Dassault Rafale : fleuron ou échec de l’industrie militaire française ?

 
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Dans le domaine aéronautique, la France a toujours excellé. Berceau de l’aviation, elle a vu naître des figures légendaires aux rangs desquels Clément Ader, Louis Blériot, Antoine de Saint-Exupéry ou encore Marcel Dassault. Ce dernier, né Bloch en 1892, est à l’origine d’une des entreprises les plus compétentes dans le domaine aérien : Dassault Aviation. Fondé en 1929 sous le nom Société des avions Marcel Bloch, ce grand groupe est à l’origine d’appareils militaires renommés pour leur efficacité et leur haut degré de technicité comme la famille des Mystère ou des Mirage. Aujourd’hui partenaire quasi-exclusif de l’armée de l’Air française, Dassault peine à convaincre avec son dernier-né, le Rafale. Développé au cours des années 1970, cet avion de combat multirôle a connu bien des déboires avant même sa mise en service opérationnel au sein de la Marine nationale (2001) puis des forces aériennes (2006). Pointé du doigt pour son coût de développement et les peines affichées à le vendre, le projet Rafale a pourtant démontré sa puissance et son potentiel dans la guerre aérienne du XXIème siècle. Comment expliquer ce décalage entre les performances opérationnelles exceptionnelles et les nombreux déboires du projet français ?


Un développement long, coûteux et indécis

Les premières traces du projet Rafale datent des années 1970. À l’époque, un nouveau chasseur français entre en service, le Mirage 2000. Vif et puissant, c’est le premier avion de combat national de la génération post-Vietnam. Dans une logique d’anticipation, l’armée de l’Air pense déjà à son successeur qui devrait entrer en service dans les années 1990. Bien qu’il fût un succès technique, opérationnel et commercial indéniable, le Mirage 2000 accuse plusieurs défauts. D’abord, c’est un avion monoréacteur, inadapté aux risques des champs de bataille modernes – la destruction de son seul moteur entraînant la perte de l’appareil. C’est d’autant plus dommageable que ses versions d’attaque au sol (versions D et N) sont amenées à opérer à très basse altitude, au plus près du danger. Ensuite son manque de polyvalence, ayant entraîné la naissance de versions dédiées à des missions spécifiques (attaque au sol, dissuasion nucléaire…), fait cohabiter une mosaïque de systèmes d’armes et d’avioniques disparates – donc des coûts d’entretien et de mise à jour supplémentaires.

Fin 1977, la France propose à ses partenaires européens le lancement d’un projet destiné à produire un avion de combat multirôle. Si Bonn, Madrid, Rome ou encore Londres se montrent intéressés, se posent plusieurs problématiques insolubles. D’une part, les Européens exigent une compatibilité technologique avec l’armement américain dans le cadre de l’OTAN. D’autre part, la France vise à développer une version navalisée de ce nouveau chasseur dans l’optique de remplacer ses Vought F-8 Crusader vieillissants – loin de renoncer à sa composante aéronavale. Un autre élément va venir porter atteinte au projet communautaire, les nouveaux appareils américains F-16 Fighting Falcon et F/A-18 Hornet. Petits, polyvalents, peu coûteux à entretenir et intégrés dans la logique atlantique, ces chasseurs modernes questionnent la pertinence d’un développement intra-européen. À quoi bon mettre des milliards de crédits alors que Washington s’occupe de tout ?

Le divorce est proclamé en 1985. La France s’occupera seule du développement de l’avion de combat du futur (ACX). La même année, Dassault Aviation propose son démonstrateur technologique, le Rafale A. Bimoteur, équipé de plans canards permettant des manœuvres plus serrées, il impressionne mais que donne-t-il en vol ? Le premier vol intervient le 4 juillet 1986 à Istres. Dès ce premier vol, l’avion passe le mur du son et atteint l’incroyable vitesse de Mach 1,3 (env. 1500 km/h). Face au projet concurrent européen, le futur Eurofighter, le prototype du Rafale stupéfait déjà par ses prouesses aériennes. Mais un problème de taille se pose : la Marine nationale s’inquiète des retards de développement que l’aventure européenne a fait prendre au projet. Le prototype navalisé n’apparaît qu’en 1991. Il reste moins d’une décennie pour obtenir un avion certifié et opérationnel… Il est même un temps envisagé l’achat de F/A-18 Hornet américains pour garantir la continuité de la mission de défense aérienne des groupes aéronavals Foch, Clemenceau et bientôt Charles de Gaulle.

« Ce sera un avion mondial »
— Marcel Dassault, 1985

Le miracle technologique et opérationnel

Malgré de nombreuses critiques médiatiques, politiques et internationales, le Rafale met fin aux polémiques. Livré à la Marine nationale en toute hâte, la version M1 démontre sa puissance. Pour le moment, il ne s’agit que d’un standard air-air, incapable de missions d’attaque au sol encore assurées par les Super-Étendard. Mais progressivement, le Rafale remplit toutes les clauses du cahier des charges. En 2005, le standard F2 permet l’utilisation de missiles de croisière SCALP, d’armements air-sol guidés par laser (AASM), ainsi que le remplacement des vieux missiles air-air Magic par les performants Missiles d’Interception, de Combat et d’Autodéfense (MICA). L’année suivante, c’est à l’armée de l’Air de déclarer le début du service opérationnel pour les versions monoplaces C et biplaces B. En 2009, le Rafale obtient le standard F3, synonyme de capacité de tir nucléaire. En 2018, le standard F3R permet la désignation autonome de cibles par une nacelle laser ainsi que l’emploi du nouveau missile air-air longue portée Meteor.

D’un point de vue opérationnel, l’avion participe aux conflits en Afghanistan (2007-2014), en Libye (2011), au Mali (2013-2016), en Irak (2014) ou encore en Syrie (2015-2018). Très vite, ses capacités martiales sont saluées et reconnues de tous. Dans le cadre d’entraînements interalliés, il n’est pas rare de voir briller les pilotes et avions français même face aux Américains. Sa polyvalence et sa capacité d’emport l’ont rapidement transformé en « machine à tout faire » de l’armée française. Régulièrement mis à niveau au travers de nombreux standards, le Rafale est destiné à continuer son service au moins jusqu’en 2035-2040 où il devrait être remplacé par le projet SCAF développé en coopération avec plusieurs pays d’Europe – à moins que son propre historique de développement ne vienne à se reproduire...

Le Rafale est un excellent avion, apprécié de ses équipages et admiré à travers le monde. Pourtant, il peine à conquérir les marchés étrangers. Comment expliquer une telle déconvenue ?

Face au Rafale français, l’Amérique

La France est l’un des seuls producteurs d’aéronautique militaire autonome d’Europe avec la Suède. Dans une logique européiste, il aurait une place de choix au sein des nombreuses armées du continent. Pourtant, dans les faits, aucun pays d’Europe à l’exception de la France ne l’emploie actuellement. Pourquoi ?

Acheter le Rafale, c’est acheter une doctrine et un système français. Or, dans le cadre de l’OTAN, c’est également s’ériger face aux appareils et armements américains – au risque de perdre la protection de Washington. Si la France peut se le permettre, seule puissance nucléaire indépendante d’Europe, les autres nations n’ont guère le choix. On retrouve aisément cette logique dans la décision allemande de remplacer sa flotte aérienne vieillissante par des Super Hornet américains plutôt que des Rafale français. Dès lors, l’avion de Dassault n’est plus choisi que dans l’optique d’établir un compromis diplomatique comme en témoignes les acquisitions de l’Égypte, du Qatar ou de l’Inde. Et finalement, seule la Grèce semble jouer le jeu de l’alliance française sur l’alliance américaine pour contrer la Turquie en Méditerranée orientale.

Pour résumer, l’échec industriel du Rafale est moins le fait de ses compétences propres que celui d’intérêts stratégiques et diplomatiques divergents voire antagonistes vis-à-vis de Paris. Les blocages américains et leur influence dans le domaine de l’armement, brident fortement toute initiative d’émancipation technologique ou doctrinaire – laissant peu d’espoir pour une Europe unie et indépendante, peu d’espoir aussi pour le projet SCAF devant remplacer le Rafale… Tous ces éléments laissent à penser que le prochain fleuron des forces armées françaises sera bien français et non européen.