INDE : FUTURE PUISSANCE MONDIALE (4/4)

 
Rencontre entre le président Macron et le premier ministre Modi. Le Français entend soigner sa relation stratégique avec l’Inde. - PTI

Rencontre entre le président Macron et le premier ministre Modi. Le Français entend soigner sa relation stratégique avec l’Inde. - PTI

 

L’EUROPE : UNE SOLUTION POUR L’INDE ?  

Comme nous l’avons précédemment vu, l’Inde possède un immense potentiel. Démographiquement, le pays dépassera la Chine et deviendra numéro un mondial d’ici à 2030. Son marché intérieur lui procure de nombreux arguments pour attirer les investissements étrangers, et la libéralisation de ses règles vont indubitablement séduire les grands groupes cherchant sans cesse de nouveaux marchés. Économiquement, l’initiative « Make in India » permettra d’accélérer la production du pays. La transition dans le monde numérique au travers de « Digital India » assurera la souveraineté virtuelle du pays et il faut admettre de que l’Inde est beaucoup plus indépendante des GAFA que l’Europe, et même que le reste du monde ; à l’exception d’une poignée de pays comme la Chine ou la Corée du Nord.  

Ce sont bien ses capacités propres, ses différences qui fondent l’identité indienne. Sa géographie et son histoire font de l’Inde un acteur incontournable du XXIème siècle. Durant toute son histoire le pays fut une des cinq grandes puissances du monde ; une place qu’il cherche à retrouver notamment via une place au Conseil de Sécurité de l’ONU, et qu’il ne risque pas d’obtenir puisque la Chine impose systématiquement son véto aux ambitions indiennes. L’Empire du Milieu conteste toute volonté de domination régionale de l’Inde, et avant de pouvoir étaler sa puissance le pays doit s’assurer une domination, ou au moins l’assurance de ne pas être dépendant de la politique chinoise. Ce duel de géants constituera la deuxième partie de ce quatrième et dernier article sur l’Inde, avant de terminer sur les rapports entre France et Inde, et par extension entre l’Europe et l’Inde. Mais tout d’abord, il faut à nouveau aborder la relation fratricide que le pays entretien avec son voisin : le Pakistan.

INDE – PAKISTAN : UN COMBAT FRATRICIDE 

Le nom d’Imran Khan ne vous dit sans doute pas grand-chose, mais dans l’univers indo-pakistanais cet homme est (était ?) un demi-dieu. En Europe, le sport est une activité très populaire, certains plus que d’autres, et mis à part en Angleterre, le cricket est très loin de faire vibrer les foules. La colonisation de l’empire des Indes a eu certaines conséquences inattendues : l’Inde et le Pakistan sont mordus de cricket. Avec la coupe du monde de football et le superbowl (144 millions de spectateurs), la coupe de monde cricket est l’évènement sportif le plus suivi au monde (plus d’un milliard spectateurs). Fort de ses deux populations, l’Inde et le Pakistan constituent la très grande majorité des spectateurs et les deux pays se déchaînent à chacune de leur rencontre. En 2011, une rencontre à Manchester a même dû être interrompue. Imran Khan est le plus grand joueur de cricket de l’histoire du Pakistan. En 1988 le président du Pakistan lui-même (Muhammad Zia-ul-Haq) lui demande, à 39 ans, de rejoindre à nouveau l’équipe après une première retraite. Lors de la coupe du monde de 1992 l’impensable arriva : le Pakistan défait l’Inde pour la première fois de son histoire, et remporte la coupe du monde. Imran Khan devient un dieu vivant pour tout un peuple. Fort de cette aura, il se présente en politique et devient président en 2018. Depuis, la réalité et la complexité de la fonction ont rattrapé sa popularité. En proie à des troubles intérieurs et à son fond de faible croissance d’inflation et de dévalorisation de la monnaie, le pays connaît ses premières grandes manifestations depuis l’élection de son ancien héros. Comme tout homme politique, lorsque l’intérieur du pays commence à manifester, le président agite la menace extérieure afin de fédérer ses citoyens, et, comme depuis le début de l’histoire du Pakistan, la menace extérieure est l’Inde.  

Un article de la revue scientifique « Science Advances » a fait grand bruit en octobre 2019. Les chercheurs du magazine ont imaginé un scénario catastrophe : en 2025 le parlement indien est attaqué et la plupart des dirigeants tués, le pays répond en renforçant sa présence par des chars dans le très contesté Etat du Cachemire, Islamabad utilise ses petites bombes nucléaires dites « tactiques ». Les deux pays s’échanges bombes sur bombes et l’étude prévoit la mort d’environ 125 millions de personnes, soit plus que la Seconde Guerre mondiale. Mais le pire concernerait le climat : l’arrivée dans l’atmosphère de colonnes de fumées noires rejetterait massivement de la suie absorbant les rayons de soleil, ce qui provoquerait la baisse de la température globale de 2 à 5 °C ainsi qu’une diminution de précipitation de 15 à 30 %. Fatalement cela entrainerait des pénuries alimentaires pouvant durer jusqu’à une décennie entière.  

Si tout le monde s’accorde à dire que ce scénario est peu probable, il a le mérite d’attirer l’attention sur le conflit entre les deux pays, possédant chacun l’arme nucléaire. Comme évoqué dans le scénario catastrophe, l’affrontement entre les deux états se cristallise au Cachemire. Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi n’hésite pas à revendiquer la souveraineté de cette zone du monde, notamment via la diffusion de cartes montrant le Cachemire comme partie intégrante de l’Inde. Mais un motif d’espoir subsiste : l’arrestation au Pakistan d’Hafiz Saeed. Considéré comme le cerveau des attentats de 2008 à Bombay ayant fait plus de 180 morts, l’Inde a salué la capture de son ennemi numéro 1, le 17 juillet 2019. Malgré ce « geste » d’Islamabad envers New Delhi, les tensions sont loin d’être retombées.  

La nouvelle carte du gouvernement indien montre également autre chose : la région de l’Aksai Chin.

INDE – CHINE : UN DUEL DE GÉANTS 

Perdue en 1962 suite à la guerre sino-indienne, l’Aksai Chin fait toujours partie intégrante du territoire indien pour les nationalistes hindous. Aucune surprise donc quant à son « appropriation » sur la carte produite par le gouvernement Modi. Celle-ci n’est que l’écho de l’Histoire, et surtout des relations tendues entre Chine et Inde. La Chine ne souhaite en aucun cas sentir son hégémonie menacée par son plus grand voisin. Si Xi Jinping n’a que faire de la domination démographique, l’économie est en revanche bien plus importante. Cette volonté de maîtriser l’Inde se retrouve notamment à travers une stratégie spécialement créée pour contenir l’Inde : le collier de perles. Cette tactique simple mais très efficace consiste en un encerclement de l’Inde (par le biais d’iles artificielles et/ou de traités avec ses voisins) afin de multiplier les points d’appui pour la marine chinoise. En encerclant son voisin, Pékin s’assure de sa docilité.  

Le très récent refus de l’Inde de rejoindre le Partenariat économique intérieur régional (RCEP) concernant l’Asie du Sud et principalement souhaité par Pékin démontre une nouvelle fois les relations acerbes entre les deux pays. Alors que les membres de l’ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’entendent pour créer cette nouvelle zone économique, l’Union des Indes refusent d’en faire partie. Modi estime qu’il n’obtient pas de réponse positive lorsqu’il « mesure l’accord RCEP au regard des intérêts de tous les indiens ». Le premier ministre le cache, mais cette décision est prise sous la peur de voir le marché indien inondé de produits chinois, ce qui fatalement ralentirait la croissance du pays. De plus, la balance entre les deux pays est loin d’atteindre l’équilibre : avec plus de 50 milliards de dollars de déficit avec la Chine, l’Inde ne souhaite pas abandonner ces tarifs douaniers, elle y perdrait plus qu’elle n’y gagnerait. Déjà indépendant des GAFA, le pays peut-il être indépendant de la seconde économie mondiale ?  Et si pour assurer son autonomie le pays se tournait vers l’Europe ?

INDE – EUROPE : UNE RELATION GAGNANT – GAGNANT  ?   

La relation entre l’Union des Indes et l’Union Européenne se développe principalement via deux pays : l’Allemagne et la France. Depuis 2011 et la mise en place de consultations germano-indiennes, les relations entre les deux pays n’ont cessé de se développer. L’économie allemande étant principalement basée sur l’exportation, le marché intérieur indien est incontournable. Mais les relations bilatérales entre les deux pays vont plus loin, ces dernières s’intensifient sur d’autres terrains (sportifs et culturels notamment). Une preuve de ce rapprochement réside au Conseil de Sécurité de l’ONU avec la création en 2005 du groupe des quatre : l’Inde, l’Allemagne, le Brésil et le Japon ont créé ce groupe de soutien mutuel afin d’obtenir une place au Conseil de sécurité.  

L’alliance entre l’Europe et l’Inde doit permettre de créer un axe ultra compétitif, principalement sur les enjeux de demain tel que la souveraineté numérique. Avec plus 1,8 milliard de consommateurs, n’importe quelle société pourrait plus que s’épanouir dans ce cadre. Angela Merkel a très récemment plaidé pour une 5G européenne, cet enjeu est des plus importants et il est urgent de proposer une solution autre que chinoise ou américaine. La Commission Von der Leyen souhaite une Europe forte et maître de ses données, et la présence de Margrethe Vestager au sein de cette commission semble indiquer une réelle volonté de ne pas voir la conduite européenne dictée par des entreprises étrangères.  

La France n’est pas en reste non plus. Les échanges entre l’Inde et le Pays des droits de l’Homme tirent leurs substances principalement de 2 types de marchés : les ventes d’armes et les centrales nucléaires. En 2016 les deux pays parviennent à un accord de 8,7 milliards de dollars pour la vente de 36 avions Rafale produits par l’entreprise Dassault. Même si l’accord est entaché de soupçons de corruptions, il prouve que le savoir-faire français continue de se vendre à l’étranger. Pendant plus de dix ans la France a négocié la vente de 6 centrales nucléaires de type EPR à l’Union des Indes ; l’accord n’est pas encore définitivement conclu mais tout semble indiquer qu’une ne s’agit que d’une question de temps. L’Inde est moins sensible au soft power français que peut l’être la Chine, mais son savoir-faire et son expertise peuvent tout à fait le remplacer.  

L’Inde marche doucement mais sûrement. La complexité sociale du pays a freiné son avancée mais c’est cette population qui constitue la force du pays. Un diplomate américain décrivait l’Inde comme « un chaos qui marche ». Son régime politique est un argument en sa faveur, contrairement à la Chine, et l’accroissement de ses relations internationales lui permettront d’équilibrer les forces en Asie du Sud, et par extension dans le monde. Les initiatives du gouvernement Modi semblent mettre le pays sur de bons rails, mais les inégalités et la corruption restent fortes. Il ne fait aucun doute qu’un jour l’Inde sera de nouveau dans le cercle fermé des 5 plus grandes puissances du monde. Sa culture doit servir son économie et non l’inverse. Le pays peut et doit représenter une alternative aux Etats-Unis, à la Russie, ou encore à la Chine ; alternative qui permettra à la France et l’Europe de s’affirmer plus fortement au sein du monde.  

 

 Sources :

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/environnement-guerre-nucleaire-seraient-consequences-planete-77798/  

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/04/au-pakistan-des-milliers-de-manifestants-demandent-le-depart-d-imran-khan_6017959_3210.html 

https://www.courrierinternational.com/grand-format/cartographie-comment-linde-sempare-du-cachemire  

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/18/au-pakistan-le-premier-ministre-imran-khan-fait-arreter-un-terroriste-de-premier-plan_5490769_3210.html 

https://www.deutschland.de/fr/news/angela-merkel-en-voyage-a-new-delhi  

https://www.lemonde.fr/international/article/2005/05/17/le-g4-propose-un-elargissement-du-conseil-de-securite-de-l-onu_650549_3210.html  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_des_quatre