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Terra Cultura : Nietzsche contre le nihilisme

Friedrich Nietzsche est un des plus célèbres philosophes contemporains et paradoxalement le plus méconnu. C’est principalement en sa qualité de « précurseur du nazisme » qu’il est principalement renommé – à tort. La pensée de ce citoyen prussien est pourtant fondamentale pour comprendre la société nihiliste, consumériste et décadente dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Partisan de la « volonté de puissance », il demeure une lecture incontournable.

Frédéric Guillaume Nietzsche naît le 15 octobre 1844 en Prusse. De tradition protestante et de culture saxonne, il affiche pourtant une affinité de plus en plus prononcée pour les pays latins – dont la France – et favorisée par son amour de la civilisation grecque ancienne. Lecteur classique mais aussi moderne, il s’inscrit bientôt dans un double héritage ; celui des prédécesseurs philosophiques de Socrate d’une part, et celui de la pensée pessimiste d’Arthur Schopenhauer. Aux Grecs anciens, il reconnaît les mérites du courage, de la virilité, de l’esprit de conquête et du polythéisme. De son compatriote, il reprend et développe le vouloir-vivre essentiel à tout être vivant. À la croisée des chemins – entre Antiquité et Modernité – il accouche d’une œuvre monumentale et structurante : c’est l’avènement de la « volonté de puissance » nietzschéenne. Mais plus que tout, il définit son antéchrist, le « nihilisme ».

De la tradition philosophique grecque, Nietzsche reprend les valeurs citoyennes et politiques qu’il érige en modèle humain. Issu d’une famille protestante, il développe une critique poussée du christianisme qu’il juge avilissant et handicapant. Pour lui, le martyr du Christ et les valeurs de bonté défendues par l’Église sont un véritable « renversement des valeurs » qui voit l’avènement d’une société victimaire où les Faibles culpabilisent les Forts d’être puissants. Le courage, la vaillance et les conquêtes sont sacrifiées au profit de la piété, du renoncement personnel et de la dévotion aveugle. Mais le philosophe allemand voit dans la modernité une échappatoire avec le triomphe de la science et de la rationalité, l’amenant à affirmer que « Dieu est mort ». Pourtant, il ne peut se réjouir de la chute du divin et du sacré en cela que l’arrogance a fait naître une « fausse idée » : le « progrès ». Conséquence de la mort de Dieu : le péril nihiliste. L’amour de Nietzsche pour l’Antiquité grecque s’inscrit dans une période initiale de sa vie où il cherche à initier un mouvement de renaissance allemande en pleine crise nationaliste. L’exaltation des valeurs anciennes, qu’il juge nécessaire à l’édification d’une nation allemande, sera plus tard regrettée par son auteur qui verra le danger d’une Allemagne impériale sur le continent européen.

La mort de Dieu est un fait. L’Europe est de moins en moins chrétienne. Alors que Nietzsche pourrait s’en réjouir, ce dernier met en garde : au christianisme ne doit pas succéder le nihilisme. Ce courant de pensée majoritairement inconscient revient à nier la « volonté de puissance » propre à chaque être vivant. Chez Schopenhauer, le moteur du vivant était une force inconsciente désirant la survie – le « vouloir-vivre ». Pour son successeur, c’est le désir profond de domination qui guide les âmes. Accepter et embrasser sa volonté intrinsèque de puissance, c’est accéder à une quintessence quasi-divine. L’homme fort est celui qui accepte de dominer mais aussi de ne rien regretter. À la morale chrétienne, Nietzsche propose l’introspection et l’honnêteté intellectuelle : le « Surhomme » est celui qui accepterait de revivre son existence éternellement sans jamais demander à en changer la moindre souffrance. Ce modèle introduit ainsi le mythe de « l’Éternel Retour » comme principe moral absolu. Mais pourquoi proposer un tel héro des temps modernes ? Pour combattre le péril du nihilisme. Ce dernier peut se définir par la négation de la volonté de puissance par un être humain arrogant et déboussolé par la disparation de Dieu et ses principes moraux. Pour dépasser l’apitoiement et la perte de sens existentiel, l’Homme doit devenir le nouveau Dieu : le Surhomme. Mais cette ascension divine n’est pas exempte d’épreuves et d’adversité.

La pensée nietzschéenne reste étonnamment actuelle alors que la société multiplie les réflexes victimaires, expiatoires et repentants (antiracisme, féminisme, écologisme…). L’Homme occidental, confronté à la disparition du Dieu chrétien, s’est laissé mourir dans une logique mortifère et suicidaire. Alors que plus rien n’a de sens, à commencer par les mots (novlangue, écriture inclusive…), le message de Nietzsche demeure : accepter les souffrances de la vie et ses épreuves pour devenir le Surhomme – être divin pleinement assumé et dépourvu de regrets. Face au progressisme « émancipateur » pour qui les obstacles de la Nature sont un défi à perpétuellement dépasser (PMA, GPA…), le Surhomme se doit d’embrasser le monde dans toute sa complexité et sa fatalité funeste. Ainsi seulement, pourra-t-il affronter la perte du divin et le règne du relativisme nihiliste…


Sources :

Œuvres philosophiques de Friedrich Nietzsche (1872-1894)

L’innocence du devenir : la vie de Friedrich Nietzsche, Michel Onfray (2008)

Nietzsche l’Actuel, Julien Rochedy (2020)

Nietzsche et l’Europe, Julien Rochedy (2020)