Chypre : un pays, deux Mères-Patries

 
Des drapeaux chypriote et grec ainsi que des drapeaux turcs et chypriotes turcs sont observés près de la zone tampon contrôlée par l’ONU à Nicosie, 2017 - VOA

Des drapeaux chypriote et grec ainsi que des drapeaux turcs et chypriotes turcs sont observés près de la zone tampon contrôlée par l’ONU à Nicosie, 2017 - VOA

 

Henri.

L’Europe s’est construite au travers de nombreuses réunifications. Nous pourrions légitimement penser qu’aujourd’hui toute l’Europe constitue un seul et même tout, mais cela serait sous-estimer l’Histoire de ses différents peuples.

Savez-vous quelle capitale européenne est, depuis maintenant 45 ans, divisée en deux parties distinctes ?

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, toutes les capitales européennes sont réunies. Mais depuis 2004, Nicosie fait figure d’exception à la règle. Afin de comprendre pourquoi Chypre est un cas à part, comment ce pays est-il arrivé à une situation si complexe, quels sont les enjeux et les acteurs, et surtout si ce conflit peut un jour se résoudre ; il faut plonger dans l’Histoire de l’île.

Chypre : une identité complexe

Chypre se situe au sud-est de l’Europe. Cette île de la Méditerranée a trop peu eu la chance de prendre son destin en main. Son placement géographique, entre par la Grèce et la Turquie, rend l’île tributaire du destin et des choix de ces deux pays. Mais avant d’entrer dans les détails de cette relation complexe, il nous faut revenir en arrière.

Avant l’indépendance de Chypre (Antiquité – 1960)

Afin de mieux comprendre ce qu’était Chypre avant son indépendance, il est nécessaire d’opérer une division entre deux périodes distinctes : l’avant et l’après Oktovriana.

Une île convoitée

 Connue des Égyptiens, des assyriens, ou encore des phéniciens, l’Histoire de Chypre remonte à l’antiquité. La position géographique de l’île lui donne un rôle important dans le commerce, ce qui lui assure richesse et prospérité. Cette réussite attire tout naturellement les voisins, et c’est ainsi que Chypre va tomber tour à tour sous la domination de nombreux pays, empires, et même ordre religieux.

C’est tout d’abord la Grèce qui va s’emparer de l’île au IV ème siècle avant J-C. Cette domination sera la plus marquante : aujourd’hui, 80 % des chypriotes sont d’origine grecque.

C’est ensuite un immense personnage historique qui s’approprie l’île, puisque la Macédoine d’Alexandre le Grand marche sur Chypre. L’Empire romain reprend à son tour ce territoire des mains du général macédonien. Mais au IV ème siècle l’empire Romain vient à séparer en deux entités : l’Empire Romain d’Occident et l’Empire Romain d’Orient (qui deviendra l’Empire byzantin). Plusieurs groupes ou cité-états prendront la tête de l’île comme : les Templiers, les Génois et les Vénitiens.

En 1453 Constantinople tombe. La ville entraîne dans sa chute l’Empire Byzantin, c’est désormais l’Empire Ottoman qui règne sur Chypre. Malheureusement pour ce dernier, deux défaites militaires scelleront Chypre sous le joug d’une autre puissance.

En 1830, le Royaume-Uni, la France et la Russie cherchent à diminuer l’Empire Ottoman en soutenant la Grèce qui acquière son indépendance.

En 1878, suite à la guerre entre l’Empire Ottoman et la Russie, Chypre est mise sous tutelle Britannique. L’île est à nouveau sous dominance étrangère.

La deuxième défaite de la future Turquie sera celle de la première Guerre Mondiale. Signé en 1923 entre les vainqueurs et la Turquie, le traité de Lausanne achève le démembrement de l’empire Ottoman. Ce démembrement contient la perte de Chypre au profit des Anglais.

Les premières révoltes : l’Oktovriana

L’Oktovriana est un terme grec désignant les premières révoltes chypriotes contre les Anglais ayant eu lieu le 21 octobre 1931. Ce sont ces révolutions qui mèneront Chypre vers l’indépendance.

Suite au traité de Lausanne, Chypre est devenu une colonie de la couronne. Ce choix, tout comme les accords Spykes-Picot, fut pris sans l’avis des populations concernées. Cette volonté de gouverner sans consulter ne pouvait résulter que sur un mécontentement des Chypriotes. Entre les Anglais, la majorité grecque orthodoxe et la minorité turque musulmane, le conflit ne tarda pas à éclater.

Chaque grecque connaît le sens du mot « Enosis ». Signifiant littéralement union en grecque, l’Enosis est une volonté de rassembler toutes les îles grecques sous un même drapeau, et bien sûr parmi elle : Chypre. Cette aspiration, la langue grecque et la majorité de la population conduisent les chypriotes grecs à vouloir majoritairement le rattachement leur île à la Grèce, considérée comme leur Mère-Patrie. Mais les anglais, souhaitant éviter tout conflit entre les chypriotes grecs et les chypriotes turcs, refusent le rattachement à la Grèce ; c’est ainsi que les premières révoltes commencèrent.

Suite au refus britannique, se forme en 1955 le mouvement EOKA. Ce mouvement ne souhaite qu’une chose : accomplir l’Enosis par la force. Ce mouvement de guérilla pousse la Turquie, déjà très peu satisfaite des droits de la minorité chypriotes turques, à négocier avec le Royaume-Uni et la Grèce. Cette négociation aboutira, en 1960, sur un évènement majeur dans l’Histoire de Chypre : l’indépendance de l’île.

L’indépendance (1960 - Aujourd’hui)

De l’indépendance à la division

Les accords de Londres et de Zurich, signés en 1960, accordent à Chypre son indépendance. Ce nouveau statut permet à l’île de se doter d’une constitution sur-mesure, prévoyant notamment des élections libres assurant la démocratie, et une répartition du pouvoir en fonction des communautés : le poste de président ne peut être assuré que par un grec orthodoxe, celui de premier ministre que par un turc musulman. Suite aux premières élections prenant effet  l’indépendance, Makários III est élu président de la République de Chypre.

Malgré ces élections, les institutions bloquent, la constitution ne fonctionne pas aussi bien que prévu, et les tensions entre les 2 communautés sintensifient. Les milices des deux côtés surenchérissent d’horreurs dans leurs attaques respectives, comme dans tous les conflits : les populations civiles paient le plus lourd tribut. Afin d’endiguer cette escalade de violences l’ONU décide d’intervenir en 1964.

Le mandat de l’ONU devait durer 6 mois, il sera renouvelé tous les semestres pendant 10 ans. La Grèce, suite à un coup d’État, devient une dictature en 1967. La dictature des colonels décide de mettre en place l’Enosis et d’intervenir afin de rattacher Chypre à la Grèce en 1974. De son côté la Turquie réplique avec l’opération Attila. Le 20 juillet 1974, l’armée turque envahit la partie Nord de l’île. Cette invasion conduira à un exode massif de la population, 200 000 chypriotes grecs et 40 000 chypriotes turcs doivent abandonner leur maison, et aller vivre dans la zone contrôlée par leur Mère-Patrie. 

1974 – 2019 : 45 ans de divisions

Nicosie est scindée en deux, Chypre est divisé en deux parties, le pays se déchire. Aucune des deux Mères-Patries ne veut céder ce qu’elle estime être son territoire légitime. L’écart semble fatalement se creuser.

En 1983 le Nord de l’île se déclare République turque de Chypre Nord. Seule la Turquie reconnaît officiellement ce territoire comme pays à part entière, qui ne dispose pas de siège à l’ONU. En 2004, alors que plus du tiers du territoire est occupé par l’armée turque, la République de Chypre rentre dans l’Union Européenne. Depuis plus que 10 ans, l’écart économique ne cesse de se creuser.

L’échec du plan Annan en 2004, proposant l’instauration d’un état confédéral, semble ternir à nouveau le tableau. Mais plusieurs facteurs viennent modifier la situation : la découverte de gisements de gaz, la relation avec la Russie, l’élection d’Erdogan, ou encore les revendications de zones maritimes laissent entrevoir de nombreuses négociations et compromis à venir.