Données et Vie Privée - Le Nouvel Eldorado : Les Big Datas (2/3)

 
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Un nouveau business model

Aujourd’hui la majorité de la population mondiale surf sur internet. D'après le Digital report 2019, plus de 4,39 milliards de personnes dans le monde avaient accès à Internet l’année dernière, contre 4,05 milliards en 2017, soit une augmentation de 8,4%. En 2008, on ne recensait que 1,57 milliard d'internautes !

Facebook compte plus de 2 milliards de profils, soit plus d’un être humain sur quatre. Cette présence massive est due à une démocratisation de l’accès à Internet, et surtout à sa gratuité. Mais cette absence de coûts pourrait s’expliquer au travers de l’adage « si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit ». Alors que Mark Zuckerberg et son réseau social remplaçaient doucement mais sûrement les Myspace et MSN de l’époque, depuis largement tombé dans l’oubli, très peu de gens suspectaient ce qui se tramait et se trame toujours derrière le fil d’actualité. Le business model de Facebook, et même par extension de Google, est plutôt simple : un service gratuit pour l’utilisateur en échange de ses informations personnelles vendues à des tiers. Ces tiers sont la plupart du temps des entreprises qui se servent de ces données pour cibler les utilisateurs les plus susceptibles d’être touchés par leurs produits, via des publicités. En adoptant une logique commerciale, cela peut parfaitement se comprendre : en augmentant le nombre d’informations sur les clients potentiels la marge d’erreur se réduit et ainsi, les compagnes publicitaires ont plus de chances de démarcher les « bonnes personnes ».

 

La mort de l’anonymat ?

Ce business model pose cependant de nombreux problèmes. Parmi ces tiers, tous ne respectent pas les lois en vigueur. Certains n’ont pas un objectif commercial mais politique, comme l’illustre parfaitement le scandale Cambridge Analytica, et peuvent influencer des scrutins aussi vitaux que l’élection présidentielle américaine de 2016 et le Brexit. Mais le plus grand problème reste la mort de la vie privée. Chaque information, chaque interaction, chaque avis émis sur des plateformes telles que Facebook ou Google devient une donnée.

Même sous couvert d’anonymat, personne ne peut se cacher. En croisant plusieurs points de données (i.e. une information attachée à un individu, comme une destination GPS, une date d’anniversaire, une adresse, un facteur physique comme la taille…) il est de plus en plus facile de passer outre un pseudo ou une absence d’identification. D’après l’excellent rapport de l’Institut Montaigne, Données personnelles : comment gagner la bataille : « seulement cinq points de données disponibles sur 210 populations différentes permettent de désanonymiser une personne dans 84% à 97% des cas ». Peu importe votre utilisation d’Internet ou des réseaux sociaux, chacun d’entre nous a déjà cédé, consciemment ou non, au moins 5 points de données. Au-delà de ces 5 points, le rapport précise qu’à l’aide de « 15 points de données, il est possible de réidentifier 99,98% des américains ».

Certes la conception de la vie privée ou de l’anonymat n’est pas la même en Amérique du Nord, en Europe ou en Asie, mais comme nous le verrons, les citoyens des Etats-Unis sont bien plus protecteurs de leur vie privée que nous le pensons en Europe.

Un Combat perdu d’avance ?

Dans un monde où les Etats abandonnent de plus en plus leurs prérogatives régaliennes aux profits de grandes sociétés, la vie privée devient un enjeu majeur. Un exemple frappant de la fuite de leurs responsabilités des gouvernements se trouve au Canada, à Toronto exactement, où Google (appelé Alphanet depuis 2015) et sa branche concentrée sur l’urbanisme intelligent (Sidewalk Labs) ont trouvé un accord avec la ville pour répondre à un appel d’offre afin de réaménager un quartier entier. La ville, la province et par extension l’Etat quitte sciemment ses obligations en laissant le soin à une société privée de réorganiser le quartier. Truffé de capteur, Sidewalk Labs promet un quartier paradisiaque où la technologie est au service de l’Homme, et non le contraire. Cet exemple n’est que le premier d’une longue liste à venir et permet à l’un des GAFA de prendre littéralement le contrôle d’une partie de l’espace public.

Outre le fait que le nombre de points de données risque d’exploser, le monopole dont Google jouira dans ce quartier sera sans égal ! Alors que la société a fait l’objet d’une sanction de la part de l’Autorité de la Concurrence en France pour abus de position dominante le 20 décembre 2019, son influence, voire son omnipotence pose déjà de sérieux problèmes en termes de concurrence ; sans parler bien évidement en termes de vie privée.

Face à cet envahissement de notre vie privé, l’Europe a, par l’intermédiaire de Margrethe Vestager commissaire à la concurrence sous la commission Juncker, réagi en promulguant le Règlement Général sur la Protection des Données. Le vieux continent a su tardivement prendre en main cet aspect de la révolution industrielle 4.0. Petit à petit, à l’image de la taxe française sur les GAFA, les Etats commencent à s’emparer du problème. Face à ces entreprises défendant une liberté presque totale, qualifiées à juste titre de libertaires (terme désignant les « personnes, courants, mouvements, structures, organisations, etc., qui prônent une liberté absolue fondée sur la négation du principe d'autorité dans l'organisation sociale et le refus de toute contrainte découlant des institutions fondées sur ce principe) cherchant sans cesse à se passer de l’Etat mais ne pouvant pas vivre sans lui. Les bénéfices engrangés par Amazon proviennent uniquement de ses contrats de Cloud (stockage de données) passé avec des institutions étatiques telles que le FBI ou la CIA.

Dans le but de prendre les meilleures garanties pour s’assurer qu’aucune d’entre elles n’est trop puissante, ou « too big too fail », ou puisse se permettre de faire du profit sans respecter les règles souhaitant par des habitants qui sont d’abords des citoyens avant d’être des clients ; il est impératif de comprendre la solution choisie par l’Europe, mais aussi d’analyser comment les pays protègent les données de leurs citoyens. Après avoir retracé l’avènement des sacro-saintes données, il est nécessaire de comprendre les enjeux de demain et pourquoi il est vital que chaque Etat soit maître des informations produites par ses citoyens. Plusieurs politiques étatiques seront ainsi étudiées : l’Inde, la Chine, les Etats-Unis, la Russie, le Japon notamment.

 

Enfin, il nous semble essentiel, comme le propose le rapport de l’Institut Montaigne dont nous vous recommandons la lecture, de concilier trois objectifs paraissant antagonistes : la protection des personnes physiques, l’objectif commercial des entreprises, et l’Etat à travers les exemptions pour exigences légales.

 

 

Sources :

https://francais.rt.com/economie/58376-davos-cest-quoi-juste-quatrieme-revolution-industrielle

https://www.sentryo.net/fr/quand-revolutions-industrielles-amenent-industrie-4-0/

https://www.quora.com/What-is-a-data-point

https://www.definitions-marketing.com/definition/data-point-en-geolocalisation/

https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/article/google-sanctionne-150-millions-deuros-pour-abus-de-position-dominante