Comment meurent les démocraties ? (1/3)

 
Congres de Nuremberg, 1936.

Congres de Nuremberg, 1936.

 

Dans son œuvre cinématographique La Guerre des étoiles, l’Américain George Lucas s’attarde le temps d’une trilogie sur le processus politique qui conduit à la chute des démocraties. À travers l’exemple de la République Galactique devenue Empire tyrannique, l’auteur-réalisateur s’inspire d’une Histoire bien réelle. Ses modèles sont la République romaine que César transformera en empire, la France révolutionnaire qui connaîtra le même destin avec le Général Bonaparte et enfin l’Allemagne de Weimar redevenue puissance impériale avec Adolf Hitler.

Dans ses trois films sortis entre 1999 et 2005, George Lucas présente une république millénaire fondée sur les principes de Paix, de Justice et de Liberté. Le centre névralgique de cette institution est alors le Sénat Galactique, assemblée des systèmes planétaires et temple de la démocratie. Mais au moment où se déroule son épopée, cette république est gangrenée par l’égoïsme, la corruption et la bureaucratie qui transforment les décisions politiques en procédures juridiques interminables. Devant l’inaction et l’inefficacité, il suffit d’une seule crise pour faire basculer la démocratie : le blocus militaire d’un membre de la confédération galactique par un autre. S’installe alors un nouveau pouvoir exécutif – incarné par le chancelier suprême Palpatine, celui-là même qui deviendra l’Empereur. Sur fond de crise sécessionniste, dû en grande partie aux échecs du processus démocratique mentionné plus haut, ce pouvoir va se légitimer à tel point qu’il apparaîtra essentiel et indispensable pour sauvegarder les principes fondamentaux de l’institution. La terrible guerre des Clones qui suivra, le désespoir des populations et la soi-disant trahison d’un corps millénaire et respecté – l’Ordre Jedi – finira de transformer la république démocratique en empire despotique, le tout avec la bénédiction du Sénat lui-même. C’est ainsi qu’une démocratie choit.

La démonstration cinématographique de La Guerre des étoiles est-elle pour autant valable ? Est-ce ainsi que s’effondre tout un système politique ? Pour le savoir, explorons, nous aussi, les enseignements de nos aînés.

La dictature, une conception galvaudée de la démocratie

Dans La Guerre des étoiles, la dictature est présentée comme l’opposé absolu de la démocratie. Rien n’est plus faux. La démocratie galactique de George Lucas s’inspire principalement de la République romaine – dirigée par un Sénat tenant un rôle central au sein des institutions. Or, pour les Romains, la dictature – c’est-à-dire le gouvernement exceptionnel d’un seul homme en vue du Salut public – fait pleinement partie de l’idée-même de démocratie en cela qu’elle en est la garante. Cette magistrature particulière naît alors que la jeune République souffre déjà des affres de l’inefficacité parlementaire et des atermoiements politiques. Le dictator reçoit du Sénat les pleins pouvoirs, non pour lui-même mais pour la sauvegarde des institutions et le bien commun en situation de crise politique ou militaire majeure. Fort de cet imperium, le dictateur romain ne peut toutefois pas se maintenir plus de six mois en activité – mesure prise pour éviter tout accaparement du pouvoir. Même si sa mission n’est pas achevée, au terme de ce mandat, il doit abdiquer… ou être renversé.

Au cours de sa longue et tumultueuse histoire, la République romaine connut un grand nombre de dictateurs (plus d’une cinquantaine) sans que son fonctionnement démocratique n’en soit altéré. Il faudra effectivement attendre les guerres civiles à répétition du Ier siècle avant l’ère chrétienne pour voir émerger une dictature exceptionnelle, celle de Caius Julius César. Le vainqueur des Gaules inaugure une nouvelle ère en étant nommé pour un an au lieu de six mois. Puis, le Sénat lui confère un mandat de 10 ans avant de le faire dictator perpetuus : dictateur à vie. Pour autant, la République et la démocratie romaines ne s’éteignent pas tout de suite avec cette nomination. Assassiné aux ides de Mars par une conjuration sénatoriale, César n’aura pu résister aux contre-pouvoirs imposés par les institutions. C’est son fils adoptif, Octavien, qui mettra fin à la République tout en fondant un régime nouveau : l’Empire.

Contrairement à une idée reçue, l’Empire romain n’est ni un régime tyrannique, ni une dictature perpétuelle. L’instauration du régime impérial est plus à considérer comme une restauration monarchique – l’exécutif recouvrant ses pouvoirs constitutionnels auparavant confisqués par le Sénat. Pendant deux siècles, l’Empire conserve un équilibre politique entre le princeps (le premier citoyen, c’est-à-dire l’empereur) et le Sénat. Le premier rend compte de sa politique au second qui l’approuve ou la réprouve. Le premier préside aux séances du second. Mais en cas de désaccord profond, c’est bien l’empereur qui tranche, fort de sa légitimité et de son rôle politique – garant de la paix enfin retrouvée après les guerres civiles à répétition. Malgré cet équilibre séculaire, l’Empire sombre progressivement dans les mêmes travers que la République d’antan : la mort de chaque empereur est l’occasion d’un nouvel affrontement.

Les Romains ne craignaient pas la dictature mais la respectait par son caractère politique quasi-sacré. Cependant, ils affichent une mesure toute particulière quant à une appropriation du pouvoir politique et un refus du dictateur d’abdiquer. En cela, les Anciens faisaient très bien le distinguo entre dictature d’une part et tyrannie d’autre part. Aujourd’hui, ces deux concepts se confondent – constat renforcé par le souvenir entretenu des régimes totalitaires du XXème siècle. De fait, La Guerre des étoiles est symptomatique d’une société marquée par la mémoire inconsciente de la Seconde Guerre mondiale et des totalitarismes nazis ou communistes.