909.