Qu'est-ce que, Pourquoi et Comment Penser : (Bref) Retour à Descartes (1/3)
Qu’est-ce que penser ? Pourquoi penser ?
Cette question a de quoi paraitre étrange, curieuse, saugrenue et à juste titre elle l’est. Pourtant elle n’a jamais été autant d’actualité. Et pour cause, les nombreux débats :
Politiques (sur la manière de penser ou de repenser le modèle sociétal, de la France par exemple).
Ethiques (sur ces grandes questions que sont la GPA, le suicide assisté ou la Pédophilie quant au statut de l’enfant par exemple).
Moraux (avec le courant « me-too » sur le problème du statut du harcèlement et des violences sexuelles faites aux femmes entre autres).
Ou encore les luttes d’informations (dans le cadre direct des conflits idéologiques affichées comme entre Washington D.C et Téhéran par exemple).
Ces nombreux débats, semblent, paradoxalement, non pas nous pousser vers le temps de la réflexion mais au contraire vers l’action concrète et immédiate (d’où résultent des tensions, des tensions aggravées, comme par exemple entre la justice des tribunaux et la justice de la rue).
Et cela s’explique du fait que les « effets » / les « applications » / les évènements « mondains » (du monde) ne peuvent attendre. Ils façonnent et constituent notre monde (monde humain, animal même et physique à une autre échelle).
La vie, la vie politique dans le cas présent, est une de celle qui se doit de s’inscrire dans un temps long (un temps pensé et résultante de processus de pensées) et qui, en même temps, tâche de régler la vie courte, la vie quotidienne, une scandée par ses aléas (une modalité du temps qui ne peut « prendre le temps », une suite de succession qui requière l’application d’un certain ordre / processus pour le « régler »).
Penser s’inscrit, dès lors, sur la base de cette apparente opposition entre deux modalités de la vie (dans ses multiples facettes et acceptations) et dont il s’agira, dans un premier temps, dans ce premier mouvement, de revenir et d’envisager la perspective pragmatique de Descartes à la grande question, question majeure selon les dires d’Heidegger, « Qu’est-ce que penser ? ».
L’acte de penser, que Descartes nomme « une patiente réflexion » a une double finalité : Penser a pour finalité la Sagesse (qu’il nomme également « Souverain-Bien », à la manière d’Aristote) et le Savoir. Ou plutôt le savoir qui nous permet, par la suite, par l’acquisition et l’examen des choses du monde, y compris des maximes morales, de parvenir à être sage.
Seulement, en attendant d’acquérir ce savoir, il nous faut nous contenter de règles que l’on sait imparfaites pour vivre, mais que nous suivrons en attendant de trouver mieux, c’est la « morale par provision » (3ème partie du Discours de la Méthode).
Notons ainsi que les deux sont liés puisque la sagesse se caractérise, « au final », par son utilité, c’est-à-dire que le savoir qu’elle renferme a des applications pratiques : Les 3 grandes branches de « l’Arbre de la Philosophie » que sont la mécanique (les techniques), la médecine et la morale ; de ce fait, la sagesse en est l’aboutissement, c’est l’arbre arrivé à « maturité ». La sagesse constituant l’objet d’étude de la philosophie, c’est une science à part mais essentielle. En fait, c’est une science à part mais constitutive de toutes les autres.
L’acquisition de la sagesse (alors comprise comme accomplissement de la pensée) se fait en 4 temps, chacun visant le Souverain-Bien :
Acquisition de « notions claires et évidentes ».
Acquisition de « tout ce que l’expérience des sens fait connaitre ».
Acquisition des notions par des discussions avec d’autres hommes.
La lecture des livres des « honnêtes gens ».
Aussi penser n’est-ce pas, selon Descartes, suivre un chemin déjà tracé mais le tracé soi-même. C’est accepter de prendre des voies douteuses en attendant d’être en mesure de connaitre les bonnes, bonnes voies qu’on en connaitra que plus tard, qu’après le long examen qu’elles requièrent[1]. Penser, c’est d’abord penser contre, pour, ultérieurement, penser pour.
Penser, c’est vivre avant d’avoir trouvé des réponses car celles-ci ne s’obtiennent qu’au bout d’un long cheminement intellectuel, qu’au bout d’une vie qui épouse la forme de la pensée. En cela, on peut affirmer qu’on ne finit jamais vraiment de penser tant qu’on vie car la forme de la pensée épouse celle de la vie. Penser, c’est donc apprendre la patience et tirer des leçons de ses expériences ; penser, c’est vivre, tout simplement !
La philosophie, la discipline qui se veut, par excellence, celle-là qui prend pour objet d’étude le Souverain-Bien, est donc celle-là en laquelle la pensée trouve son aboutissement.
Aussi, être philosophe / être cartésien, c’est (comme le rappel Denis Moreau, un grand commentateur de ce dernier) : « vouloir bien penser et essayer de s’en donner les moyens, tenter de vivre heureux même si nous ne savons pas très bien ce qu’il faut faire pour y parvenir, avancer sans pour autant se précipiter, apprendre qu’on ne philosophe pas gratuitement et dans une éternité abstraite ».
Et dans une Lettre à Mersenne du 27-07-1638, Descartes écrit expressément ce qu’est que philosopher : « Bien philosopher consiste à effectuer un parcours qui part du fondamental (la métaphysique) et va vers l’utile, … de répondre à la question « que faire ? … (philosopher) c’est être utile à celui qui la pratique, un homme concret et de part en part traversé par le temps qui scande sa vie ».
[1] Nous y reviendrons plus longuement ultérieurement.
Sources :
Cassan Élodie, « La raison chez Descartes, puissance de bien juger », Le Philosophoire, 2007/1 (n° 28), p. 133-145. DOI : 10.3917/phoir.028.0133. URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2007-1-page-133.htm
Rabouin David, « Mathesis universalis et algèbre générale dans les Regulae ad directionem ingenii de Descartes », Revue d'histoire des sciences, 2016/2 (Tome 69), p. 259-309. DOI : 10.3917/rhs.692.0259. URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-des-sciences-2016-2-page-259.htm
Rabouin David, « Annexe II. Essai bibliographique sur la mathesis universalis chez Descartes et Leibniz », dans : Mathesis universalis. L’idée de « mathématique universelle » d’Aristote à Descartes, sous la direction de Rabouin David. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Épiméthée », 2009, p. 367-374. URL : https://www.cairn.info/mathesis-universalis--9782130570882-page-367.htm
Warusfel André, Euler : les mathématiques et la vie, Vuibert (Paris) 2009.
René Descartes, Règles pour la Direction de l’esprit, Livre de Poche, Paris, 2016
René Descartes, Discours de la Méthode, GF, Paris, 2016
René Descartes, Lettre Préface aux Principes de la Philosophie, GF, Paris, 1996
René Descartes, Correspondance avec Elisabeth et autres lettres, GF, Paris, 2018