Intérêts français au Sahel (2/2)

 
Instruction de jeunes engagés maliens - Opération Barkhane - État-major des armées/Ministère de la Défense

Instruction de jeunes engagés maliens - Opération Barkhane - État-major des armées/Ministère de la Défense

 

Auteur : Thibault C.-Compte twitter : @thibcnd 

Nous avons analysé dans un précédent article, la situation militaire du Sahel et notamment celle de la France dans la région. Ensemble vaste et difficile à sécuriser, il englobe des pays qui ont fait partie de l’empire colonial français avant d’obtenir leur indépendance dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les cinq pays, que sont la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, entretiennent toujours des liens privilégiés avec la France qu’ils soient d’ordres politiques, culturels, économiques et militaires comme nous l’avons déjà vu. De cette présence coloniale, la France en a gardé un rôle de partenaire naturel. L’appel à l’aide, que les autorités maliennes ont adressé à la France en 2013, le symbolise très bien. Et la réponse favorable du Président de la République a également montré que la France souhaite toujours garder une influence sur ce continent de plus en plus stratégique. Cependant, on doit noter que cette partie de l’Afrique demeure la plus pauvre. Une grande partie des populations des différents pays se trouvent sous le seuil de pauvreté. Le PIB par habitant se situe dans une échelle comprise entre 1 153 $ (Niger) et 4 474 $ (Mauritanie). En revanche, le taux de croissance moyen du PIB pour la région est d’environ 5 % et le taux de croissance démographique se situe autour de 3 % pour chaque pays. C’est une région dynamique démographiquement et qui tend à le devenir au point de vue économique alors que les conditions climatiques et géographiques ne favorisent pas forcément ces évolutions. La région est en effet très désertique et les changements climatiques affectent l’agriculture qui reste toujours aussi fragile et très dépendante des variations de son environnement. On peut alors se demander quelles sont les raisons qui poussent la France à intervenir dans une région si pauvre. Que peut-elle retirer d’un engagement militaire intense car, rappelons-le, 4 500 militaires opèrent dans le Sahel ? Les intérêts de la France, nous allons le voir, y sont de trois types que nous développerons. La première est le contrôle des flux migratoires. L’immigration africaine est la première en France et celle-ci ne fait qu’augmenter chaque année. Objet d’interrogation chez les élites dirigeantes, c’est une préoccupation quotidienne des Français qui jugent l’immigration de moins en moins souhaitable – il n’y a qu’à regarder le résultat des sondages sur la question pour le comprendre. Ensuite, la France désire garder sous son influence une région riche en ressources diverses, pour certaines seulement d’intérêt économique et, pour d’autres, de nécessité vitale. Enfin, demeure la volonté de concurrencer l’arrivée de nouveaux acteurs dans la région, certains plus anciens – les Etats-Unis – et d’autres plus récents – la Chine.

LA NÉCESSITE DE CONTRÔLER UN NŒUD MIGRATOIRE  

En ce qui concerne l’immigration, chaque année la France accueille plus de 100 000 personnes originaires du continent africain, 126 171 en 2016 soit 58 % de l’immigration totale vers notre pays. Si une grande partie de cette immigration africaine provient des pays du Maghreb, l’autre est originaire de pays subsahariens. La déstabilisation de la Libye et les guerres civiles des pays d’Afrique ont poussé des populations entières à l’émigration – même si ce ne sont pas les seules raisons. On sait, depuis quelques années déjà, les effets de la chute de Kadhafi sur le contrôle des flux migratoires. Ceux passant par la Libye ont explosé. La guerre civile libyenne, par sa durée et l’absence à court terme d’issue, a engendré un trafic d’être humain vers l’Europe. La Libye est devenue la « plaque tournante de l’émigration »1. Ces « passeurs » aident les populations migrantes à s’approcher des côtes européennes. Avant d’atteindre la Libye, les migrants subsahariens passent pour la plupart par le Sahel. C’est l’une des plus importantes routes migratoires africaines vers l’Europe. Si peu de personnes du flux d’immigrés sont originaires de la région sahélienne2, elle n’en demeure pas moins un lieu de passage important. L’instabilité de la région et le contrôle de certaines portions de territoire par des groupes djihadistes rend difficile la maîtrise de ces flux – à supposer que l’on désire les maîtriser. Imaginons que nous ayons un gouvernement motivé dans cette voie, qui souhaite cependant rester dans les différents accords donnant à l’Union européenne le contrôle des frontières, et tenons également compte de la situation chaotique de la Libye. Le seul moyen de diminuer ces flux serait alors de manœuvrer au Sahel. Car, si nous ne pouvons fermer le robinet libyen sans une intervention qui serait immanquablement lourde et coûteuse, tant humainement qu’économiquement, il ne nous reste que le Sahel comme possibilité d’action. C’est dans ce territoire qu’il faut couper la route migratoire, pas seulement parce que la Libye constitue un terrain difficile et imprévisible mais parce que nous y sommes déjà ! Là-bas, nous connaissons déjà les risques, le terrain et les ennemis. Nos forces participent à la stabilisation de la région, condition sine qua non à l’arrêt des flux migratoires en provenance du Sud du Sahara. Les gouvernements locaux, avec qui l’on coopère, ne nous sont pas défavorables. Alors certes, la voie sahélienne ne représente qu’une partie de l’immigration vers la France, mais compte tenu des évolutions démographiques de ce continent – le Sahel a, rappelons-le, une croissance démographique de 3 % par an – cette route sera assurément une de celles empruntées dans le futur. Voilà un des intérêts de la France aujourd’hui dans cette région. 

UN TERRITOIRE RICHE EN RESSOURCES 

Au-delà du seul souci migratoire, la France doit garder des liens économiques avec une région riche en ressources. Les richesses du Sahel, outre sa dynamique démographique qui peut aussi devenir un fardeau, sont celles de son sol. Chaque année, les pays de la région découvrent des gisements miniers ou pétroliers. Certes, cela peut donner le sentiment d’une terre d’abondance, mais l’évolution économique de certains pays comme le Niger ou le Tchad symbolise exactement cette profusion. Ces Etats voient leur économie de plus en plus axée sur l’exploitation minière ou pétrolière de leur sol. Prenons le Niger par exemple, pays le plus pauvre selon le Programme des Nations Unis pour le Développement3. Environ 80 % de la population travaille dans l’agriculture4. Le PIB nigérien est directement conditionné par la production agricole de l’année qui varie en fonction du climat – 41 % du PIB5. Mais l’augmentation de l’exploitation minière et pétrolière a également un impact qui tend à se renforcer sur le PIB. L’activité industrielle, dont l’extraction minière en constitue la part majoritaire, représente 19,5 % alors qu’elle n’emploie que 3 % de la population active. On voit la différence de productivité entre une agriculture qui emploie presque la totalité de la population pour un rendement économique qui n’approche pas la moitié du PIB et une activité d’extraction qui n’utilise qu’une infime partie de la main-d’œuvre pour produire 1/5 du Produit intérieur. L’une des exploitations la plus importante est celle de l’uranium. Minerai nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires, l’uranium est présent abondamment au Niger. Son extraction est faite par des sociétés nationales mais filiales du groupe Orano – ex-Areva. Le Niger fournit en effet à la France 1/3 des besoins en combustible de ses centrales nucléaires. Quand on sait qu’environ 70 % de la production française d’électricité provient du nucléaire6, on prend la mesure du caractère stratégique des mines nigériennes ; et ce n’est pas un hasard si une des bases militaires françaises au Niger se situe à Aguelal, à quelques dizaines de kilomètres de la mine d’Arlit, la plus importante du pays. Outre l’uranium, d’autres minerais peuvent être intéressants pour la France. Toujours au Niger, les récentes découvertes d’or au Nord du pays a entraîné une « ruée vers l’or »7 de populations nigériennes. Sa production, surtout artisanale, est estimée à 10 Tonnes/an8. L’Etat nigérien n’a pas les moyens de mettre en place une extraction industrielle de ce minerai qui se pratique également au Mali. L’or est en effet présent dans la région du Liptako. En plus de l’extraction minière, l’autre source d’enrichissement pour certains Etats demeure le pétrole. On pense notamment au Tchad dont 91 % des exportations vers la France sont composées d’hydrocarbures. Le Niger en 2011 a aussi commencé l’exploitation de son pétrole via la firme chinoise CNPC9. En Mauritanie, le pétrole a commencé à être mis en valeur récemment, en 2017, par un accord entre une firme américaine et une britannique. Par ces exemples, on voit que l’exploitation des ressources du Sahel est assez récente. En vérité certains projets ont mis du temps à se mettre en œuvre. Ce retard est dû au coût élevé d’extraction des matières dans des pays ne possédant qu’une infrastructure sommaire, d’autant que les gisements, qui sont souvent les plus intéressants économiquement, se situent dans des régions reculées. Cependant l’arrivée d’acteurs ayant les moyens de mettre en place ces infrastructures change la donne dans la région. 

L’OBLIGATION DE RENFORCER SA PRÉSENCE FACE A LA CONCURRENCE INTERNATIONALE  

Comme vu précédemment, le Sahel est riche de ses ressources. Les pays de la région n’ont pas les moyens de procéder à leur exploitation en totale autonomie et doivent faire appel à des firmes étrangères disposant du savoir-faire et des financements pour mettre en valeur ces richesses. La présence de la France est assez importante dans le domaine – exploitation des mines d’uranium au Niger, exportations de véhicules, de machines pour l’extraction et la construction. Certaines sociétés locales appartiennent à des sociétés françaises ou alors détiennent des parts dans ces sociétés. Pourtant la France ne garde plus la domination économique dans l’exploitation de ces ressources. Les Etats-Unis et la Chine investissent de plus en plus dans la région. Nous avons évoqué deux exemples : celui de l’exploitation d’hydrocarbures au Niger par la firme chinoise CNCP et celui de l’alliance entre Kosmos Energy (KE) – société américaine – et British Petroleum (BP) en Mauritanie. Ces deux exemples récents montrent la volonté des deux grandes puissances que sont la Chine et les Etats-Unis d’accroître leur emprise sur ces biens. Contrairement à la France, elles disposent de finances pouvant leur permettre à la fois de remporter des contrats mais également de rentabiliser une exploitation. Au Niger, la CNCP discute par exemple avec les Nigériens de la construction d’un oléoduc pour pouvoir transporter le pétrole du champ d’Agadem, qu’ils exploitent, et donc augmenter drastiquement la production de barils. De plus, la Chine, qui construit des centrales nucléaires, doit aussi sécuriser son approvisionnement en uranium. Elle a obtenu le droit de procéder à l’extraction du minerai au Niger. On peut y voir à terme un danger pour la France. L’arrivée d’un acteur aussi important, disposant de moyens considérables dans un secteur aussi stratégique pose des questions. De l’autre côté les Américains exploitent le pétrole tchadien – qu’ils partagent aussi avec la Chine – mais également une partie du pétrole Mauritanien, via KE. Les firmes Américaines comme les firmes chinoises disposent en plus d’actions dans des sociétés locales d’exploitation. Ces exemples ne sont qu’une infime partie de la lutte qui se joue entre Américains et Chinois pour le contrôle des ressources africaines. Les ressources, si elles sont la partie la plus importante, stratégiquement, de la région ne constituent pas les seuls intérêts que peut y trouver la France. Une autre concurrence se joue dans ces pays. Celle qui est la plus commode et la plus fondamentale dans le commerce : gagner des parts de marché dans des économies en expansion. Les PIB de la région croissent en moyenne de 5 %. Ces pays veulent se doter d’infrastructures permettant une accélération de l’activité économique. C’est dans ce domaine que la France doit jouer le plus grand rôle. Nous disposons déjà du savoir-faire. Les Chinois et les Américains aussi. Dans une économie qui progresse il est évident que les pays auront à investir dans le numérique, le BTP, l’agriculture, etc. Ce sont des domaines dont la France maîtrise les compétences. Au-delà de la simple lutte pour les ressources, il est nécessaire en réalité d’armer et de soutenir les entreprises françaises dans la conquête de marchés.  

 

La France a devant elle un vaste terrain dans lequel elle doit jouer un rôle qui doit être lié à ses intérêts tout en respectant la souveraineté des différents pays. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs, les Etats du Sahel ont eu accès à la concurrence là où ils n’avaient auparavant que la France comme partenaire. C’est donc de nouveaux défis qui attendent notre nation. Autrefois colonisatrice, hier dominante, la France doit aujourd’hui redevenir l’acteur majeur économiquement dans ce territoire. Nous le sommes déjà militairement et sans doute aussi politiquement. Nous disposons ainsi d’atouts nécessaires au recouvrement de notre puissance dans la région. Une puissance qui ne peut plus et ne doit plus être dominatrice. Car ce n’est pas par l’humiliation des populations que nous réussirons à en faire des alliés et des soutiens de notre grandeur retrouvée. Les Etats-Unis et la Chine n’entretiennent pas cette histoire que nous devons faire perdurer. Nous partageons, à peu de choses près, la même langue, nous nous comprenons mutuellement, nous demeurons liés par le destin. Si je n’ai pas évoqué les sujets de la Francophonie, des diasporas présentes en France et des échanges culturels, ils n’en restent pas moins d’autres moyens que la France peut mettre au service de son rayonnement. Car, si l’Asie redevient désormais le centre du monde, il est certain que l’Afrique, par ses évolutions et ses possibilités sera un continent dans lequel il faudra compter.