Histoire constitutionnelle de la France (1/6)

 
Le Serment du Jeu de paume, A. Couder, 1848

Le Serment du Jeu de paume, A. Couder, 1848

 

La France est le laboratoire des régimes politiques. Dans le monde, aucun pays n’a connu autant de constitutions et de changements institutionnels que la France ; cinq républiques, deux empires, trois monarchies parlementaires, un grand nombre de gouvernements provisoires – sans compter l’Ancien Régime traditionnel. Du régime le plus libéral au régime le plus progressiste en passant par le plus conservateur, l’histoire constitutionnelle de la France est une mine riche des erreurs, essais et réussites du passé. Comprendre les institutions, c’est comprendre la politique française. Voilà pourquoi votre serviteur vous propose un retour sur ces régimes qui ont fait la France !

L’Ancien Régime, un chaos institutionnel ?

L’essentiel des changements institutionnels et politiques que connût la France eut lieu à partir de la Révolution de 1789. Celle-ci, souhaitant donner une constitution au pays, présuppose l’absence de règles, lois et institutions préalables – comme si ce qui deviendra l’Ancien Régime était vierge de toute tradition politique. Rien n’est plus faux.

Encore aujourd’hui, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est une monarchie dépourvue de constitution écrite. Est-ce à dire pour autant que nos voisins britanniques vivent dans une anarchie politique ? Bien au contraire. C’était ainsi la même chose pour le Royaume de France avant la Révolution. Vieille d’un millénaire, la monarchie traditionnelle française s’organisait autour de Lois fondamentales – ou coutumes – dont certaines remontent jusqu’à Clovis. Le droit de succession salique, la partition du royaume en ordres ainsi que le domaine d’application du pouvoir royal sont inscrits et définis par ces lois, elles-mêmes constituées d’ordonnances et édits successifs qui ont petit à petit construit la France. En revanche, il est vrai qu’il faudra attendre 1788 et la synthèse du Parlement de Paris pour voir ces lois regroupées sous forme de texte officiel, l’appréciation et l’interprétation étant auparavant déléguées à chaque parlement provincial.

Suivant cette déclaration du 3 mai 1788, la monarchie française dite plus tardivement d’Ancien Régime se définit par le gouvernement du roi qui est chargé d’appliquer les lois. Ces lois sont la succession salique excluant la gente féminine des droits à la Couronne (consacré par la guerre de Cent-Ans et l’indépendance dynastique vis-à-vis de l’Angleterre), la légitimité des États-Généraux à lever des impôts, la reconnaissance du particularisme juridique et coutumier des provinces, et l’esquisse d’une reconnaissance de droits publics accordés aux citoyens. La France est donc une monarchie traditionnelle décentralisée (voire fédérale) où le roi est à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il doit se soumettre aux lois – elles-mêmes considérées comme une émanation laïque des lois divines – selon la maxime « une foi, une loi, un roi » qui le subordonne. L’Ancien Régime est donc déjà institué selon des principes simples, clairs et précis qui laissent cependant une large part d’interprétation locale ou juridique.

« Vieille d’un millénaire, la monarchie traditionnelle française s’organisait autour de Lois fondamentales – ou coutumes – dont certaines remontent jusqu’à Clovis »

Les institutions politiques sous l’Ancien Régime

Comment fonctionne l’Ancien Régime ? Le Royaume de France est, à la veille de la Révolution, une monarchie de droit divin, coutumière et décentralisée. Même s’il n’existe pas réellement de séparation des pouvoirs, on distingue un gouvernement royal présidé par le monarque et constitué de différents conseils ministériels. Depuis 1661 et la mort du cardinal de Mazarin, la France a vu disparaître la fonction auparavant essentielle de Ministre principal (Premier ministre). Avant Louis XIV donc, le roi règne tandis que son ministre principal gouverne. Le Conseil du Roi, institué au XIIème siècle, dénombre une dizaine de ministres, tous responsables devant Sa Majesté. Ce gouvernement promulgue édits et ordonnances qui affectent le royaume et toutes ses provinces constitutives. Les lois ne sont appliquées que si elles n’entrent pas en contradiction avec le droit local.

Sous l’Ancien Régime, il n’existe pas d’assemblées, de chambres, ou de législatures permanentes élues. En revanche, depuis 1302, il existe une institution nationale qui porte le nom d’États-Généraux. Cette convocation – sur ordre du souverain – des trois ordres du royaume (Noblesse, Clergé et Tiers-État) a pour but d’acter des décisions capitales comme la levée de nouveaux impôts ou l’enregistrement de lois qui pourraient entrer en conflit avec le droit local. Mais cette assemblée extraordinaire ne fût plus convoquée à partir du règne de Louis XIV. En temps normal, c’étaient les Parlements provinciaux qui détenaient le pouvoir législatif et juridique. Le plus puissant d’entre eux, le Parlement de Paris, pouvait entrer en conflit avec la royauté – ce qu’elle fît de nombreuses fois ! En quelque sorte, la France royale était plus proche de la conception moderne de fédération que de l’État unitaire institué par la Révolution.

La déclaration de Mai-1788 incarne cet affrontement entre la monarchie et le Parlement de Paris qui rappelle au souverain ses droits mais aussi ses devoirs. Elle préfigure le mouvement révolutionnaire qui va éclater au printemps suivant…

« Le Royaume de France est, à la veille de la Révolution, une monarchie de droit divin, coutumière et décentralisée »

L’Assemblée nationale constituante : du budget à la forme de l’État

France, printemps 1789. Les mauvaises récoltes successives ont entraîné plusieurs famines à travers le royaume. L’intervention française en Amérique a ruiné l’État royal qui peine à faire contribuer la noblesse et le clergé qui jouissent de privilèges anciens. Sous l’impulsion du ministre Necker, Louis XVI concède la convocation des États-Généraux – une première depuis 1615 ! Face aux réticences parlementaires, nobiliaires et cléricales, le Conseil du Roi espère faire voter de nouveaux impôts pour réduire le déficit budgétaire et permettre le remboursement d’une dette colossale (80% du PIB). La 36ème édition des États-Généraux suscite un élan politique inédit dans une France désormais acquise aux idéaux philosophiques des Lumières et qui aspire à des réformes fondamentales. Les députés sont investis comme toujours d’un mandat impératif et non représentatif : ils sont chargés de transmettre les doléances de leurs baillages respectifs et non s’arroger le droit de parler en leur nom.

Versailles, 5 mai 1789. Les États-Généraux s’ouvrent sur la question budgétaire défendue par Jacques Necker, ministre des Finances et Principal ministre de Louis XVI (fonction restaurée sous Louis XV). Mais les députés du Tiers-État, inquiets que leur voix ne puisse être comptabilisée par tête mais bien par ordre, ce qui les isolerait face aux Nobles et Clercs, prennent rapidement la tangente en exigeant la mise en place d’une constitution écrite pour le royaume. Ces bourgeois, appuyés par certains nobles et clercs, remettent en cause la forme de gouvernement et désirent obtenir des concessions démocratiques. Louis XVI refuse et les députés rebelles forment alors l’Assemblée nationale constituante, le 17 juin 1789. Le conflit institutionnel sort du cadre légal avec la prise de la Bastille, involontaire pour les deux camps, le 14 juillet suivant.

L’Assemblée nouvellement formée défend la mise en place d’une monarchie parlementaire d’inspiration anglo-saxonne où le roi règne et les représentants du peuple gouvernent. Ces revendications, d’abord rejetées, sont acceptées par un souverain débordé par les exactions populaires. Le mandat représentatif succède au mandat impératif. La Nation n’est plus considérée comme une addition de provinces mais comme un ensemble d’individus – les citoyens. Ceux-ci sont faits égaux par l’abolition des privilèges (04/08/1789) et libres politiquement par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (26/08/1789). La constitution du 3 septembre 1791 transforme la France. La monarchie est désormais constitutionnelle, parlementaire et libérale. La souveraineté passe du roi à l’Assemblée nationale – représentation de la Nation. C’est la naissance du principe de souveraineté nationale. Les provinces sont supprimées, remplacées par les départements. Les Parlements, la torture, et les lois locales sont abolies au profit d’un droit national et unique. Les citoyens sont déclarés égaux en droit, en devoir et en dignité. Les privilèges, fiscaux notamment, sont abolis. Des réformes économiques sont menées et la liberté de culte est proclamée. L’Église n’est pas épargnée avec la mise en œuvre d’une Constitution civile du Clergé, actant la rupture avec le Pape et l’instauration d’un gallicanisme d’État. La France devient un État-nation moderne. Mais aux bouleversements majeurs répond toujours des événements majeurs…

« La souveraineté passe du roi à l’Assemblée nationale – représentation de la Nation »