terra bellum

View Original

Richelieu : le refus de « l’État dans l’État »

Le cardinal de Richelieu au siège de La Rochelle - Henri-Paul Motte, 1881

Le 12 août 1624, Armand Jean du Plessis de Richelieu, cardinal de l’Église catholique romaine, devient principal ministre du roi Louis XIII de France. Il succède au duc de Luynes, favori et ami du souverain. Ce bourreau de travail – ecclésiastique sans vocation mais dévoué à sa tâche – subit alors la méfiance d’un roi qui a déjà eu affaires à lui par le passé dans les frondes nobiliaires qui opposaient le monarque à sa mère, Marie de Médicis. Mais rapidement, il va gagner les faveurs du suzerain par son habilité et son génie politiques comme diplomatiques. Son œuvre, articulée autour de trois axes, est d’une simplicité christique : promotion du catholicisme romain comme seule religion de France, centralisation étatique au profit du roi et rayonnement du pays à l’international contre les empires autrichiens et espagnols. En somme, des objectifs qui guideront la Nation vers l’hégémonie européenne pendant des siècles. Son rôle capital dans la répression des places fortes protestantes – dont la plus célèbre était La Rochelle – raisonne singulièrement avec notre époque où des bastions religieux factieux et séditieux menacent l’unité de la République française.

En quoi le cardinal de Richelieu permet-il de mieux comprendre le problème religieux contemporain auquel la France est de plus en plus confrontée ? Son œuvre politique et religieuse peut-elle devenir un élément d’inspiration, ou au contraire une dérive à écarter ?

Un grand homme d’État au service de la France catholique et royale

Le futur cardinal de Richelieu serait né à Paris le 9 septembre 1585, alors que les guerres de Religion (1562-1598) entre catholiques et protestants faisaient rage dans tout le Royaume de France. Issu d’une vieille famille aristocratique ruinée, il est d’abord destiné à une carrière militaire. Mais l’engagement monastique de son frère aîné condamne cette perspective, l’obligeant à s’occuper de l’évêché de Luçon, seule et unique source de revenus de sa famille. Dévoué à son nouveau travail ecclésiastique, il est l’un des premiers à faire appliquer les réformes catholiques du concile de Trente en France. Déjà, à l’échelle locale, il lutte contre le protestantisme. Élu aux États-Généraux de 1614, il devient le porte-parole de l’Assemblée, faisant son entrée en politique. Favori de la reine-mère, son ascension est contrariée par les conflits récurrents entre le monarque et sa génitrice. De plus, il est rapidement discrédité par un gouvernement royal hostile.

Malgré son passé de frondeur, Richelieu est imposé au roi Louis XIII par sa mère, en 1624. Mais rapidement, la méfiance du souverain à l’égard de cette « Éminence » s’estompe car ce dernier a des projets radicaux en faveur de la Couronne : imposition de la religion catholique comme seule légale, centralisation étatique au détriment des nobles puissants et insoumis, ainsi qu’une lutte acharnée contre les ennemis espagnols et autrichiens appartenant à la dynastie européenne des Habsbourg, contre laquelle la France est en conflit depuis François Ier et Charles Quint. En cela, il s’oppose à sa protectrice ; le « parti dévot » voit l’Autriche et l’Espagne comme les seules puissances capables de faire triompher le catholicisme en Europe et dans le monde. Pire encore, le Cardinal est partisan d’une politique internationale pragmatique induisant des alliances avec des puissances protestantes ! La « créature » s’émancipe tant et si bien que le roi préférera exiler sa propre mère que de renvoyer son premier des ministres.

Concernant sa politique intérieure et religieuse, Richelieu hérite d’une situation complexe, elle-même léguée par l’ancien roi Henri IV et son édit de tolérance proclamé à Nantes (1598). Les Protestants sont maîtres de places fortes militaires et jouissent de privilèges comme celui de commercer librement avec des pays ennemis comme l’Angleterre anglicane. Ils forment un « État dans l’État ». Leur capitale, La Rochelle, peine à se soumettre à une autorité royale qu’elle ne reconnaît guère plus. Mis plusieurs fois en déroute contre les forces protestantes, Louis XIII est plus que timoré face à une relance de la répression. Mais Richelieu lui affirme que c’est la seule voie politique possible vers l’unité, l’autorité et la souveraineté. L’influence anglaise qui soutient les mouvements séditieux le convainc de contre-attaquer.

Le siège de La Rochelle, nécessité politique ou dérive ?

Dès mai 1621, le bastion protestant de La Rochelle avait proclamé son indépendance. Inspirée par le modèle politique des Provinces-Unies (Hollande actuelle) et de Genève, elle s’organise en une république marchande : « la Nouvelle République de La Rochelle ». Pour Richelieu devenu ministre, il faut immédiatement couper la « tête du dragon », pied-à-terre potentiel du protestantisme en France, soutenue par Londres et La Haye. Du Roi, il obtient le commandement militaire opérationnel et mène ses 20 000 hommes aux portes de la ville renégate. Le siège est posé.

Bientôt, des troupes anglaises débarquent sur l’île de Ré voisine et viennent renforcer les défenses de La Rochelle. Conscient de sa faiblesse navale, le Cardinal ordonne la création d’une gigantesque digue, longue de 1 500 mètres, haute de vingt et constituée de navires coulés et remblayés, armés de canons pointés vers la mer. Par deux fois, les navires anglais vont être repoussés. La ville protestante n’aura plus de soutien extérieur… Richelieu invite alors les femmes, vieillards et enfants à quitter les murs, mais ceux-ci mourront de faim et de soif dans l’arrière-pays. Après plus d’une année de siège, le gouvernement rochelais se rend. Avant le conflit, la Cité comptait 28 000 habitants. Au moment de la reddition, elle n’a plus que 5 400 survivants. Si les lieux de culte protestants sont toujours tolérés, un gouvernement royal et catholique y est installé pour soumettre les environs. Les prisonniers et rebelles sont amnistiés.

Par son siège-éclair de La Rochelle, Richelieu vient de soumettre le dernier bastion protestant sur la côte Atlantique. L’autorité religieuse et royale est restaurée, il n’y a plus « État dans l’État ». Mais la soumission de la ville charentaise n’est qu’un début : Richelieu va mettre à profit cet exploit pour soumettre les seigneurs provinciaux et renforcer la puissance de l’État français partout à travers le royaume. D’aucun est amené à s’interroger sur la nécessité d’un tel massacre, la ville rochelaise ayant perdu plus de 80% de ses habitants en une seule année ! Outre le fait qu’une telle violence s’inscrit dans une société bien plus violente qu’aujourd’hui, ce fait d’armes contribue à dissuader et soumettre. Car la France est encore loin d’être unifiée. Même si le domaine royal est quasi-confondu avec les frontières du royaume, des privilèges, tolérances et autonomies locales sont encore légions. Or, pour une France encerclée d’ennemis (Angleterre, Espagne, Autriche…), la moindre sécession pourrait être fatale. Enfin, Richelieu a pleinement compris le processus centralisateur en place depuis Hugues Capet et qui tend à imposer l’autorité étatique française sur les libertés publiques séditieuses et locales. Avant le philosophe anglais Hobbes et son Léviathan (1651), le Cardinal vient de faire montre du « monopole de la violence et de la force » propre à tout État et à toute souveraineté.

Conclusion et mise en perspective

Le cardinal de Richelieu est un des grands artisans de l’État français moderne. À travers sa politique d’unité religieuse et politique, il a démontré la nécessité à recourir à la violence pour reprendre des territoires autoproclamés indépendants. Car « la force et la violence ont donné source et origine aux Républiques » (Bodin, Les Six Livres de la République – 1576), celle-ci apparaît comme le propre d’un État sain et souverain. Sans force, sans volonté politique ni résolution, des revendications naissent, se développent et détruisent une unité pensée si puissante. Cette leçon d’Histoire de France est à mettre en perspective avec les troubles politiques et religieux que connaît la France depuis des décennies. L’État-nation français s’est construit autour de deux piliers fondamentaux : l’Église catholique romaine et le Roi, qui donnera la Nation. Il n’a jamais toléré, ni ne doit tolérer de dissensions ou de factions. Annexion de la Normandie anglaise par Philippe-Auguste, écrasement de l’hérésie cathare dans le Languedoc par Louis VIII, persécution des Protestants par Louis XIII, Richelieu et Louis XIV, répression des insurrections fédéralistes en Vendée sous la République, mise au pas des minorités juives et protestantes par Napoléon Ier, écrasement de la Commune de Paris, toute l’Histoire nationale trahit une tradition d’autorité de l’État, tendant vers une unité nationale absolue autour d’un seul Peuple, une seule Loi, une seule Foi et un seul Souverain – l’État. Toute la question contemporaine demeure désormais dans la détermination des mesures à prendre pour soumettre aux lois de l’État français, les territoires séditieux et factieux qui fleurissent dans les périphéries immédiates de nos plus grandes villes…

Sources

Les Six Livres de la République, Jean Bodin (1576)

Le Léviathan, Thomas Hobbes (1651)

Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, Étienne Thuau (2004)