Coup d’État, une tradition française (1/2)
La France est le pays des fromages, des vins, des révolutions mais aussi des coups d’État. Le terme même s’est imposé dans d’autres langues, de l’anglais au japonais, pour désigner la prise de pouvoir d’un individu sur un régime politique constitué. Étroitement associée au concept d’homme providentiel, l’idée du coup d’État s’impose en France notamment dans le contexte troublé des révolutions du XIXème siècle. En moins de deux siècles, notre pays a connu une dizaine de coups d’État dont plus de la moitié ont connu le succès. Certains, comme le 18-Brumaire réalisé par Napoléon Bonaparte, sont si célèbres qu’ils font quasiment partie de la mémoire politique et collective du pays. Est-ce pour autant un mal nécessaire ou un facteur d’instabilité perpétuelle ?
Des coups de force d’Ancien Régime aux coups d’État révolutionnaires
Bien avant la Révolution française, il était courant d’assister à des coups de force au sommet du pouvoir étatique. Bien sûr, l’Antiquité romaine est pleine d’exemples de conjurations et de ligues destinées à renverser tel ou tel consul, tel ou tel empereur. La montée en puissance de certaines dynasties aristocratiques franques qui finirent par supplanter les Mérovingiens et Carolingiens peuvent également être attestées dans les annales. Mais la notion même de coup d’État implique une rupture brutale, ce qui n’est pas le cas pour les guerres civiles romaines et les changements dynastiques. Certains coups de force féodaux ou cassation de testaments royaux ont certes émaillés l’Ancien Régime et il serait facile d’affirmer que la Révolution de 1789 constitue à elle seule un coup d’État contre la monarchie traditionnelle. Mais la notion de coup d’État se limite bien à un remplacement, une rupture politique, quasi-immédiate.
Pour cela, il faut attendre le 26 juillet 1794 et la chute de Robespierre. Artisan de la Terreur révolutionnaire, le représentant parisien est contraint à quitter le pouvoir cependant que les députés de la Convention nationale refusent de perpétuer la politique d’exception en vigueur depuis deux ans. Son jugement et son exécution mettent un terme à la Grande Terreur et ouvre la voie à un nouveau gouvernement : le Directoire. Ce nouveau régime républicain se veut plus démocratique, dominé par la pensée décentralisatrice girondine. En réalité, il marque le retour des royalistes sur les bancs du Parlement ainsi que des contre-révolutionnaires. Pour maintenir à flot l’idéal républicain, Paul Barras et ses alliés – dont l’Armée – se lancent dans un coup d’État, le 4 septembre 1797. La République est « sauvée », il faudra recommencer un an plus tard.
Pour asseoir un peu plus son pouvoir, Barras monte une conspiration contre certains membres du Directoire en s’alliant avec le pouvoir législatif et l’Armée. Le 18 juin 1799, l’épuration est effective et la France est désormais dominée par les Jacobins – une première depuis 1794. Mais cette instabilité gouvernementale inquiète. Le manque d’intégrité de Barras ainsi que les rumeurs laissent présager une restauration monarchique dirigée par Louis XVIII, alors en exil. Le Directeur Sieyès, pourtant allié de Barras, s’associe à l’héroïque général républicain Napoléon Bonaparte, de retour d’Égypte. Il faut sauver l’idéal révolutionnaire et républicain. Une fois de plus, l’Armée est associée au coup d’État, un événement qui deviendra célèbre dans le monde entier : le 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799). Pendant deux jours, Bonaparte et Sieyès vont intriguer pour obtenir la fin du Directoire et la naissance d’un régime nouveau : le Consulat. In extremis, l’opération devient un succès. Contre toute attente, et après deux ans de chaos politique, la France est désormais stabilisée : elle rayonnerait sur toute l’Europe comme un empire.
Le coup d’État pour « sauver la France »
Europe, 1812. La France est un empire à la tête de l’Europe. Dirigée par Napoléon Ier, son règne est pourtant contesté en Espagne et en Russie, tantôt par un peuple fier, tantôt par un tsar arrogant. Pour faire respecter son arme contre le Royaume-Uni, le Blocus continental, l’Empereur lance l’invasion de la Russie. Ce sera un échec cuisant qui signera la fin de l’hégémonie française sur le monde et le Vieux-Continent. C’est ce moment crucial que choisit le Général Malet pour tenter un coup d’État contre le régime impérial. Prétextant la mort de Napoléon en Russie, ce dernier parvient à se rendre maître de la capitale pendant quelques heures avant d’être démasqué et arrêté. Ce n’est pas la première fois que l’autorité impériale est ainsi remise en cause. Quelques années plus tôt, alors qu’il était occupé à mater la rébellion espagnole, l’Empereur avait eu vent d’une conjuration menée par sa propre sœur Caroline, femme du Maréchal Murat, ainsi que ses ministres Talleyrand et Fouché en 1809. Finalement, c’est l’Europe qui le déposera par deux fois.
Avec la Restauration monarchique vient la paix, une paix européenne et conservatrice. La France, humiliée et vaincue, se retire du jeu international pour un demi-siècle. Consciemment ménagée par Louis XVIII, l’opinion publique s’offusque des attitudes réactionnaires et antirévolutionnaires de son frère Charles X. Celui-ci n’a jamais accepté la Révolution ni les évolutions libérales du royaume et se lance, aidé d’un Parlement ultra-monarchiste, dans une entreprise de restauration de l’Ancien Régime. Le 25 juillet 1830, les ordonnances de Saint-Cloud sont promulguées. Refusant tout jeu parlementaire, le Roi supprime la liberté de la presse, dissout la Chambre des députés à la composition défavorable, augmente le cens pour éliminer les électeurs bourgeois plus libéraux et remplace l’administration par des partisans fidèles. Le peuple parisien accueillera la nouvelle avec des barricades et des mousquets. Les Trois-Glorieuses renversent finalement Charles X et favorise l’ascension de la maison royale de Bourbon-Orléans en la personne de Louis-Philippe Ier. La France devient une monarchie parlementaire.
Le XIXème siècle français est une ère troublée. À la monarchie parlementaire bourgeoise et libérale succède la Deuxième République conservatrice. Pour la première fois de son histoire, le corps électoral a la possibilité d’élire le chef de l’État au suffrage universel direct. Ce sera également la dernière fois avant un siècle. Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur, se présente à l’élection présidentielle avec le soutien des royalistes, bonapartistes et conservateurs de tous bords. Il sera élu à une très large majorité (74%). Dans la foulée, l’Assemblée nationale est dominée par le Parti de l’Ordre composé des mêmes soutiens du prince-président. Mais ceux-ci désirent une restauration monarchique et se rient des convictions socialistes du chef de l’État. Sur fond de crise politique liée à la réélection du président de la République, impossible constitutionnellement parlant, les Orléanistes sont prêts à passer à l’action illégale pour renverser le chef de l’État. Conscient du danger, Louis-Napoléon saisit sa chance et lance l’opération Rubicon, le 2 décembre 1851 – double-date anniversaire du sacre de son oncle et de la victoire d’Austerlitz. Les principaux chefs royalistes sont arrêtés, la République est amendée, bientôt, le Second Empire est proclamé.
Sources :
Le 18 Brumaire. Comment terminer une Révolution, Jean Tulard (1999)
Napoléon III, Pierre Milza (2004)
À l’heure du coup d’État, Parlement(s) : Revue d’histoire politique (2009)