Brève histoire thématique de la République française
La France est aujourd’hui une république. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. À dire vrai, ce régime n’a représenté qu’une infime part des deux millénaires d’histoire nationale. Dès lors, difficile de croire en une forme de gouvernement qui se serait imposé par lui-même à des populations jusqu’ici asservies par des tyrans. C’est pourtant tout le mythe républicain développé au cours de la Révolution : la République qui affranchit les corps et les esprits, qui élève par le mérite et l’accès libre à la connaissance, etc. Aujourd’hui, c’est celle qui donne sa chance à chacun, qui combat les discriminations sexuelles et raciales, voire même qui porte au pinacle ses « valeurs » de liberté, d’égalité, de fraternité et, osons le mot, de « droits de l’Homme ». Pourtant, si ceux du Salut public voyaient ce qu’était devenu leur gouvernement, sans doute auraient-ils honte. La République française s’est forgée dans le sang, la guerre et la haine ; le sang des Français, la guerre contre l’Europe et la haine des traîtres à la nation. En somme, l’opposé absolu du discours contemporain. Retour sur l’histoire tumultueuse d’un régime.
Le sang des Français qui « abreuvent les sillons »
Lorsqu’éclate la Révolution française de 1789, personne ne pense à abolir la royauté. Il en est certains qui désirent la contrôler, s’inspirant de leurs voisins outre-Manche, mais aucun qui aspire à déchoir le roi, membre d’une dynastie vieille de presque mille ans et qui a fait la France. Pourtant, débordés par les insurrections populaires et les maladresses à répétition du chef de l’État, force est de constater que certains représentants de la Nation en sont venus à cette conclusion.
La fuite de Varennes et la trahison du monarque achèvent de faire basculer la monarchie. Déchu de ses fonctions, Louis XVI redevenu simple « Capet », ne peut qu’assister à l’abolition de la royauté et la proclamation de la République, par la Convention nationale, le 21 septembre 1792. Le régicide aidant, le gouvernement se retrouve vite confronté à des soulèvements populaires, notamment dans les franges les plus catholiques de la Nation. Ainsi, c’est dans la guerre civile que naît la République. En cela, elle égale déjà celle qui lui sert de modèle, Rome. Menacée à l’extérieur par une Europe coalisée et à l’intérieur par ses propres membres, la France sombre dans la tyrannie que ses mêmes Conventionnels voulaient abattre. Ce sera la Terreur et ses centaines de milliers de morts civiles. Beaucoup de choses ont été dites sur cette période sanguinaire, fausses pour la plupart. Loin d’être une aspiration robespierrienne au despotisme, c’est bien le règne de la nécessité et de l’urgence, celles de défendre un pays assailli de toutes parts. Après seulement un an, le pays peut se considérer comme sauvé. Robespierre chute alors que la France brille à la bataille de Fleurus. Pour autant, son exécution ne rétablira en rien l’ordre public (via le nouveau Directoire) et il faudra attendre l’accession au pouvoir du général Napoléon Bonaparte pour cela. Avec le Consulat, la France panse ses plaies en refermant la blessure révolutionnaire. Compromis entre l’Ancien Régime et la Convention, le gouvernement napoléonien va progressivement instaurer une monarchie républicaine incarnée par l’Empire, nouvel écho à la Rome ancienne.
Ce n’est qu’après plusieurs décennies de royauté française, de Napoléon à Louis-Philippe en passant par Louis XVIII et Charles X, que la République ressurgit. Renversant le pouvoir orléaniste installé pour la contrer, elle se veut une meilleure version d’elle-même. Plus de Terreur ni de guerre civile. Le nouveau régime sera conservateur et libéral ! C’est ainsi qu’à peine quelques mois plus tard, il tirera sur les ouvriers de Paris qui réclamaient, eux, une constitution sociale. À nouveau, la République a du sang français sur les mains. Conséquence logique, elle sera renversée par ses adversaires royalistes plébiscités par la population encore majoritairement rurale. Là encore, un (Second) Empire succède.
La Troisième République voit le jour dans l’enfer de la guerre franco-allemande. Proclamée à la hâte, l’Empereur Napoléon III ayant été fait prisonnier à Sedan avec son armée, elle lutte de toutes ses forces contre l’envahisseur, sans succès. Les royalistes, une nouvelle fois soutenus par la majorité populaire, vont alors faire cesser les combats, non sans déshonneur. Et lorsqu’ils demanderont aux héroïques Parisiens assiégés pendant des mois et restés invaincus de rendre leurs armes à l’ennemi, ils déclencheront une nouvelle insurrection : la Commune. À nouveau, le régime républicain a du sang sur les mains. Mais, chose inédite, ces mains sont celles d’un gouvernement royaliste, opportunité rêvée de reconquérir le pouvoir légalement. Après dix ans d’efforts, ce sera chose faite.
La quatrième itération républicaine naît avec la guerre d’Indochine puis celle d’Algérie. Nul besoin de développer davantage. Finalement, seule la Cinquième République sera relativement épargnée par de telles effusions de sang, réglant le problème algérien et inscrivant la France dans le monde moderne d’après-guerre. Malgré cela, il est à noter l’existence d’une violence symbolique, politique et psychologique de plus en plus exacerbée par la médiatisation de masse, incarnée par la présidence Macron et engagée des décennies auparavant par une élite nationale condescendante, désabusée et apatride.
Pour la République : l’Europe c’est la guerre !
La guerre européenne contre la France révolutionnaire est antérieure à la naissance de la République. Stratégie maladroite du roi Louis XVI pour recouvrer son pouvoir d’antan, c’est un conflit opposant des princes à une nation. En revanche, le régime républicain français est fortement associé à la chose militaire : c’est au lendemain de la victoire de Valmy qu’elle est proclamée. Reprenant le fardeau des rois de naguère, la Convention poursuit la défense du « pré carré » cher à Louis XIV et l’aspiration aux frontières naturelles : une France allant de l’Océan au Rhin, des Alpes aux Pyrénées. La victoire de Fleurus, évoquée plus haut, semble d’ailleurs en être le parangon. Grâce à elle, la France domine la rive gauche du Rhin, tant convoitée au cours des siècles. Bien sûr, cette conquête n’est pas sans mettre en péril la doctrine diplomatique de l’équilibre des puissances chère à la « perfide Albion » ! L’annexion de la Belgique (1795) conditionnera toutes les guerres et batailles européennes contre la France d’abord républicaine puis impériale jusqu’à la défaite finale de Waterloo (1815).
Outre ces considérations internationales, il est à noter que la République réhabilite le modèle du citoyen-soldat cher aux Grecs et Romains de l’Antiquité. Le Français doit être le premier rempart, la première ligne de défense de sa Nation, nouvelle Cité moderne. L’image d’Épinal des volontaires affluant aux frontières pour sauver « la France en danger » (l’expression apparaît sous la Révolution), celle du père de famille protecteur et du fils héroïque, sont autant de reprises de l’hoplite grec, et notamment spartiate (Sparte est le modèle de la République française et non Athènes) qui veut que le soldat ne revienne qu’à deux conditions du front : victorieux avec son arme ou mort au combat. Cette structure sociétale perdurera jusqu’à la fin du XXème siècle, lorsque le président Chirac l’estima désuète. Sous l’Empire, continuité spirituelle de la République, le soldat est de plus en plus associé au légionnaire romain, preuve s’il en est du basculement idéologique du régime. La France n’est plus menacée, il s’agit d’imposer la paix au Royaume-Uni, quitte à soumettre l’Europe coalisée.
Après le choc de la guerre franco-prussienne, la Troisième République va reprendre les éléments de langage de la Convention. L’Allemagne est la nouvelle menace et il faut désormais libérer les provinces annexées par Bismarck, à savoir l’Alsace-Moselle. Le « Poilu » de la Grande Guerre deviendra le nouvel hoplite de la nation française. Au conflit mondial suivant, les Français vont démontrer leur férocité au combat, surtout dans les situations les plus désespérées (cadets de Saumur, Dunkerque, Bir-Hakeim, Mont-Cassin, poche de Colmar, etc.). Il s’agit moins de combattre un ennemi que de défendre sa terre, qui est aussi celle de ses ancêtres (principe de simultanéité de Kierkegaard). La Guerre Froide aidant, la France range progressivement les armes contre ses ennemis européens historiques. Les traumatismes moraux du XXème siècle ont rapidement transformé le républicanisme triomphant et farouchement attaché à sa souveraineté en un gouvernement corrompu et acquis à la cause du plus fort, ici le maître américain. Telle Sparte se soumettant à la Macédoine d’Alexandre, la République a failli.
La haine des traîtres
La République est née d’une trahison : celle de Louis XVI envers son peuple. Prêtant des serments qu’il viola dans une maladresse crasse, il précipita avec lui une monarchie vieille d’un millénaire. Complotant contre sa population, déclarant des guerres qu’il espérait voir perdues, il s’attira les foudres de ceux qui, jamais n’auraient imaginé devoir se prononcer un jour sur sa mort. Très tôt, les partisans du régime républicain, comme le jacobin Marat, en appellent à l’épuration patriotique. Au temps des saignées, il faut purger le corps français de sa mauvaise humeur : ici, l’aristocratie et la bourgeoisie d’affaires. Ce thème, récurrent sous la Révolution, va être la clef de voûte de la Terreur orchestrée par les Jacobins. Même sous le Consulat et l’Empire, cette idée continuera d’être maîtresse comme en témoigne à la perfection l’exécution du duc d’Enghien (1804).
Après l’épopée napoléonienne, il faudra attendre la Troisième République pour que l’obsession de la traîtrise revienne en force. D’abord, avec l’affaire Dreyfus. Puis, au cours de la Première Guerre mondiale et en particulier sous la présidence de Georges Clemenceau qui mènera une « chasse aux sorcières » contre les défaitistes et autres pessimistes. Enfin, le second conflit planétaire où les deux camps gaulliste et pétainiste s’accuseront mutuellement de trahison. Dans ce dernier cas, il convient de noter que le régime de Vichy a fait de cette vision idéologique un catéchisme, accusant volontiers les « ennemis de la France » que seraient les Juifs, les communistes et les francs-maçons.
Au XXIème siècle, la haine des traîtres c’est inversé. Désormais, ce ne sont plus ceux qui complotent ou œuvrent contre la nation qui sont combattus mais ceux qui refusent le nouveau dogme progressiste et les « valeurs » dévoyées d’une République qui n’a plus aucun lien avec son histoire constitutionnelle et idéologique.
Pourquoi cet attachement à la haine des traîtres ? Pourquoi est-il si prégnant dans la République ? Eh bien outre la trahison originelle du roi Louis XVI, il faut noter que le régime républicain a très tôt fait de la Nation son apanage, tentant par tous les moyens de s’y confondre. Ce réflexe ce retrouve aujourd’hui encore par l’utilisation périphrastique du mot « République » en lieu et place du mot « France ».
Conclusion
La République française, historiquement et idéologiquement, s’est forgé autour de trois états de fait : le conflit civil sanglant, la lutte contre l’adversité européenne et la haine de la traîtrise. Aujourd’hui, ce code génétique est nié, à dessein, de telle sorte que le régime républicain dans lequel nous vivons est plus une tyrannie du Progrès, de la Tolérance et de l’Affect que l’expression démocratique de la volonté populaire et nationale. Ce renversement trouve son illustration dans le fait que depuis quelques décennies, la République se trouve affublée de « valeurs » (morales) alors qu’à sa fondation, on parlait plus volontiers de « vertus » (citoyennes). Les premières, renvoyant à l’individu et la subjectivité, témoignent également du règne de l’individu sur la collectivité nationale incarnée par les devoirs citoyens hérités de l’Antiquité spartiate ou romaine. Dès lors, le mot « République », venant du latin res publica (la chose publique), a-t-il encore un sens lorsque les affaires collectives sont niées par le sacro-saint individualisme-roi ?