Chypre : quel avenir ?

 
Le champ de gaz naturel de Tamar, au large d'Ashkelon. (Crédit : Moshe Shai/Flash90)

Le champ de gaz naturel de Tamar, au large d'Ashkelon. (Crédit : Moshe Shai/Flash90)

 

Après avoir examiné les pour et contre de la réunification de Chypre, deux facteurs restent encore à analyser afin de cerner plus précisément le futur des Chypriotes. Le premier d’entre eux concerne la Russie, son influence et son apport économique ; le second, quant à lui, a redistribué les cartes dans cette zone du monde : la découverte du plus grand gisement de gaz au monde, le Léviathan.

LA RUSSIE : SAUVEUR DE CHYPRE ?

Russie – Chypre : les raisons d’un rapprochement

Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour expliquer et comprendre cette « union » entre ces deux nations.

Tout d’abord, géographiquement parlant les deux pays sont proches. De par son envergure, la Russie s’est retrouvée mêlée aux situations géopolitiques de ses voisins (Europe, Chine, Balkans…), et c’est sans compter sur la présence de la diaspora russe dans de nombreux pays. Chypre ne fait pas exception à la règle : la communauté russe ne cesse de croître. Pour certains, le point de départ de vague d’immigration date de 2004 avec l’adhésion de Chypre à l’Europe .

Depuis lors, les entreprises russes ainsi que les concitoyens entendent bien profiter de facteurs économiques plus favorables pour eux qu’en Russie, notamment le taux d’imposition sur les sociétés à hauteur de 12,25 % du bénéfice pour Chypre, tandis qu’en Russie il varie entre 15,5 % et 20 %. Un autre attrait de l’île : aucun impôt sur les propriétés n’est pratiqué. Quoi de mieux pour attirer les grosses fortunes... ?

Un 3eme élément est à mettre au crédit du rapprochement entre les Russes et les Chypriotes : la religion. Une grande majorité de chypriotes est orthodoxe. L’un des paramètres clé de la cohésion du peuple russe et de la construction du nationalisme réside dans l’orthodoxie. A l’instar de Makarios III qui fût une figure majeure de Chypre, le patriarche Cyrille de Moscou demeure encore aujourd’hui une figure emblématique d’une Russie unifiée. Un partage de croyances qui se veut indéniablement facteur d’unification.

C’est donc sans surprise, et suite au refus de Chypre d’appliquer le plan de sauvetage européen - qui n’a de sauvetage que le nom – que russes et chypriotes tendent à s’entendre.

Un impact économique concret

Le principal problème de la Russie réside dans les sanctions européennes suite à l’annexion de la Crimée en 2014. Des suites de cet évènement, des tensions naissent dans relations économiques européano-russes, difficiles voire impossibles dans certains secteurs stratégiques (armement, nucléaire…).

Chypre fait figure de porte d’entrée pour le marché européen. Depuis son adhésion à l’Union Européenne en 2004, l’influence russe n’a cessé de se développer, et ce, sur plusieurs plans.

Un tiers des placements étrangers à Chypre sont d’origine russe. Ces investissements s’expliquent par une fiscalité avantageuse à la fois pour les citoyens et les entreprises, par des contrôles fiscaux moins opaques, et un territoire initialement vierge de toute influence économique étrangère.

Et pour preuve : 20 % des investissements étrangers à destination de la Russie proviennent de Chypre. Les liens économiques entre les deux pays s’intensifient de manière étonnante mais logique, chacune des deux parties y trouvant des intérêts. La Russie a notamment proposé un plan de sauvetage contre l’assurance de l’exploitation d’une partie des champs gaziers. Le pays de V. Poutine étant particulièrement bien placé dans ce domaine, il est à ce jour un des principaux fournisseur de gaz en Europe.

De son côté, Chypre propose ce que l’on pourrait appeler « des passeports contre des investissements ». Un exemple : le « golden visa », passeport accordé en échange d’un investissement de 2 millions d’euros dans l’immobilier. Une aubaine pour tout citoyen russe souhaitant acquérir un passeport européen. Cet argent peut également être investi dans l’économie locale, et peut permettre, sous certaines conditions, un regroupement familial ainsi qu’un passeport pour chaque membre dans un délai de 6 mois. Ainsi, 1000 passeports de ce type ont été délivrés en 2017. Les russes ont participé à la croissance chypriote à hauteur de 4 % en 2017, ce qui témoigne d’une volonté continue d’intensifier ces relations, d’autant que Moscou a prêté 2,5 milliards d’euros à Nicosie en 2011.

Le meilleur exemple de cette immigration est la ville de Limassol qui compte aujourd’hui plus de 50 000 russes ; la ville a depuis lors été surnommée « LimassolGrad » (« grad » signifiant « ville » en russe, comme la fameuse ville de Stalingrad). Toutefois, selon l’avis de certains experts, cette relation n’est pas le facteur déterminant concernant l’avenir de Chypre.

UN ESPOIR NOMME LÉVIATHAN

Une économie à reconstruire

Suite à la crise de 2008, toute l’Europe peine à se relever, notamment Chypre. En 2013, le pays passe proche de la faillite, ce qui le place dans une position délicate vis-à-vis de ses créanciers. Le taux de chômage atteint 18 % ; les prêts impayés constituent alors 23 milliards d’euros de créances douteuses (prêt non remboursé depuis 3 mois). Face à cette crise, l’Union Européenne proposera un plan de « sauvetage » prévoyant notamment une saisie sur les avoirs bancaires des comptes de plus de 100 000 euros chez Bank of Cyprus, à hauteur de 47,5 %.

En dépit de cette situation, la Terre elle-même a redistribué les cartes. Un coup de pouce du destin avait déjà eu lieu pour Israël en 2009 avec la découverte du champ gazier nommé Tamar. Depuis sa création, l’État Hébreu était alors le seul acteur de la région à ne posséder aucune ressource d’hydrocarbure. Cette découverte précède celle du plus grand champ gazier du monde en 2010 : le Léviathan. Ce dernier est 2 fois plus gros que Tamar, et sera par la suite accompagné d’un troisième champ appartenant lui aussi à Chypre en 2015 : Aphrodite. Des découvertes qui ont redéfini les relations entre les différents acteurs de la région (Liban, Israel, Chypre, Turquie).

Les navires de l’entreprise américaine « Exxon Mobile » étaient attendus fin 2017 afin de commencer l’exploitation de cette nouvelle ressource. Des licences ont été accordées à l’italien ENI, au français Total ainsi qu’à Exxon, attisant les convoitises d’autres pays. Mais l’attribution des parcelles exploitables pose problème, notamment avec la Turquie.

Le Léviathan, fédérateur de nations

Ce gisement de richesses permettra la prospérité des différents acteurs de la région, à condition d’être bien exploité. Mais rien ne garantit cependant une exploitation paisible, les tensions sous-jacentes persistant.

En 2014, la Turquie envoie pétroliers et navires de guerre analyser et sécuriser les parcelles qu’elle estime légitimes. De son côté, la République de Chypre tente de se prévaloir d’une protection via les compagnies étrangères choisies pour exploiter ces gisements. Cet eldorado inespéré fait également le jeu d’Israël puisqu’il met le pays en position de force dans la région, forçant ses adversaires historiques à s’asseoir à la table des négociations. Chacune des parties a intérêt à coopérer pour garantir un meilleur rendement et assurer la distribution. L’exemple le plus parlant est la vente de gaz par Israël à la Jordanie sous l’œil américain. Suite à cet accord, des manifestations ont eu lieu en Jordanie, La population est donc loin d’être acquise à ce partenaire commercial.

Si ces adversaires historiques se parlent enfin, tout espoir est permis pour Chypre. L’île, grâce à son gisement peut devenir le principal fournisseur de gaz en Europe et ainsi s’assurer une prospérité à long terme. C’est là que réside tout l’enjeu pour le gouvernement chypriote, lequel ne doit laisser passer sous aucun prétexte cette chance incroyable qui lui est offerte. C’est sur ce point que le gouvernement devra appuyer s’il souhaite fédérer à nouveau une nation qui en a cruellement besoin.

Après avoir étudié l’histoire, la possible réunification de l’île ainsi les facteurs les plus influents concernant son avenir, la plupart des experts semblent confiants quant à son avenir. Chypre veut se relever et en a les moyens. A elle désormais d’utiliser ses atouts, au bon moment et entourée des bons partenaires qui lui permettront de s’émanciper au mieux de ses grands frères envahissants.

Sources :

https://www.liberation.fr/planete/2017/09/19/chypre-un-paradis-pour-les-oligarques-russe_1597362 http://french.xinhuanet.com/2018-12/11/c_137664542.htm https://www.lepoint.fr/monde/de-plus-en-plus-nombreux-les-russes-s-implantent-a-chypre-25-01-2018-2189541_24.php https://fr.wikipedia.org/wiki/Leviathan_(champ_gazier) https://www.lesechos.fr/2018/02/israel-devient-un-fournisseur-de-gaz-du-monde-arabe-984810 https://www.la-croix.com/Economie/Gaz-large-Chypre-Turquie-veut-montrer-incontournable-2019-07-12-130103499