Et le coronavirus sauva la Belgique...

 
Sophie Wilmès, Premier Ministre belge depuis le 27 octobre 2019 - Belga / AFP

Sophie Wilmès, Premier Ministre belge depuis le 27 octobre 2019 - Belga / AFP

 

«Lorsque je me mis à la tête des affaires, la France se trouvait dans le même état que Rome lorsqu'on déclarait qu'un dictateur était nécessaire pour sauver la République» déclarait Napoléon. Aujourd’hui, la première femme Premier ministre de l’Histoire belge pourrait paraphraser l’Empereur : «Lorsque j’ai été mise aux affaires, la Belgique se trouvait dans un état tel qu’un Etat fédéral était nécessaire pour sauver les Belges.» 

LA BELGIQUE, HOMME PARALYSE DE L’EUROPE

Les élections générales (fédérales, régionales, communautaires et européennes) de mai 2019 ont mené la Belgique dans une situation politiquement compliquée. Au nord, la Flandre a vu un retour des nationalistes (plutôt populistes) du Vlaams Belang (VB) déborder sur leur droite les nationalistes (conservateurs) de la Nieuwe Vlaamse Alliantie (NVA). Les autres partis chrétiens-démocrates (CD&V), libéraux (Open-VLD), socialistes (SPA)… sont marginalisés. Au sud, en Wallonie et à Bruxelles, on a assisté à une entrée des communistes du PTB dans tous les parlements alors que les partis «traditionnels» socialistes (PS), libéraux (MR), chrétiens-démocrates (CDH) et écologistes (Ecolo) s’équilibrent en nombre de députés.

Comme de coutume, ce sont les partis arrivés en tête qui ont pris la main des négociations dans les entités fédérées. La NVA en Flandre et le PS en Wallonie et à Bruxelles. Après avoir échoué à constituer une union de la gauche avec le PTB et Ecolo, le PS a dû faire appel à son rival libéral pour constituer une majorité tripartite PS-MR-Ecolo en Wallonie. Dans la Région capitale, les socialistes ont réussi à maintenir les «bleus» (couleur du MR) dans l’opposition en s’alliant avec Ecolo et Défi (un parti social-libéral bruxello-centré). Les chrétiens-démocrates, usés par vingt de complaisance avec les socialistes, rejoignent les bancs de l’opposition avec les communistes.

En Flandre, paradoxalement réputée pour sa rapidité «germanique», Bart De Wever, le tout-puissant président de la NVA, a fait traîner les négociations pendant trois mois. Après avoir tenté de briser le cordon sanitaire pour former une majorité avec le VB, il a dû renoncer, aucun autre parti ne souhaitant s’associer à «l’extrême-droite». Finalement, le gouvernement flamand se compose de la précédente majorité NVA-Open-VLD et CD&V.

En conséquence, la Belgique était divisée en deux : une majorité de centre-droit  (très à droite) en Flandre et une majorité de centre-gauche (penchant assez au centre) en Wallonie et à Bruxelles.

Compliqué vous pensez ?

Au niveau fédéral, la majorité sortante se retrouve en minorité (38 sièges sur 150) et chargé d’expédier les affaires courantes en attendant qu’un nouvel exécutif soit formé. Pis encore, le Premier ministre Charles Michel (MR) est désigné sur ces entrefaites président du Conseil européen. Si cette nomination peut rendre fier et témoigne du rôle de négociateurs et d’arbitres des Belges dans les institutions internationales, elle donne au peuple l’impression d’un capitaine qui quitte le navire…. Impression d’autant plus renforcée quand c’est le très expérimenté ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Didier Reynders (MR) qui est nommé commissaire européen à la Justice. Le «16 rue de la Loi» (l’équivalent belge de Matignon) échoit alors à une discrète ministre du Budget : la libérale Sophie Wilmès, une proche du Premier ministre sur le départ….

Comme c’est sa prérogative, c’est au Roi que revient, pour le niveau fédéral, la tâche de faire former un gouvernement. A cet effet le monarque nomme des formateurs, des préformateurs ou des informateurs. Concrètement, cela prend la forme soit d’un président de parti le plus capable de rassembler une coalition ou bien d’un «sage» de la politique qui pourrait trouver des convergences entre partis.  

Or, pour cette période, le Roi Philippe a chargé pas moins de dix personnalités différentes de trouver des possibilités d’alliances entre partis… Et chacune a échoué à rassembler une majorité. Ne nous attardons pas sur les dispositifs possibles mais retenons plutôt les points d’accrochage qui paralyse le royaume : le CD&V refuse de monter dans une coalition sans la NVA, estimant qu’il faut une majorité au sein du groupe flamand au Parlement fédéral ; le PS et les écologistes (du nord et du sud) refusent de discuter avec les nationalistes flamands ; les extrêmes (PTB et VB) sont exclus des négociations.

Bref, les négociations piétinent. En l’absence d’un gouvernement fédéral de plein exercice et réduit à portion congru, beaucoup estime alors que les entités fédérées devraient être davantage renforcée.

LA COALITION CORONA

Débutée en janvier en Chine, le virus Covid-19 commence à se répandre en Belgique à partir de février. A ce moment-là, le personnel médical et les spécialistes prédisent une catastrophe sanitaire si rien n’est fait… Et la Belgique apparaît en ordre dispersé : il y a en effet 9 ministres compétents en matière de santé publique ! Et, aucun n’a autorité sur les autres, pas même la ministre fédérale… Des mesurettes sont prises de manière hétérogène dans les différentes régions.

Le 12 mars, alors que la crainte d’une hécatombe à l’italienne se répand dans toutes les parties du pays, un Conseil de sécurité nationale a lieu tard dans la soirée. A sa sortie, la Première ministre annonce que «le fédéral reprend la main» : la crise sera gérée sous la direction du gouvernement fédéral. Des mesures fortes sont prises pour limiter l’épidémie et un appel à la solidarité nationale est lancé.

Au sein de la population, les mesures sont acceptées avec résignation mais civisme. Unanimement, la prise de contrôle par le gouvernement fédéral est bien saluée. Il y a désormais un capitaine à la barre du bateau Belgique ! Plus encore, pour sa première intervention fortement médiatisée, la Première ministre laisse une bonne impression aux Belges. On la découvre compétente, empathique et rassembleuse. «Là où croît le danger croît aussi la solution.» 

L’idée d’un gouvernement d’urgence pousse dans les jours qui suivent les partis à réagir. La NVA se rapproche du SPA et du PS. Mais, loin de penser à une union nationale, les nationalistes veulent prendre la tête d’un gouvernement qu’ils conspuent…. Les échos de ces négociations filtrent et les réactions de toutes les couches de la société tombent : «on ne change pas de général en pleine bataille», «KeepSophie» deviennent viral sur les réseaux sociaux.

Qui plus est, le PS ne souhaite absolument pas monter dans un gouvernement avec la NVA, quitte à devoir renoncer à des ministères.

Finalement, le lundi 16 mars, le Roi charge la Première ministre de former un gouvernement de plein exercice. L’équipe exécutive reste la même. Mais, neuf partis lui accordent leur confiance. Seuls le PTB, la NVA et le VB ont voté contre.

Le gouvernement fédéral de plein exercice reçoit en outre les pouvoirs spéciaux pour une durée de trois mois (renouvelables) pour la gestion économique, sécuritaire et sanitaire de la crise du covid-19.

Désormais, la Belgique ne parle que d’une seule voix. Il n’y a plus qu’un seul centre de décision bien que les entités fédérées conservent des prérogatives sous leadership fédéral. Toutes les Régions du royaume travaillent dans la même direction. A force de se côtoyer, peut être certains s’entendront pour prolonger cette expérience….

Perdu depuis des décennies dans des réformes de l’Etat inutiles et coûteuses, la Belgique se cherchait dans ses présidents de partis un homme d’Etat pour rendre au pays un statut digne des efforts de son peuple. Ce pourrait-il que cet homme soit en fait une femme d’Etat ?