Allemagne, ennemi public n°1 (3/3)

 
Ouverture du Reichstag dans la Salle Blanche du palais de Berlin par Guillaume II

Ouverture du Reichstag dans la Salle Blanche du palais de Berlin par Guillaume II

 

France, 1914. Depuis maintenant trois décennies, le pays est meurtri de l’annexion d’une partie historique de son territoire, l’Alsace-Moselle. Face à elle, l’Empire allemand est devenu un géant ; démographique avec 60 millions d’âmes, économique en devenant la deuxième industrie mondiale, et bien sûr militaire avec une armée moderne et redoutable. Humiliée par sa défaite en 1870, la République française a noué de nouvelles alliances qui modèleront durablement le XXème siècle. L’Europe est au bord d’une série de guerres desquelles aucune nation ne sortira vainqueur… sauf peut-être l’Allemagne encore et toujours.

France-Allemagne, match retour

Depuis 1873 et l’évacuation des dernières troupes allemandes du territoire français, la Troisième République a modelé un nouveau pays. L’instruction publique, gratuite et obligatoire a formé les nouveaux cadres d’une nation nouvelle. Le service militaire pour tous a renoué le lien entre Armée et Citoyen. Les réalisations du Second Empire se sont poursuivies avec un accroissement et une densification du tissu industriel, ferroviaire, automobile, et même aéronautique en ce début de siècle. Même si elle n’égale pas ses voisins britanniques ou allemands en termes de production industrielle, le pays demeurant encore largement rural et agricole, la France est la troisième puissance économique et deuxième puissance militaire d’Europe. Depuis les années 1880, elle est même à la tête d’un gigantesque empire colonial que seuls les Britanniques surpassent.

L’Allemagne, quant à elle, domine le Vieux-Continent. Depuis son unification, l’Empire a multiplié les ambitions ; navales contre Londres et Washington, militaires contre Paris et Saint-Pétersbourg, coloniales contre la France et le Royaume-Uni. Sa puissance nouvelle inquiète. La France, désireuse de venger l’affront de 1870, a noué une alliance avec la Russie puis le Royaume-Uni dans un renversement historique, achevant un cycle d’affrontement franco-britannique de plusieurs siècles. La Russie, qui craint les ambitions allemandes sur la Pologne et l’Ukraine, ressuscite l’alliance franco-russe de Napoléon et Alexandre. L’Amérique se terre dans la neutralité et l’isolationnisme, n’aspirant qu’à l’équilibre des puissances en Europe.

L’étincelle viendra des Balkans et des tensions communautaires au sein de l’Empire autrichien. Les nations mobilisent et se préparent à la guerre. Par le jeu des alliances, la France et l’Allemagne vont s’affronter à nouveau. La Grande Guerre durera quatre ans. Au terme d’innombrables sacrifices matériels et humains, Paris recouvre les provinces perdues malgré l’opposition de ses alliés anglo-saxons. Ruinée, exsangue, la France est victorieuse mais ne pourra pas supporter de nouveau choc : l’Allemagne doit payer à tout prix. Georges Clemenceau, président du Conseil des ministres français, et son généralissime Foch veulent faire voler en éclats l’unité allemande, annexer ou vassaliser la rive gauche du Rhin et faire payer le million et demi de morts subi. Il faut faire taire le militarisme prussien qui anime l’Empire depuis 30 ans désormais. Mais les alliés anglo-saxons redoutent qu’à l’hégémonie allemande se substitue celle de la France. L’équilibre des puissances doit être maintenu, fusse-t-il au détriment de Paris et au bénéfice de Berlin.

« Ruinée, exsangue, la France est victorieuse mais ne pourra pas supporter un nouveau choc : l’Allemagne doit payer »

D’une guerre à l’autre, l’Allemagne comme ennemi héréditaire

Le traité de Versailles accouche d’un compromis mortel : l’Allemagne, coupée en deux, est accablée de tous les tords mais reste unie. La guerre est inévitable. De 1919 à 1924, la France va multiplier les pressions pour faire payer la nouvelle République de Weimar. Celle-ci réarme déjà pour venger l’humiliation de Versailles. Face à l’abandon anglo-saxon qui craint une hégémonie française en Europe, la France tombe dans la collaboration candide sous l’égide d’Aristide Briand et de la Gauche pacifiste. Elle ne voit pas les tractations et manœuvres souterraines d’une Allemagne revancharde et déterminée à vaincre l’arrogant coq gaulois. Elle s’en mordra les doigts…

« Le traité de Versailles accouche d’un compromis mortel : l’Allemagne, coupée en deux, est accablée de tous les tords mais reste unie »

Immanquablement, l’Allemagne prépare sa revanche. Le nazisme, ultime ersatz de l’esprit militaire, impérialiste et suprématiste allemand, parachève le processus. Les démocraties, affaiblies par les difficultés économiques et politiques, tolèrent les violations accrues du traité de paix. Pour l’Allemagne, la France est responsable de tous les malheurs et doit être matée. Ce sera chose faite en 1940. Mal commandée, l’Armée française est anéantie en quelques semaines malgré une résistance acharnée qui lui vaudra le respect de tous – ennemis comme alliés. Refusant une immédiate soumission, le gouvernement français dirigé par le maréchal Philippe Pétain, héros de Verdun, est contraint à la collaboration. Les ministres et administrateurs issus de la pensée briandiste s’engagent dans la docilité et l’acceptation de ce nouvel ordre européen qui se dessine. Seule une poignée de Français osent résister envers et contre tout.

Il faudra ainsi la pugnacité du général Charles de Gaulle, de ses Français libres et de la Résistance pour voir flotter à nouveau le drapeau tricolore en France. Animés par une rage de vaincre, les nouvelles armées françaises lavent l’affront de 1940 en allant jusque dans les traces de la Grande Armée : Ulm tombe le 24 avril 1945 et les troupes de la 2ème Division blindée du général Leclerc pénètrent dans la résidence privée d’Hitler dans les Alpes. La France est libre à nouveau et l’Allemagne définitivement vaincue, mais à quel prix ? L’Amérique domine l’Europe occidentale qui n’est plus qu’un vaste champ de ruines fumantes. L’Union soviétique fait de même à l’est. Un nouvel ordre mondial est né et celui-ci ne comprend pas le Vieux-Continent…

« Les ministres et administrateurs issus de la pensée briandiste s’engagent dans la docilité et l’acceptation de ce nouvel ordre européen qui se dessine »

Une nouvelle Europe américaine… et allemande

Europe, 1945. La paix est gagnée mais semble provisoire. Les deux géants américains et soviétiques se font face et tous redoutent un conflit où l’Europe sera de nouveau le champ de bataille. La Guerre Froide va ainsi durer jusqu’en 1991 et la chute du régime communiste russe. Elle ne sera jamais un conflit ouvert grâce au nouvel armement atomique et sa capacité de dissuasion. L’Europe dans tout cela ?

Remodelée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est un ensemble de pays comme autant de troupes auxiliaires à la puissance américaine ou soviétique. Sous l’impulsion des Américains, les Européens accouchent de la construction européenne. Destinée à garantir la paix, cette entreprise n’est qu’un ensemble d’actions destinées à soumettre les pays ouest-européens à l’ordre américain qui voit le continent comme une gigantesque poudrière immature. Pour Washington, le nouvel ordre européen doit reposer sur Londres et Berlin, Paris étant trop belliqueuse et fière. L’OTAN, la CECA, la CEE, l’UE ; autant d’instruments au service des États-Unis et qui favorisent la neutralisation des nations européennes par la soumission – la sortie de l’Histoire par la mise en sommeil. Et l’Allemagne dans tout ceci ?

« Remodelée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est un ensemble de pays comme autant de troupes auxiliaires à la puissance américaine ou soviétique »

L’Allemagne, consciente de son déclassement, fait front commun avec une Amérique conciliante qui sait calmer les ardeurs françaises. Si la France ne peut être soumise par la force, elle le sera par l’économie et l’industrie. Déjà au cours des années 1960, les Allemands sont la première puissance industrielle d’Europe. Pourtant, ils sont un nain militaire et politique ; une faiblesse que la France gaullienne saura exploiter pour tenter de soumettre Bonn. Ce sera un échec tant l’alliance atlantique est forte. Tant pis, la France fera cavalier seul au grand dam d’une Amérique embourbée dans la guerre du Vietnam. Il faudra attendre 1969 et le départ du général De Gaulle, trahi par les élites américanisées, pour voir la France rentrer dans le rang car avec la démission du héros de guerre, les héritiers de Briand et Laval reprennent du service. Dès lors, sous couvert d’Europe et de pacifisme, Paris devient le laquais d’une Allemagne à nouveau hégémonique au sein de l’Union européenne.

« L’Allemagne, consciente de son déclassement, fait front commun avec une Amérique conciliante qui sait calmer les ardeurs françaises »

Conclusion

Europe, 2020. Tout le continent est aujourd’hui dominé par Berlin qui a su, en allié fidèle des États-Unis d’Amérique, s’imposer face à son ennemi mortel et historique : la France. Avantagé par l’euro, sorte de Deutschemark 2.0, la République fédérale allemande multiplie les pressions contre ceux qui ne respectent pas les traités de rigueur et de bonne gestion imposés par l’Union européenne. La France, dirigée depuis 1969 par les fils spirituels d’Aristide Briand et Pierre Laval, donnent dans la collaboration servile, bradant un savoir-faire et une expertise technique sans équivalent mondial. Plus un jour ne passe sans parler de l’Europe ou d’une amitié franco-allemande à sens unique, mais jamais de la France. Guidée par le militarisme prussien, Berlin a su s’imposer tant sur le champ des armes que de celui de l’argent, aidé par un monde anglo-saxon conciliant et lui-aussi encore marqué par le traumatisme napoléonien. Tâche à la France aujourd’hui de s’émanciper, ce qu’elle ose encore assumer à l’occasion de crises diverses comme lors du conflit gréco-turc de 2020 par exemple…