Du mandat impératif en France

 
Ouverture des États généraux à Versailles, 5 mai 1789 - Auguste Couder, 1839, musée de l'Histoire de France (Versailles).

Ouverture des États généraux à Versailles, 5 mai 1789 - Auguste Couder, 1839, musée de l'Histoire de France (Versailles).

 

France, 5 mai 1789. Les États-Généraux sont réunis pour la première fois depuis 150 ans par le roi Louis XVI, confronté aux difficultés financières de l’État. Cette assemblée des trois ordres traditionnels du Royaume de France – noblesse, clergé et tiers-état – sera également la dernière d’une longue tradition politique française : le mandat impératif, remplacé par la représentation nationale.

Créée sous Philippe le Bel, l’institution des États-Généraux permettait au roi d’outrepasser les anciennes coutumes féodales. Conseil le plus large possible, cette assemblée reposait sur deux principes fondamentaux : le nécessaire consentement de la population aux lois et son rôle consultatif vis-à-vis du roi – un « référendum » avant l’heure. Chose notable, les députés ainsi élus étaient porteurs des messages de leurs électeurs et non représentants d’un territoire ou d’un groupe social. Ce mandat impératif peut ainsi être qualifié de tradition politique française en opposition au mandat représentatif développé outre-Manche par la monarchie anglaise puis britannique. Ainsi, en outrepassant leurs prérogatives institutionnelles, les députés de la première Assemblée nationale ont imposé une vision anglo-saxonne aux institutions naissantes de la Révolution.

« En outrepassant leurs prérogatives institutionnelles, les députés de la première Assemblée nationale ont imposé une vision anglo-saxonne aux institutions naissantes de la Révolution »

Pourtant, le succès du modèle représentatif n’était pas assuré d’avance. Au sein des Lumières, certains, comme Jean-Jacques Rousseau, défendaient un régime régi par la démocratie directe et un fonctionnement impératif des mandats civiques. Pour le penseur du Contrat social, la souveraineté est l’expression de la volonté nationale. Or, celle-ci ne pouvant être aliénée, elle ne peut pas non plus être représentée autrement que par des commissaires. Cette vision s’exprimera clairement dans la Constitution de l’An I (1793), votée mais jamais appliquée en France, qui prévoyait un régime républicain unitaire, centralisé, fondé sur le principe de souveraineté populaire et de démocratie directe. De même, elle sera fondamentale dans la compréhension du référendum français, sorte de mandat impératif donné à chaque citoyen lors d’une consultation nationale – expression de la volonté souveraine relative à une question posée par le pouvoir napoléonien ou gaullien.

Mis à part les vœux pieux de la Convention et les consultations référendaires, le mandat impératif n’a pas connu de succès particulier en France où deux siècles de tradition parlementaire ont triomphé au sein des institutions politiques. De même, il semble difficile à appliquer autrement qu’en théorie, en témoignent sa présence dans les systèmes communistes de l’Union soviétique et de la Chine populaire. Néanmoins, certains mécanismes présents dans le système américain laissent supposer une application pratique comme les procédures d’impeachment ou de recall à condition d’établir un seuil limite de déclenchement suffisamment bas pour permettre une réelle efficacité dans les faits.

En somme, le mandat impératif est historiquement propre à la France et s’oppose au mandat représentatif d’inspiration anglo-saxonne. Alors que la population française se désintéresse de plus en plus de la politique qu’elle estime lointaine et inefficace, la réintroduction de cette tradition institutionnelle pourrait redonner une force nouvelle à une conception politique qui a montré et démontré ses failles inhérentes.