F-35 Lightning II, échec ou fatalité ?

 
F-35 Lightning II de Lockheed Martin

F-35 Lightning II de Lockheed Martin

 

C’est sans doute l’avion de combat moderne qui aura coûté le plus cher aux États-Unis d’Amérique ; le programme Joint Strike Fighter qui a accouché du F-35 Lightning II présente aujourd’hui une facture colossale de 1 000 milliards de dollars américains. À titre de comparaison, le dernier programme d’armement aérien des États-Unis – à savoir le programme ATF pour Advanced Tactical Fighter qui donna naissance au F-22 Raptor – avait coûté moins de 70 milliards. Plus de douze ans après son premier vol, le F-35 n’affiche toujours pas de capacités opérationnelles. Pourtant, d’autres avions de combat avant lui ont connu un destin similaire, en témoigne le projet français Rafale ; ayant volé pour la première fois en 1986, le Dassault Rafale ne fut mis en service dans la Marine nationale française qu’en 2002 sans être pour autant pleinement opérationnel. Aujourd’hui, il est la fierté des forces aériennes et aéronavales tricolores – considéré par beaucoup comme le meilleur avion militaire de sa catégorie. Le nouveau chasseur multirôle américain est-il voué au même destin ?

La fin d’un modèle militaro-industriel

La fin de la décennie 2010 s’est avéré un véritable coup de massue envers le programme F-35. Face aux retards et dépassements de coûts, les forces militaires américaines n’ont pas hésité à contacter l’avionneur Boeing pour proposer de nouvelles versions de leurs chasseurs F-15 Eagle et F/A-18 Hornet. Ce choix constitue en effet une alternative pragmatique pour répondre aux défis de la décennie à venir car les flottes aériennes de l’U.S. Air Force comme de l’U.S. Navy accusent un vieillissement certain : le chasseur-intercepteur F-15 Eagle cumule ainsi plus de 40 ans de service quand le F/A-18 Hornet peuple les ponts des porte-avions américains depuis 1983. Ce n’est pas la première fois qu’une force armée recourt à des améliorations de ses vecteurs de combat, en témoignent les versions F-15E Strike Eagle (1989), F/A-18E/F Super Hornet (1999) et E/A-18G Growler (2008). Mais ici, le fait de prolonger la durée de vie opérationnelle de ces appareils au-delà de la mise en œuvre du F-35 est un signal fort envoyé par des états-majors las de tant de retards et dépassements de coûts.

Au-delà du pragmatisme affiché par les autorités militaires américaines, c’est tout un modèle industriel qui se trouve remis en cause. Jusqu’ici, il était admis qu’un avion de combat avait une vie opérationnelle limitée du fait de l’évolution des technologies, doctrines et de la nature même de la guerre. Mais aujourd’hui, et face à l’échec déjà enregistré du F-22 Raptor, sorte de grand-frère technologique du F-35, il apparaît de plus en plus évident qu’il faudra compter sur de régulières mises à niveau de vecteurs déjà existants et rompus à leurs missions. En France, le Dassault Rafale prépare sa sixième mise à jour avec le standard F4 (2025). En Russie, le Soukhoï Su-27 Flanker a été dérivé en une multitude de variantes et continue de bénéficier d’évolutions incarnées par le Su-35 Flanker-E (2012). Les États-Unis ne font pas exception. Nous avons abordé le cas des F-15 Eagle et F/A-18 Hornet mais il serait également possible de traiter du chasseur multirôle F-16 Fighting Falcon qui connaît aujourd’hui sa propre refonte avec le F-16V Viper (2017). La miniaturisation des composants informatiques ainsi que le maintien des capacités opérationnelles pour les équipages et équipes techniques favorisent grandement ces décisions de plus en plus populaires auprès des états-majors à travers le monde.

Face à cette tendance globale, le F-35 peine à convaincre. À l’origine, ce nouveau chasseur devait remplacer un grand nombre d’appareils des flottes de l’U.S. Air Force, de l’U.S. Navy ainsi que des troupes de Marine américaine, l’U.S. Marine Corps. Dès lors, il obéissait à un schéma industriel très en vogue depuis la fin de la Guerre Froide : le vecteur unique. Grâce à leur avionique numérique, les avions de quatrième génération apparus au début des années 1970 peuvent assumer de nombreuses missions y compris certaines pour lesquelles ils n’ont pas été initialement conçus. L’exemple le plus probant est sans doute celui du Grumman F-14 Tomcat – fondateur de cette fameuse quatrième génération. Conçu comme un chasseur-intercepteur capable d’engagements aériens à très longue distance, on le retrouvera au cours des années 1990 à assumer le rôle d’avion d’attaque au sol – seconde nature dans laquelle il s’illustra jusqu’à sa retraite en 2006. Cette reconversion inattendue est rendue possible par les premiers pods ou nacelles de désignation laser, permettant un tir autonome de bombes de précision – les célèbres GBU pour Guided Bomb Unit – dès 1987. Dès lors, comment justifier l’existence d’une foule d’appareils aux caractéristiques et missions spécifiques ? Les chasseurs multirôle finiront d’achever la transformation des flottes aériennes de sorte qu’aujourd’hui, le pont des porte-avions américains n’est plus peuplé que de deux à trois modèles d’avions différents contre une dizaine au cours de la guerre du Vietnam. C’est dans ce contexte que furent lancés les projets qui aboutiront plus tard au F-22 Raptor et F-35 Lightning II.

Un avion pour les remplacer tous… sans jamais y parvenir

Mais le F-35 souffre d’un défaut majeur qui explique en grande partie ses déboires industriels et opérationnels. Outre une pensée décentralisée de la production, calquée sur la production des avions de ligne, à savoir une répartition multinationale des coûts et des investissements, le F-35 est victime de sa propre conception.

Dès les origines du projet JSF, les États-Unis voulaient explicitement un avion capable de décollages courts et d’atterrissages verticaux – c’est-à-dire de la même manière qu’un hélicoptère. Ce besoin spécifique était motivé par le remplacement des AV-8 Harrier de conception britannique qui peuplaient les rangs des Marines dans le cadre d’opérations insulaires et/ou amphibies pour des missions d’appui aux troupes engagées au sol. Alors que le Harrier voit ses quatre moteurs pivoter le long du fuselage au moment des phases de décollage et d’atterrissage, l’avionneur Lockheed Martin fait le choix d’un basculement complet du réacteur du F-35. Cela implique par la même l’installation d’une nouvelle turbine dans le corps de l’avion pour lui éviter de basculer vers le bas. C’est donc toute la structure interne de l’appareil qui doit être revue.

Cette version, le F-35B, est sans doute celle qui impliqua le plus d’investissements… jusqu’à la version C. Pour remplacer à terme le F/A-18 Hornet, le F-35 doit être capable d’opérer depuis des porte-avions à catapultes et brins d’arrêt. Ces monstres de 300 mètres de long ne sont pourtant pas assez grands pour permettre l’envol d’avions à réaction qui nécessitent presque un kilomètre pour décoller de façon autonome. De plus, le F-35B, même s’il dispose de capacités d’envol court, ne satisfait pas une marine de guerre qui perdrait au change vis-à-vis des capacités opérationnelles du Hornet. Il faut donc « navaliser » le Lightning II en renforçant son train pour les appontages et en l’adaptant pour les catapultages. Mais un nouveau problème se pose : l’envergure. Trop petite pour permettre de tenir les vitesses d’approche imposées par les opérations aéronavales et trop grande pour tenir sur un pont où manque la place. Alors on agrandit l’envergure tout en prévoyant un système de repli des ailes afin de permettre le stockage de l’appareil sur les ponts d’envol – système déjà en œuvre depuis les années 1940.

Conclusion

Finalement, le F-35 souffre de sa naissance. Destiné à remplacer tous les avions alors en service dans les forces armées américaines, il peine à convaincre d’autant que ses capacités furtives sont vite rattrapées par les progrès en matière de guerre électronique. Mécaniquement, une mise en service longue laisse le temps aux concurrents d’adapter et de développer leurs radars en conséquence, annulant l’avantage technologie initial. L’avenir nous dira si le F-35 saura être un bon appareil de combat. Mais en l’état, il semble avoir démontré la faillite d’une doctrine militaro-industrielle qui voulait mettre fin à la spécialisation opérationnelle et poursuivre l’innovation technologie continuelle observée depuis l’avènement de l’aviation. Or, les déboires du projet JSF soulignent au combien nous sommes proches d’un optimum technologique indépassable…