Bab-el-Mandeb et la guerre au Yémen

 
Vue satellite du détroit stratégique de Bab-el-Mandeb (Crédits photos : la Nasa)

Vue satellite du détroit stratégique de Bab-el-Mandeb (Crédits photos : la Nasa)

 

Depuis septembre 2014, un conflit oublié se joue au Yémen. Ce pays de 27 millions d’habitants touché par la famine et les bombardements, s’enlise dans une guerre civile et régionale. En conséquence, on ressence des milliers de morts mais aussi l’effondrement d’un Etat. Malgré l’urgence, cette guerre silencieuse fait rarement la une à l’international, pourtant les risques sont nombreux et parmi lesquelles le blocage d’un nœud stratégique pour le commerce mondial : le détroit de Bab-el-Mandeb. 

SITUATION AU YÉMEN

Comme la Tunisie, l’Egypte ou la Syrie, le Yémen est secoué par une série de manifestations populaires lors des Printemps arabe en 2011. Sous la pression d’une partie du peuple et de la communauté internationale, le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 34 ans, est forcé de quitter son poste. C’est son vice-président Abdrabbo Mansour Hadi qui lui succède en février 2012 pour une période de deux ans. Mais ce processus de transition politique est mal ficelé et le vice-président se retrouve totalement bloqué. Un mouvement armé issu du nord du pays, la rébellion houtiste, l’achève en prenant le contrôle de Sanaa, la capitale, à partir de septembre 2014. Très vite, avec l’aide de militaires fidèles à l’ex-président Saleh, les rebelles s’emparent de la quasi-totalité du Yémen et menacent Aden, le grand port du sud. Le 25 mars 2015, le vice-président Hadi est forcé à l’exil en Arabie Saoudite. Cette dernière décide alors d’intervenir militairement au Yémen. Riyad craint l’alliance qu’a scellé son grand rivale régionale, l’Iran, avec les houtistes chiites. C’est alors Mohamed Ben Salman (MBS) qui va mener cette guerre. L’opération militaire est appelée « Tempête décisive », elle rassemble une coalition de pays arabes sunnites derrière l’Arabie Saoudite tel que le Maroc, l’Egypte, le Soudan. L’objectif est de défendre le gouvernement du président Hadi de tentatives de prise de pouvoir par les milices houtistes du Yémen. Une résolution du conseil de sécurité de l’ONU appuie cette opération militaire et les Etats-Unis fournissent de leur côté une aide logistique et des renseignements à Riad, même s’ils doutent de cette initiative. L’intervention saoudienne, qui ne devait durer que quelques semaines, s’enlise. À partir de l’été 2015, les principaux fronts ne bougent quasiment plus, l’Arabie Saoudite continue de bombarder depuis les airs, mais déploie peu de troupes au sol. Ce sont des forces yéménites principalement issu du sud du pays, qui font le travail. Au nord, partie la plus peuplée du pays, les houtistes cimentent le pouvoir. Alors qu’au sud, les zones libres sont divisées, violentes et animées par un fort mouvement séparatiste qui rivalise avec le gouvernement en exil.  

Depuis le début du conflit, les bombardements des armées saoudiennes ont été meurtriers pour les civils. Riyad a frappé des installations portuaires et des usines, mais aussi des bâtiments résidentiels, des marchés et des mariages. De leur côté, les houtistes se rendent aussi coupable de possibles crimes de guerre : ils bombardent notamment la ville de Taez et sèment des mines à travers tout le pays. Plus loin du front, l’effondrement de l’Etat tue aussi, plus discrètement mais plus surement. Au début 2018, un rapport d’experts de l’ONU affirmait que le Yémen en tant qu’état, avait pratiquement cessé d’exister. Dans les faits, le gouvernement yéménite ne distribue plus les salaires aux fonctionnaires des zones rebelles depuis septembre 2016. Une économie de guerre s’est implantée et les trafics se multiplient à travers les lignes de front.  

Les relations sont fortement affectées entre les pays de la région. En effet, à plusieurs reprises, des navires de guerres iraniens surchargés en armes et munitions ont été surpris dans des ports contrôlés par les rebelles houtistes. En réponse à cela, la coalition de l’Arabie Saoudite a placé de nombreux navires de guerre autour des côtes du Yémen pour empêcher tout approvisionnement de rebelles, mais surtout, protéger un emplacement stratégique majeur, un des couloirs de navigation les plus fréquentés au monde : le détroit de Bad-el-Mandeb.

LE DETROIT DE BAB-EL-MANDEB

L’année 1869 marque l’achèvement de la construction du canal de Suez. Ce dernier permet aux navires d’aller d’Europe en Asie sans devoir contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Esperance et sans rupture de charge par voie terrestre entre la mer Méditerranée et la mer Rouge. La construction et l’utilisation du canal de Suez impacte directement le détroit de Bad-el-Mamdeb. Situé plus au sud, il devient très rapidement le quatrième passage maritime dans le transport des hydrocarbures. En 2013, le détroit voyait passer chaque jour 3.8 millions de barils de pétrole brut ou raffiné (à comparer toutefois à Ormuz, 17 millions, et Malacca, 15.2 millions) pour atteindre 4.8 millions en 2016, et plus de 5 millions en 2017. Aujourd’hui, il voit passer 6 % du trafic mondial de pétrole et plus du quart du trafic de conteneurs. La largeur minimale du détroit est d'environ 30 km, entre la côte yéménite et Djibouti. L'île volcanique de Périm divise le détroit en deux canaux : le canal oriental, connu sous le nom de Bab Iskender (« le canal d'Alexandre ») mesure 3 km de large pour une profondeur maximale de 30 m, tandis que le canal occidental, ou Dact el Mayun, est large de 25 km et profond de 310 m. C’est par ce dernier que transite une partie des flux maritimes mondiaux. Les eaux du détroit appartiennent aux mers territoriales yéménites et djiboutiennes, mais le trafic y est réglementé par l’organisation maritime internationale (OMI). Avec la crise au Yémen, certains ports yéménites situés dans le sud-ouest du pays sont aux mains des rebelles. Ces derniers en contrôlent les flux de marchandises et d’armes en provenance de l’étranger et notamment d’Iran, mais surtout, sont susceptibles de préparer des attaques contre les navires civils et militaires postés dans la zone. Ainsi, Mocha, troisième port yéménite en importance, fut tenu par la rébellion entre 2015 et 2017 avant d’être repris par la coalition. Il est celui de la péninsule arabique le plus proche de Bab-el-Mandeb. Les rebelles houtistes ont plusieurs fois utilisés ces positions stratégiques pour lancer des attaques sur des navires de guerre ou de commerce naviguant au large. Le risque de perturbation du détroit est donc bien présent d’autant plus que des pirates somaliens mènent souvent des attaques sur des porte-conteneurs tentant de passer le détroit de Bab-el-Mandeb. Pourtant, l’éventualité d’un blocage prolongé est très peu probable, voire impensable en raison des intérêts de nations majeures (ou dont l’économie est directement impactée par la situation, comme Israël ou l’Egypte) présentes sur place avec des moyens navals et le cas échéant aériens conséquents. La coalition sunnite a déjà répliqué à de nombreuses reprises face aux attaques houtistes. Mais si à l’avenir ces dernières s’intensifient et menace les intérêts d’autres nations tel que les Etats unis ou l’Europe, la menace d’un conflit armé de grande ampleur dans la région reste à prévoir. À Djibouti, la France dispose d’une garnison, de matériel de reconnaissance, et de moyens aériens. Les Etats-Unis, l’Espagne, le Japon, et l’Italie sont aussi présent sur zone avec des soldats et de l’équipement. S’ajoute à ces forces armées terrestres les nombreuses flottes postées dans la région tel que « l’opération atlante » antipiraterie menée par L’Union Européenne, ou la coalition sunnite menée par l’Arabie Saoudite.  

Enfin, si le détroit est complètement bloqué par les tensions et combats dans la zone, les navires de commerce pourraient emprunter d’autres voies maritimes pour contourner le problème. Les flux d’hydrocarbure et de conteneurs passeraient alors par le sud de l’Afrique ou les Etats-Unis pour rejoindre l’Europe. Ce détournement empêcherait le blocage des flux, mais aurait tout de même des impacts importants sur le commerce international avec une hausse des prix à prévoir. 

Sources :  

Wikiversité : https://fr.wikiversity.org/wiki/Approche_g%C3%A9ostrat%C3%A9gique_des_espaces_maritimes_d%27aujourd%27hui/Routes_commerciales 

Iris : https://www.iris-france.org/57023-crise-au-yemen-les-enjeux-du-detroit-de-bab-el-mandeb/ 

Marine national : https://cesm.marine.defense.gouv.fr/images/BM/2018/BM210_MerRouge1.pdf 

Institut français de la mer : https://ifmmediterranee.files.wordpress.com/2018/09/le-decc81troit-de-bab-el-mandeb.pdf 

French.Almanar : https://french.almanar.com.lb/979541 

Zone militaire : http://www.opex360.com/2018/08/02/consequences-aurait-blocus-detroits-dormuz-de-bab-el-mandeb-leconomie-francaise/ 

http://www.opex360.com/2017/06/12/risques-accrus-pour-la-navigation-maritime-pres-du-detroit-de-bab-al-mandeb/ 

Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/270718/missiles-yemenites-dans-le-detroit-de-bab-el-mandeb 

TheatrumBelli : https://theatrum-belli.com/yemen-les-forces-de-la-coalition-reprennent-le-detroit-de-bab-el-mandeb/ 

Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Canal_de_Suez