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Terres rares : élément clé de l’espace géostratégique mondial  ? 

Exemple d’échantillons de terres rares (photo de Peggy Greb, US department of agriculture — http://www.ars.usda.gov/is/graphics/photos/jun05/d115-1.htm en date du 13/08/2016)

Article écrit par Guilhem G.

En 1945, trois chercheurs américains découvrent, dans les résidus de la fission de l’uranium, l’élément atomique n°61. Sur la proposition de l’épouse de l’un d’eux, ils décident de baptiser ce dernier le prométhium, référence à Prométhée, personnage mythologique connu pour avoir volé le feu aux Dieux pour le donner aux Hommes. Selon les chercheurs, la découverte de cette terre rare est comparable. 

Cette anecdote illustre toute l’importance qu’ont les terres rares dans la société thermo-industrielle. L’appellation « terres rares » regroupe 17 métaux aux propriétés physiques proches, servant dans la fabrication de nombreux produits à haute valeur ajoutée. Contrairement à ce que laisse penser leur nom, on en trouve en abondance dans la croûte terrestre. Seulement, ces minerais sont extrêmement dispersés sur le territoire mondial, et très inégalement répartis, ce qui rend leur extraction coûteuse et difficile.  

En 1992, Deng Xiaoping (le leader chinois de 1978 à 1992), en voyage dans le sud de la Chine, répondait à une question concernant l’importance stratégiques de ces roches. « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares. », explique-t-il alors. 

Rares de nom, ces roches le sont beaucoup moins dans le quotidien des sociétés modernes. Ces dernières en sont très dépendantes, ce qui fait des terres rares un élément géostratégique essentiel. Aujourd’hui, s’en passer est mission impossible. Ils sont au cœur de la transition énergétique, ce qui renforce leur importance dans la géopolitique internationale. D’autres secteurs comme celui de l’information ou du spatial voient également ces minerais comme un élément central de leur développement. La demande massive et croissante des terres rares depuis la numérisation des sociétés modernes a fait de ces dernières un élément et un défi majeur géopolitique et stratégique du XXIe siècle.   

LE QUASI-MONOPOLE DE LA CHINE, UN FACTEUR-CLÉ DE SON INFLUENCE GRANDISSANTE 

Avec seulement 50% des réserves de terres rares mondiales identifiées sur son territoire, la Chine en est de très loin le premier exportateur.  Plus de 90% des terres rares dans le monde sont ainsi exportées par la Chine de nos jours (97,3% en 2011). Cela s’explique par le fait que la Chine est l’un des rares pays à accepter les coûts très lourds en termes de pollution de l’extraction et du raffinage de ces matières premières.  

Une autre raison de cette domination tient au très faible coût de production des terres rares chinoises comparées aux terres rares occidentales, du fait d’une politique sociale chinoise moins rigide. En 2015, il n’y avait que deux sociétés dans le monde qui produisaient des terres rares en dehors du territoire chinois. Cette mainmise confère à la Chine un avantage géopolitique conséquent face à des pays importateurs rendus dépendants. 

La Chine profite de cette domination de différentes manières. D’abord, elle a, au début des années 2000, prétexté une préoccupation environnementale pour établir des quotas d’exportations vers les pays occidentaux, ce qui a entraîné une flambée des prix et ainsi un enrichissement chinois conséquent. Pour cette pratique, elle a été condamnée par l’OMC en 2015.  

Elle est parvenue à attirer des entreprises étrangères sur son territoire, les forçant ainsi à dévoiler leurs technologies et leurs méthodes de production, pour dans un second temps développer ses propres entreprises nationales et ainsi orienter son économie vers les technologies de pointe. Cette politique s’inscrit dans la volonté chinoise de s’affirmer comme l’une des toutes premières puissances mondiales. Cette volonté se retrouve notamment dans le projet 863, initié par Deng Xiaoping en 1986, qui vise à améliorer les capacités technologiques chinoises civiles et militaires.  

VERS UNE DIPLOMATIE DES TERRES RARES ?  

Les terres rares, et plus particulièrement leur concentration dans certaines régions du monde, ont un impact fort sur la diplomatie des États et les relations entre ceux-ci. C'est ce que symbolise la décision de la Chine, en 2010, de décréter un embargo des terres rares sur le Japon à la suite de tensions autour des îles Diaoyu-Senkaku, les deux étant revendiquées par les deux protagonistes, faisant d’elles l’un des points chauds des affaires diplomatiques asiatiques en mer de Chine orientale. 

Cet événement, en plus de créer une prise de conscience mondiale sur l'importance de ces ressources, a poussé les États à mettre en place une politique de souveraineté minérale, c'est-à-dire à s'assurer des approvisionnements en terres rares permanents. Cette question de l'approvisionnement, en particulier chez les pays ne disposant pas de ces ressources, est donc une question diplomatique importante, et un moyen de pression. Ces problématiques poussent les États à modifier leurs stratégies : le JOGMEC japonais, organisme chargé de l’approvisionnement du pays en matières premières énergétiques, a décidé de lancer depuis ces événements quarante projets d'exploitation de terres rares dans le monde entier, mais aussi de lancer des projets de recherche en recyclage.  

Mais l'économie japonaise n'est pas la seule à avoir pris conscience de la nécessité de mettre en place une politique globale par rapport à l'approvisionnement de terres rares. D’autres acteurs n’ont pas tardé à réagir, multipliant ainsi partenariats et alliances.   

L'Union Européenne fait des efforts dans cette direction. Bruxelles a d’ailleurs estimé que les terres rares étaient les minerais présentant le plus haut risque en matière d’approvisionnement. Pour assurer ce dernier, l’Union Européenne a décidé de « développer une diplomatie internationale » dans le domaine des matériaux critiques, basée sur des investissements miniers dans le monde, des investissements dans le recyclage de ces matériaux, mais surtout des recherches dans les pays de l’Union pour étudier les ressources présentes, notamment en Estonie, ou dans les pays scandinaves.  

La France a également passé des accords avec le Kazakhstan en 2011 afin d'étudier la présence de terres rares dans le sous-sol du pays. L’Allemagne a décidé en 2012 de la création d’une Alliance pour la sécurisation des matières premières, avec pour but d’assurer l'accès des entreprises aux terres rares, et de repérer les nouveaux gisements, pour y investir au plus vite.  

Les terres rares donnent également un poids géopolitique plus important à certains États. C'est notamment le cas de la Corée du Nord, qui disposerait sur son territoire, selon une étude de 2012 d'une société sud-coréenne, de ressources en terres rares deux fois plus importantes que les ressources connues actuellement dans le monde. En effet, le site de Jongju en abriterait 216 millions de tonnes. Ces chiffres ne sont que des estimations et doivent donc être traités avec précaution, mais cette nouvelle pourrait être un bouleversement pour l'échiquier géopolitique asiatique et mondial. Ces ressources attirent de nombreux États, comme la Chine ou la Corée du Sud, mais également les États-Unis.  

Cette donnée expliquerait-elle la récente détente amorcée par Trump envers le régime nord-coréen ? Les terres rares pourraient également favoriser l'émergence encore plus importante des BRICS sur la scène diplomatique, celles-ci étant en quantité dans les sous-sols de quatre de ces pays (Chine, Russie, Brésil, Inde), environ 70 % des ressources en terres rares actuellement recensées dans le monde.  

LES TERRES RARES : CANAL D’AFFIRMATION DE NOUVELLES ZONES STRATÉGIQUES CLÉS DANS L’ESPACE GÉOPOLITIQUE MONDIAL

On trouve des terres rares partout dans la croûte terrestre. Néanmoins, ce qui va déterminer l’importance du gisement est la concentration en métaux. Certaines zones concentrent des gisements gigantesques, mais de nouvelles zones encore peu exploitées sont en train d’émerger comme de potentiels gisements à grand rendement pour couvrir la demande et la consommation globale durant tout le cours du XXIe siècle.  

La première zone à fort potentiel en termes de concentration, d’extraction et d’exploitation de terres rares est la zone Arctique.  

Cette région, à l’intérieur et aux abords des délimitations du cercle polaire arctique, cristallise les intérêts croissants des grands acteurs internationaux. Il est possible que l’Arctique devienne, d’ici l’horizon 2030, une route commerciale très prisées des grands exportateurs de produits manufacturés que sont les pays industrialisés d’Asie, en direction du marché européen. L’ouverture de cette route commerciale marquera le début d’une exploitation à grande échelle des ressources du pôle nord, en l’occurrence une exploitation de terres rares.  

Tous les grands acteurs internationaux souhaitent s’y implanter et chacun a déjà commencé à placer ses pions pour s’assurer une indépendance énergétique à travers ce nouvel eldorado. D’abord, la Chine, qui a commencé dès 2008 à racheter des parts de marché dans l’industrie d’extraction islandaise lorsque cette dernière était au plus bas à cause de la crise financière. De même qu’avec le Portugal ou la Grèce, la Chine a su profiter d’un certain abandon de l’Europe envers l’Islande pour y investir significativement, assez pour s’ouvrir la route aux terres rares présentes en Arctique.  

Une seconde zone présente un potentiel pertinent aux yeux des acteurs du secteur : l’espace maritime. En 2018, une équipe de scientifiques japonais a découvert un gisement de terres rares non loin des îles Minamitorishima et Iwo Jima. Ce gisement est tellement énorme, qu’il est estimé que son exploitation pourrait, au rythme de consommation actuelle, couvrir la consommation globale de terres rares sur plusieurs siècles. Il comporterait 16 millions de tonnes de terres rares. Son exploitation constitue pour le Japon une opportunité de s’assurer une indépendance énergétique après plusieurs décennies à la merci du bon vouloir du voisin chinois. Voisin chinois qui a, par le passé, déjà coupé les robinets d’approvisionnement. Peut-être la découverte de ces gisements remettra-t-elle en cause la position dominante chinoise et poussera l’Empire du Milieu à accentuer la pression sur les Japonais.  

La troisième zone à intérêt significatif est l’espace extra-atmosphérique. Les États-Unis, la Chine et l’Inde sont les puissances les plus avancées pour l’exploitation spatiale de ressources. Que ce soit à travers des programmes gouvernementaux ou à travers des entreprises. Deux candidats dans notre voisinage spatial sont sérieusement envisagés, l’un sur une échelle de temps envisageable avant la fin du siècle, l’autre relevant uniquement de la supposition pour l’instant. La Lune est la première à être considérée par les acteurs internationaux. L’administration Obama signe en 2012 le Commercial Space Launch Competitiveness Act. qui permet à n’importe qui d’exploiter les ressources spatiales tout en les reconnaissant comme ressources universelles de l’humanité.  

Cette loi a donné une impulsion aux entreprises spatiales américaines comme SpaceX ou Blue Origin. De plus, elle ouvre la porte à l’exploitation à grande échelle des ressources spatiales décrites comme abondantes. Notre satellite sera donc sûrement le premier objet spatial à être exploité par l’humanité pour ses ressources, notamment ses terres rares. Les trois grands acteurs cités ci-dessus sont d’ailleurs déjà en pleine préparation, comme le montre l’alunissage d’un robot chinois sur la face cachée. La NASA a, quant à elle, pour projet de s’installer à long terme avant 2025. 

Le second candidat, qui doit néanmoins être vu comme peu probable dans un futur proche, est la ceinture d’astéroïdes (2 à 3,5 unités astronomiques). Le raisonnement est simple : il y a tellement d’astéroïdes dans la ceinture de Kuiper que des centaines, voire des milliers pourraient regorger de terres rares (on compte environ 1 700 000 astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre). Le rendement pourrait être colossal et l’exploitation pourrait attirer nombre d’acteurs cherchant à s’assurer une indépendance énergétique sur le très long terme, même si on parle là d’échelles de temps et de manque de technologies bien trop importants pour assurer l’idée même d’un projet.  

Au-delà de la dimension géostratégique de l’utilisation des terres rares dans les sociétés post-industrielles, il y a également une dimension écologique évidente qui mériterait d’être traitée. De par leur dispersion, les terres rares sont l’une des matières premières les plus polluantes à l’extraction. Mais elles sont également le centre névralgique de la « transition énergétique » car utilisées dans énormément de technologies dîtes « vertes » (qui le sont beaucoup moins d’un coup). Le développement d’alternatives innovantes et du recyclage de masse de ces métaux sont les conditions sine qua none de cette transition. Avec une augmentation de 30% de la demande de terres rares entre 2017 et 2018, on en est encore bien loin.  

Sources :  

·         https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement-2016-2-page-34.htm : GUILLANEAU Jean-Claude, Les modes d’actions de la stratégie d’approvisionnement japonaise en métaux non-ferreux stratégiques, dans Annales des Mines – Responsabilité et Environnement 2016/2 (N°82), pages 34 à 38.  

 ·         https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-4-page-105.htm?contenu=article&fbclid=IwAR3VqXTP4PtO25-xBs-7OWEXj942ZGhpqTq8koSldq9HvvCNsN20H-Yhy2k : NIQUET Valérie, La Chine et l’arme des terres rares, dans Revue internationale et stratégique 2011/4 (n°84), pages 105 à 113.Mis en ligne le 24/02/2012. 

 ·         https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2011-4-page-87.htm : CHEVALIER Benoit, MICHEL Grégoire, Terres rares : la propriété industrielle, un élément stratégique pour la compétitivité de l’industrie européenne, dans Géostratégie 2011/4 (n°59) pages 87 à 97. Publié le 01/02/2012. 

 ·         https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2011-4-page-75.htm : CHRISTMANN Patrice, Les nouvelles ressources en minerais stratégiques, dans Géoéconomie 2011/4 (n°59) pages 75 à 86.   

 ·         https://la1ere.francetvinfo.fr/enorme-gisement-terres-rares-decouvert-au-sud-du-japon-5000-kilometres-nouvelle-caledonie-587247.html?fbclid=IwAR0sdigoZlnbgcawGR9_T6uNz7r49JABFnpmOqXsNK3o9Jp5eVHdG4up0s0 JEANNIN Alain, Un immense gisement de terres rares découvert au sud du Japon, à 5000 kilomètres de la Nouvelle Calédonie, pour France Info Outre-Mer, le 08/05/2018. 

 ·         https://www.youtube.com/watch?v=PJWmvkWerM8&t=1s : BUEB Julien, FOUESNANT Alexia, Chères Terres Rares, dans Le Dessous des Cartes, diffusé par Arte le 14/03/2015.  

·         DEGEORGES Damien, Terres Rares : Enjeu géopolitique du XXIe siècle Chine – Etats-Unis – Europe – Japon – Groenland, chez L’Harmattan, 2012.  

 ·         DU CASTEL Viviane, Les terres rares : entre défis géopolitiques et dépendance géostratégique ? France, Union Européenne, Groenland, Chine, Russie, Etats-Unis, chez L’Harmattan, 2015.