Allemagne, ennemi public n°1 (2/3)

 
Ouverture du Reichstag dans la Salle Blanche du palais de Berlin par Guillaume II

Ouverture du Reichstag dans la Salle Blanche du palais de Berlin par Guillaume II

 

Galerie des Glaces du château de Versailles, 18 janvier 1871. L’Empire allemand est proclamé en présence de son nouveau chef, le roi Guillaume Ier de Prusse. L’Allemagne, concept géographique et culturel, est désormais un État-nation forgé par la guerre, l’impérialisme et le militarisme prussien. Fruit du traumatisme de l’humiliation napoléonienne, cette marche vers l’unité va occuper tout le XIXème siècle européen. La France, victime collatérale de cet avènement national, va y perdre son prestige, sa renommée et surtout l’Alsace-Moselle. Mais ce nouvel empire européen est aussi une menace que Britanniques et Russes prennent très au sérieux. L’Europe s’avance vers un siècle de guerres totales qui verra sa chute.

La marche vers l’Empire allemand

Après la victoire finale de l’Europe coalisée sur l’Empire français de Napoléon, le Royaume de Prusse a recouvré sa place dans le concert des Nations. Élément capital de la bataille de Waterloo, l’Armée prussienne a su redorer un blason plus que terni par la campagne désastreuse de 1806. Mais le spectre français continue de hanter Berlin. Officiers, politiques, souverains ; tous ont pris conscience de la fragilité du royaume. Tous savent qu’il faut étendre les frontières. En 1815, la Prusse est à la tête d’une nouvelle formation politique allemande : la Confédération germanique. Résurgence du Saint-Empire, cette dernière est codirigée avec l’Autriche. Si elle doit à l’origine garantir le nouvel ordre européen, la Confédération va plutôt favoriser la guerre et la concurrence entre Vienne et Berlin.

En effet, l’héritage révolutionnaire et napoléonien a laissé en Allemagne une aspiration des peuples à la liberté et l’indépendance. Refusant le retour au Saint-Empire, les populations des différents duchés, principautés et cités font émerger des mouvements nationalistes principalement antiautrichiens. Ceux-ci explosent en mars 1848. Suivant les événements italiens et français, les peuples germaniques contestent le double règne des Prussiens et des Autrichiens. La capitale confédérale – Francfort – est choisie pour accueillir le premier parlement national allemand. Le mouvement, francophile et admiratif de la Révolution, est immédiatement combattu par la monarchie prussienne qui redoute un nouveau déferlement de violences en Europe. Le roi de Prusse refuse la couronne impériale proposée par cette chambre clandestine et lance une répression sanglante. Mais cet événement n’est pas stérile pour autant. La Prusse est devenue une monarchie constitutionnelle et voit l’émergence d’une vie parlementaire favorisant l’ascension d’un homme-clé de l’unification allemande : Otto von Bismarck. Pour ce dernier, le royaume ne doit pas se fondre dans un empire allemand dominé par les territoires occidentaux francophiles, mais en devenir le chef incontesté.

C’est en 1866 que va naître l’idée d’une union allemande par et pour la Prusse. Entrée en conflit avec Vienne sur la question de duchés danois, Berlin va étendre son influence sur tout le nord de l’Allemagne. Les Autrichiens vaincus doivent abandonner le gouvernement de la Confédération germanique qui devient dès lors la Confédération d’Allemagne du Nord avec pour capitale celle de la Prusse – tout un symbole ! Pendant quatre ans, le chancelier Bismarck va tout faire pour faire de la Prusse le champion de l’Allemagne. Mais d’ailleurs, quelle forme lui donner ? Certains favorisaient la Grande-Allemagne, sorte d’union fédérale multiculturelle et impériale. D’autres, comme le chef du gouvernement prussien, expriment la nécessité d’une Petite-Allemagne culturellement homogène et ethniquement germanique. Finalement, la deuxième option sera imposée à la suite de la victoire prussienne de Sadowa et aux enseignements politiques de 1848.

La France, victime collatérale du militarisme prussien

1870. La Prusse est la puissance dominante de l’Europe centrale. Tout au long du XIXème siècle, le royaume de Guillaume Ier a connu une irrésistible ascension contre l’Allemagne et contre l’Autriche. Désormais à la tête d’une confédération qu’elle domine, la Prusse de Bismarck est plus que jamais décidée à unifier l’Allemagne pour son propre compte et ainsi laver l’affront d’Iéna et Auerstedt. Mais comment réaliser l’unité allemande autrement que par la guerre ? Le conflit militaire armé est la seule voie car aucune nation ne s’est jamais construite autrement que par le triomphe guerrier. C’est décidé, la victime de l’ambition prussienne sera la France de Napoléon III. Centre du monde occidental par son rayonnement culturel, économique et politique, le Second Empire est une cible de choix. Combattre un Bonaparte, vaincre les descendants de la Grande Armée, profiter de la faiblesse militaire d’une nation en pleine mutation ; quoi de mieux pour la Prusse ? Mais comment liguer les États allemands du Sud à la cause prussienne ? Certes, ceux-ci sont liés par des traités défensifs comme offensifs depuis 1866 mais rien n’indique qu’ils prendront les armes contre Paris.

« C’est décidé, la victime de l’ambition prussienne sera la France de Napoléon III »

La stratégie prussienne va ainsi opérer en deux temps. Premièrement, Berlin multiplie les provocations en dénonçant les manœuvres diplomatiques et territoriales de l’empereur Napoléon III. En effet, ayant renoncé aux conquêtes militaires, ce dernier a adopté une politique des pourboires vis-à-vis de territoires revendiqués par la France depuis des années comme la Savoie ou Nice qui sont ainsi annexés pacifiquement en 1860 lors de la guerre d’unification italienne. En 1866, l’Empereur des Français avait négocié l’annexion de la rive gauche du Rhin avec Bismarck pour garantir la neutralité de la France dans le conflit austro-prussien. En révélant publiquement l’attitude impériale aux États allemands rhénans ainsi qu’à la Bavière, l’indignation avait fait gagner l’adhésion et le soutien. Ne restait plus qu’à déclencher une guerre défensive contre la France. Bismarck instrumentalise la crise dynastique espagnole (1868-1870). Paris, redoutant un encerclement rappelant Charles Quint, monte au créneau et la diplomatique française réclame ainsi l’abandon des prétentions prussiennes sur l’Espagne. Ce sera chose faite, mais Bismarck détourne et falsifie les comptes-rendus de l’entrevue d’Ems. Dépeints sous un trait méprisant, les Français sont humiliés et discrédités auprès des grandes cours européennes. La guerre est désormais sur toutes les lèvres. Bientôt, la France va devenir la victime collatérale des ambitions prussiennes.

Poussé par les républicains et les bonapartistes nostalgiques de l’autoritarisme initial du Second Empire, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse qui est immédiatement assistée par les États allemands du Sud et la Confédération. Deux mois plus tard, l’Armée française, mal commandée et impréparée est défaite à Sedan. L’Empereur est fait prisonnier. La Troisième République est proclamée. La guerre, pourtant perdue, se poursuit, menée par le nouveau gouvernement. L’armistice sera signé en janvier 1871 cependant que l’Allemagne impériale est proclamée dans la galerie des Glaces de Versailles – ultime humiliation envers la France défaite. Mais ce n’est pas tout : pour avoir continué le combat face à la Prusse, la République voit ses provinces historiques d’Alsace-Moselle annexées. Les réparations de guerre – s’élevant à 5 milliards de francs-or achève de ruiner la deuxième économie européenne qui s’acquitte toutefois de sa lourde tâche en seulement trois ans !

« Pour avoir continué le combat face à la Prusse, la République voit ses provinces historiques d’Alsace-Moselle annexées »