Coup d’État, une tradition française (2/2)

 
Paul Deroulede en 1877 -  Jean-Francois Portaels (1818-1895)

Paul Deroulede en 1877 - Jean-Francois Portaels (1818-1895)

 

France, 1er décembre 1851. Paris s’endort paisiblement alors que dans les bureaux de l’administration, jusqu’au sommet de l’État, tous s’affairent pour exécuter l’opération Rubicon. Tel César franchissant son destin, le président de la République Louis-Napoléon Bonaparte vient de donner l’ordre d’arrêter tous les opposants royalistes qui menacent d’un coup d’État contre son autorité légitime. Un an plus tard, le Second Empire français est proclamé avec à sa tête Napoléon III. Ce coup d’État est fondamental dans l’Histoire nationale car il va conditionner la vie politique pour le siècle à venir. La République, victime collatérale de l’affrontement entre une Assemblée monarchiste et un président bonapartiste, saura se rappeler des causes de sa destruction…

Le coup d’État, crime suprême envers l’État et le peuple

De la Révolution au Second Empire, le coup d’État est unanimement perçu comme l’ultime recours pour sauver les institutions « en danger ». Mais le coup de force de Napoléon III change la donne en cela que la Troisième République qui succède au Second Empire dénigrera cette action, la transformant en crime ultime. Pourtant, c’est bien d’un coup d’État que naissent les institutions du troisième régime républicain français, le 4 septembre 1870. Malgré cela, malgré la répression sanglante de la Commune de Paris en 1871, malgré les tensions entre monarchistes et républicains à l’Assemblée, la République française ne sera plus inquiétée pendant trois décennies. L’heure est à la reconstruction du pays et la préparation de la revanche contre l’Allemagne.

Pourtant, le 23 février 1899, un certain Paul Déroulède, militant nationaliste, patriote revanchard et député de la Charente, profite des obsèques du président de la République Félix Faure pour marcher sur l’Élysée et demander l’application stricte des lois constitutionnelles de 1875 qui se rapprochent beaucoup des institutions proposées pour la future Cinquième République. En effet, depuis 1877 et le succès électoral des républicains qui les pousse aux responsabilités, ceux-ci ont de facto transformé le régime en régime d’assemblées : le parlementarisme. Instable, secoué par de nombreux scandales dont la fameuse affaire Dreyfus, ce parlementarisme est critiqué pour son inefficacité à préparer la revanche contre l’Allemagne. Déjà par le passé, le général Boulanger avait demandé les mêmes réformes que Déroulède, sans succès.

Ce sera la dernière tentative illégale de transformer la Troisième République. Investi légalement des pleins pouvoirs par l’Assemblée, le 10 juillet 1940, le Maréchal Philippe Pétain en viendra à un coup de force avec la promulgation des Actes constitutionnels du régime de Vichy. La République est suspendue et seule subsiste l’État français.

Dernières répliques et bilan

Après la Seconde Guerre mondiale, la France connaît une stabilité toute relative au gré du parlementarisme exacerbé de la Quatrième République. Les guerres coloniales en Indochine et au Maghreb démontrent l’inefficacité du régime à gérer les problèmes de fond. Face au péril, des généraux font sécession et en appellent au retour du Général De Gaulle au pouvoir. Manœuvrant en sous-main, le héros de 1940 est investi des pleins pouvoirs et peut enfin mener à bien la réforme constitutionnelle voulue depuis 1877 : la Cinquième République. Mais son action vis-à-vis de l’Algérie française déçoit parmi ses plus fervents admirateurs. Le 21 avril 1961, quatre généraux de l’Armée française s’emparent d’Alger et menacent d’envahir le Continent pour défendre leurs convictions coloniales. Le président De Gaulle réagit fermement et retourne les troupes de conscription contre les officiers. Ce sera la dernière tentative de prendre le pouvoir par la force en France.

Le coup d’État en France a bien évolué depuis la Révolution. Auparavant perçu comme un moyen de « sauver » les institutions, il est rapidement considéré comme un crime et combattu avec énergie par les différents régimes républicains notamment. S’il a souvent contribué à restaurer l’ordre et la sécurité en France, ses dernières itérations n’ont eu pour conséquence que de susciter l’instabilité et le désordre politique ainsi que le terrorisme (exemple de l’OAS à partir de 1961). S’il reste inscrit dans le patrimoine historique français, le coup d’État semble aujourd’hui le propre des pays étrangers où l’instabilité institutionnelle demeure forte, en témoigne les changements soudains de gouvernement en Afrique, comme au Mali le 18 août 2020 par exemple…

Sources :

Le 18 Brumaire. Comment terminer une Révolution, Jean Tulard (1999)

Napoléon III, Pierre Milza (2004)

À l’heure du coup d’État, Parlement(s) : Revue d’histoire politique (2009)