Brève histoire de Taïwan : La République de Chine

 
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Lieu d’origine des civilisations austronésiennes, nous avons vu précédemment (voir article « Brève histoire de Taïwan : Des origines à 1945 ») que l’île de Taïwan est devenue un lieu de rencontre. Profitant des échanges économiques avec les puissances asiatiques et les empires européens de la région, l’île fut cependant aussi victime des ambitions impérialiste japonaises, espagnoles et néerlandaise. Mais c’est finalement à la Chine que revint l’île, victime collatérale des conflits intérieurs chinois opposant dynasties Ming et Qing, et qui resta sous sa domination pendant près de deux siècles, jusqu’à la défaite des Qing face au Japon en 1895. Taïwan passa alors entre les mains japonaises et y resta durant un demi-siècle, jusqu’en 1945, qui vit l’arrêt définitif (jusqu’à aujourd’hui du moins) de l’impérialisme japonais.

Tchang Kaï-check et la République de Chine à Taïwan

La défaite de 1945 déposséda le Japon de l’ensemble de l’empire qu’il s’était taillé en Asie et dans la Pacifique, Taïwan compris. L’île fut restituée à la République de Chine (« 中華民國 »), victorieuse du Japon et alliée des États-Unis alors gouvernée par le maréchal Tchang Kaï-check (« 蔣介石 », « Jiang Jieshi »), le 25 Octobre 1945. Malgré la déception de certains habitants qui espéraient une déclaration d’indépendance de l’île et une renaissance de l’éphémère « République de Formose », cette nouvelle fut globalement accueillie comme une « libération » par les taïwanais. Mais ces derniers déchantèrent très vite, voyant les élites locales systématiquement écartées par la nouvelle administration au profit de fonctionnaires venus du continent. Les ressources de l’île furent monopolisées dans la guerre menée en Chine continentale contre les rebelles communistes, et l’économie locale en pâti énormément, ce qui fit naître chez la population des rancœurs contre le gouvernement, se manifestant par des émeutes le 28 Février 1947. Le mouvement sera réprimé avec une extrême violence, et restera dans l’histoire sous le nom d’« Incident 228 » (« 二二八事件 »).

En 1949 le maréchal est vaincu sur le continent, les communistes de Mao Zedong (« 毛澤東 ») règnent sur la Chine continentale et proclament la « République Populaire de Chine » (« 中華人民共和國 ») le 1er Octobre 1949. Tchang Kaï-chek se réfugie à Taïwan pour échapper au nouveau régime qui se centralise à Pékin et continuer la lutte (dans un mouvement faisant penser à ce qui s’est passé 3 siècles plus tôt). Il centralise son nouveau gouvernement à Taïpei (en attendant de pouvoir regagner sa capitale, Nankin) et ne gouverne de facto plus que Taïwan et les îles qui l’entourent. Tchang Kaï-chek continue de considérer son régime comme la seule Chine légitime et revendique la souveraineté sur l’ensemble du territoire. Il sera accompagné dans sa fuite par près de 2 millions chinois, fidèles à son régime, qui s’installeront surtout autour de Taïpei et dans le nord de l’île, représentant entre 15 et 20 % de la population totale de l’île à cette époque.

La loi martiale est proclamée en République de Chine, que Tchang Kaï-chek dirige toujours d’une main de fer avec son parti unique, le Guomindang (« 國民黨 » ; « KMT »). Le maréchal réprimait toute forme de contestation, considérée comme la manifestation d’une trahison au profit des communistes du continents : c’est la « terreur blanche » (« 白色恐怖 »), qui sévira jusqu’à sa mort en 1975. Pendant ces 30 années de dictature, on compte près de 300 000 exécutions, intellectuels et élites taïwanaises étant particulièrement touchées. La population, terrorisée par ce régime, en venait presque à regretter les japonais.   

La dictature nationaliste et anti-communiste de Tchang Kaï-chek se caractérisa d’abord par une politique de sinisation de l’île, imposant le chinois mandarin « standard » dans tout le pays et interdisant les différents dialectes chinois parlés par la population (qui n’avait jamais parlé le mandarin, la majorité des chinois de Taïwan parlant différents dialectes du sud de la Chine distincts du mandarin comme le « min nan » ou le « hakka ») ainsi que les langues des aborigènes et, bien évidemment, le japonais. La politique de sinisation toucha particulièrement les aborigènes (désignés comme les « 高山族 », « gaoshanzu », « peuple des hautes montagnes ») qui n’eurent d’autre choix que d’intégrer la mode de vie et la culture chinoise, ce qui entraîna la quasi-disparition de leurs cultures et de leurs spécificités, ainsi l’exécution de nombreux chefs de tribus.

Alors que la République Populaire de Chine se préparait à conquérir Taïwan, son implication dans la guerre de Corée poussa les américains, qui la percevaient désormais comme un ennemi, à protéger la République de Chine et menacer la Chine Populaire d’une guerre ouverte en cas de tentative d’invasion, ce qui dissuadera le Président Mao. Les États-Unis reconnurent en 1951 le gouvernement de Taïpei, partenaire dans la lutte anti-communiste dans un contexte de Guerre Froide, comme seule Chine légitime et signent avec elle un traité de défense, autorisant par là-même le stationnement permanent de troupes américaines sur l’île. Le soutien américain ne suffira cependant pas à empêcher la reconnaissance de la Chine Populaire comme véritable Chine à l’ONU 20 ans plus tard, le 25 Octobre 1971, faisant ainsi perdre au gouvernement de Taïpei son siège dans l’organisation et son droit de veto qui lui avaient été accordés en 1945 au titre de sa contribution lors de la guerre face au Japon entre 1937 et 1945.

 

La démocratisation à Taïwan

Tchang Kaï-chek mourut en 1975, et son fils Tchang Ching-kuo (« 蔣經國 ») lui succéda à la tête du pays. Il en organisa une progressive libéralisation, suspendant finalement la loi martiale, reconnaissant certaines libertés individuelles et autorisant la création de partis politiques. En 1979 les États-Unis reconnurent officiellement le gouvernement de Pékin comme seule et véritable Chine, renonçant ainsi à reconnaître le gouvernement de Taïpei, ce qui ne les empêchera pas de se garder le droit d’assister militairement Taïwan, notamment par la vente régulière d’armes. La « 3ème crise du détroit de Taïwan » de 1995 sera l’occasion pour les États-Unis de renouveler leur soutien envers Taïwan en déployant deux porte-avions face aux missiles chinois braqués en direction de l’île et mettant ainsi fin à l’escalade des tensions entre les deux Chine.

Les premières élections libres eurent lieu en 1989, l’année suivant la mort de Tchang Ching-kuo, remportés par le candidat du Guomindang Lee Teng-hui (« 李登輝 »). Le nouveau président élu par les taïwanais accepta la rencontre de Singapour en 1993 avec les représentants de la Chine Populaire pour discuter de la réunification. Cependant, la 1ère alternance de 2000 avec la victoire du candidat du parti Minjindang (« 民進黨 » ; « Parti Démocrate Progressiste »/« PDP ») Chen Shui-bian (« 陳水扁 ») rebattit les cartes. Ce nouveau parti est en effet favorable à « l’établissement d’une République de Taïwan souveraine et indépendante », c’est-à-dire à la renonciation de la part de Taïwan à toute prétention à être la véritable Chine et à sa déclaration d’indépendance comme pays distinct (solution inacceptable pour la Chine Populaire qui affirma en 2004 qu’elle prendrait l’île par la force dans une telle situation).

Ainsi est introduit le débat qui secoue encore la vie politique taïwanaise contemporaine en opposant KMT (revenu au pouvoir entre 2008 et 2016 avec Ma Ying-jeou - « 馬英九 ») et PDP (au pouvoir depuis 2016 avec Tsai Ing-wen - « 蔡英文 ») sur la définition de ce qu’est et doit être le gouvernement de Taïpei : la « République de Chine », seule et véritable gouvernement de la Chine, ou simplement « Taïwan ».

 
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PDP vs KMT : deux définitions de Taïwan

Les taïwanais sont-ils chinois ? Pendant près de 30 ans, la réponse était évidente dans la tête des habitants de Taïwan : « Nous sommes la Chine ». Le pays était la « République de Chine », tout était clair. Et la situation était d’ailleurs tout aussi simple pour les pays tiers ; n’ayant toujours considéré qu’une seule Chine, la reconnaissance du gouvernement de Taïpei ou de Pékin ne changeait en définitive rien à l’existence internationale d’une Chine unique recouvrant l’ensemble des territoires de part et d’autre du détroit de Taïwan dans une entité étatique unique. Taïwan était la Chine, et il était entendu à Pékin comme à Taïpei que la situation politique avec 2 gouvernements n’était que transitoire et que les territoires de part et d’autre du détroit avaient vocation à rester unis.

C’est l’adoption de la démocratie élective et du multipartisme à Taïwan, en particulier avec la création du PDP en 1986, qui vont rendre la situation beaucoup plus confuse. La 1ère alternance de 2000 marqua la prise d’importance du PDP dans la vie politique taïwanaise et à la fin de la suprématie du KMT, qui avait survécu à la démocratisation. Cette hausse de l’influence du PDP est à la fois la cause et la conséquence de l’évolution chez une importante partie de la population taïwanaise de la conscience de leur propre identité. La vision de Taïwan comme intrinsèquement chinois et le principe d’« une seule Chine », toujours défendue par la KMT, sont en effet officiellement remis en cause par le PDP et ses partisans depuis les années 2000, qui considèrent que Taïwan dispose d’une identité spécifique et refusent le principe d’« une seule Chine » (pourtant défini en 1992 comme la base des relations officielles avec la Chine Populaire).

Si l’on présente souvent le KMT comme un parti « nationaliste chinois » favorable à la réunification avec la Chine, et le PDP comme un parti « indépendantiste » favorable à la déclaration d’indépendance nette, la réalité est plus complexe. Si, effectivement, de nombreux partisans de la « coalition pan-verte » (PDP + alliés) sont favorables à une déclaration d’indépendance unilatérale et l’abandon par Taïwan de l’appellation « République de Chine », cette idée ne fait pas l’unanimité et provoque des polémiques au sein de la coalition. Des « modérés », comme l’ex Président PDP Chen Shui-bian, affirment que cette « déclaration » est inutile puisque Taïwan était déjà de-facto un pays « indépendant et souverain », tandis que la branche opposé clame que dans les conditions actuelles Taïwan n’existe pas et appelle à la constitution officielle de la « République de Taïwan ».

Du côté du KMT, la position ne consiste pas à rechercher absolument la réunification avec la Chine, loin de là. Tout en restant attaché au nom de « République de Chine » et à l’idée d’une « identité chinoise » de Taïwan, la position générale de la « coalition pan-bleue » (KMT + alliés) est de maintenir le statuquo en attendant que la Chine se soit suffisamment « démocratisée » et que son système ai suffisamment convergé avec celui de Taïwan pour permettre la réunification. 

Ces positions sont davantage des attitudes politiques que de positions concrètes, étant entendu que la déclaration d’indépendance de Taïwan ne serait acceptée en l’état ni par la Chine ni par les États-Unis, de même que l’idée d’une convergence entre le modèle de la Chine et celui de Taïwan devant précéder la réunification semble plus proche du doux rêve que d’un futur proche.

La question de l’identité taïwanaise est donc une question particulièrement difficile à traiter puisque elle est au fondement même du clivage bipartisan qui rythme la vie politique nationale, les taïwanais étant ainsi eux-mêmes divisés sur la conception de leur propre identité. Il s’agit pourtant d’une question d’un grand intérêt qui permet, en plus de mieux saisir la réalité de la situation de l’île, de s’interroger sur les modalités et les processus aboutissant à la constitution d’une identité et d’un sentiment national.

 
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Sources :

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (1) Situation générale [en ligne ; version du 09/05/2019].

Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-1general.htm

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (2) Données historiques [en ligne ; version du 09/05/2019].

Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-2HST.htm

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (4) La question des minorités et des aborigènes [en ligne ; version du 09/05/2019].

Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-4Pol-lng-minorites.htm

Histoire de Taïwan [en ligne ; version du 20/08/2019]. Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Histoire_de_Ta%C3%AFwan&oldid=161981415

Taiwanese indigenous people [en ligne ; version du 30/12/2019]. Wikipédia, The Free Encyclopedia.

Disponible sur : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Taiwanese_indigenous_peoples&oldid=933048198

Statut de Taïwan [en ligne ; version du 05/12/2019]. Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Statut_de_Ta%C3%AFwan&oldid=165138006