L'Histoire politique de la gauche en France (1/4)

 
Robespierre à la Convention le 9 Thermidor - Max Adamo (1860)

Robespierre à la Convention le 9 Thermidor - Max Adamo (1860)

 

De la réforme à la République (1789-1792)

L’histoire de la Gauche en France commence avec la proclamation de l’Assemblée nationale constituante (9 juillet 1789). À l’époque, les partis politiques n’existent pas ; les députés se regroupent par pensées politiques et changent régulièrement de camps au gré des décisions à prendre. En revanche, une réelle partition apparaît déjà entre les partisans du Roi (siégeant à sa droite) et les partisans de la Constitution (siégeant à sa gauche). Être de gauche en 1789 c’était refuser l’absolutisme royal et défendre une monarchie constitutionnelle organisée suivant les principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789).

Cependant, et progressivement, certains partisans de la monarchie constitutionnelle vont glisser vers des revendications démocratiques : suffrage universel, égalité des chances, méritocratie, etc. Menés par la petite bourgeoisie parisienne composée d’avocats, médecins et journalistes, ces députés vont s’opposer au Roi de plus en plus radicalement au fur et à mesure que ce dernier accumule les erreurs politiques.

Finalement, la fuite de Varennes (20-21 juin 1791) et la fusillade du Champ-de-Mars (17 juillet 1791) au cours de laquelle la Garde nationale tire sur des civils réclamant le procès du Roi, finissent de radicaliser la Gauche. Menée par les clubs des Cordeliers et des Jacobins, cette radicalisation amène de grandes figures comme Maximilien de Robespierre, Georges Danton ou Jean-Paul Marat à défendre une nouvelle forme de gouvernement sans roi : la République.

L’idée d’une France sans roi est inimaginable en 1789 lorsqu’éclate la Révolution. Les Français sont attachés à la figure royale et voient en elle un symbole d’unité irremplaçable. Mais les fautes politiques de Louis XVI et de sa famille (notamment la reine Marie-Antoinette) conduisent à une défection. Toutefois, il serait absurde de penser que le rejet du roi est national. En réalité, il ne concerne que Paris et les Parisiens, les campagnes conservatrices et croyantes vouant un culte toujours aussi fort pour le Roi. Mais comme l’Assemblée et le Roi se trouvent à Paris, ceux-ci sont directement sous la menace d’une insurrection populaire. Et c’est ce qui va éclater en 1792…

La Terreur rouge (1792-1794)

En avril 1792, la France déclare la guerre à la Prusse et l’Autriche suites aux provocations diplomatiques de ces deux pays qui voient en la Révolution une menace pour leurs pouvoirs. Mais la guerre est aussi une façon pour le Roi de recouvrer sa puissance d’antan en tablant sur une défaite des révolutionnaires. Seule la Gauche refuse la guerre, Robespierre en tête, ayant bien compris le complot royal. Très vite, les défaites s’accumulent pour les armées françaises privées d’officiers généraux compétents, ceux-ci, nobles, ayant préféré l’exil dès 1789. Devant la menace d’une invasion du territoire national, le groupe politique des « Montagnards » (la Gauche appelée ainsi parce que leurs députés siègent en hauteur sur les bancs de l’Assemblée) en appelle à la guerre totale pour sauver la Révolution. Marat en appelle à l’exécution des « traîtres » tandis que Danton promeut la République. En juillet 1792, le duc de Brunswick défie le peuple parisien en menaçant de mort quiconque toucherait au Roi des Français. C’est la goutte d’eau qui fît déborder le vase…

Le 10 août 1792, les Parisiens s’insurgent et prennent les armes contre la monarchie. Paris se proclame « Commune insurrectionnelle » et la Gauche, organisatrice de l’insurrection, fait pression sur l’Assemblée nationale qu’elle prend en otage. La prise du palais des Tuileries et la fuite de Louis XVI vers le refuge parlementaire condamne la monarchie à la nuit. La Gauche est maître de la France. L’Assemblée est dissoute et de nouvelles élections mènent à la naissance de la « Convention nationale » qui siège le 20 septembre 1792. Le roi et sa famille, emprisonnés, seront jugés au plus tôt. La victoire de Valmy contre les armées coalisées et l’influence renforcée des Jacobins à la Convention précipitent l’abolition de la monarchie et la proclamation de la Première République française. Pour marquer l’événement historique, un nouveau calendrier est instauré : le calendrier républicain qui durera jusqu’en 1806.

Valmy fut une victoire pour la France mais la Révolution n’est pas sauvée pour autant. Les campagnes conservatrices s’insurgent et prennent à leur tour les armes contre la République. La France est déchirée par la guerre civile. Le nouveau gouvernement n’a plus le choix, il faut anéantir les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur par une politique intransigeante de Terreur. Menée par le trio Robespierre/Marat/Danton, la Terreur va conduire à la mort de plus de plusieurs dizaines de milliers de Français et l’emprisonnement de 500 000 autres. Des massacres sont perpétués contre la Vendée catholique et royale tandis que les populations rebelles sont sévèrement punies. Aux grands mots les grands moyens ; le Comité de Salut public multiplie les mesures d’urgence pour faire taire les Contre-Révolutionnaires et les Européens.

La Terreur est un événement fondamental dans l’histoire de la Gauche française. L’image du républicain assoiffé de sang, en perpétuelle révolution, collant à la peau de la Gauche pour une centaine d’années. Efficace et victorieuse, la Terreur conduit cependant à l’éradication politique de la Gauche car après avoir chassé la Droite politique (les « Girondins »), elle va s’attaquer aux députés de Gauche ! Ainsi, des figures historiques comme Danton ou Camille Desmoulins, mourront par la guillotine avant que Robespierre ne soit lui-même déchu en juillet 1794. Pire encore pour la Gauche, celle-ci porte en elle la responsabilité de l’exécution du Roi, le 21 janvier 1793, faisant entrer la France dans le club très fermé des nations régicides. Un « meurtre » que les royalistes et les modérés ne pardonneront jamais…

La traversée du désert (1794-1848)

La France de 1794 est une France ravagée par la Terreur. Victorieuse contre les nations coalisées et ayant réussi à instaurer un semblant d’ordre public, la Gauche est pourtant décimée. Le coup d’État contre Robespierre a conduit au retour des modérés et de la Droite qui abolissent la Convention et fondent un régime nouveau : le Directoire. C’est le début d’une longue traversée du désert pour la Gauche française…

Libéral, conservateur et modéré, le Directoire est pourtant très instable. Ainsi, en 1795, les nouvelles élections nationales permettent aux royalistes d’investir le Parlement. Devant la menace d’un retour à la monarchie, le Directoire fomente un nouveau coup d’État. Deux ans plus tard, en 1797, les royalistes sont une nouvelle fois majoritaire et le pouvoir doit à nouveau agir pour conserver ses institutions. En 1798 et 1799, ce sont les Montagnards qui font leur retour avec à chaque fois une majorité absolue au Parlement. À nouveau, le Directoire agit pour se maintenir. Finalement, il faudra le retour d’Égypte du général Napoléon Bonaparte pour voir la fin du Directoire et l’instauration d’un régime stable : le Consulat.

La Gauche se divise en deux pôles : les Républicains conciliants avec le Consulat et les Jacobins refusant le despotisme éclairé d’un homme, tout charismatique soit-il. Mais ces divisions n’ont que peu d’importance car la France devient une dictature au sens ancien du terme avec la fin du régime d’assemblées et la marche vers une nouvelle forme de monarchie : l’Empire. En soi l’Empire de Napoléon est un compromis acceptable pour une partie de la Gauche qui se satisfait de la sanctuarisation des principes de la Révolution. En plaçant un enfant de la Révolution sur le trône, les Français consacrent ses principes tout en éloignant le retour de l’Ancien Régime. Pour autant, ce n’est pas suffisant pour une autre partie de la Gauche qui dénonce un retour à la monarchie tant combattue par la Révolution et la Terreur.

Finalement, après un règne de dix ans, l’Empereur est vaincu par l’Europe coalisée. Les monarchies européennes placent sur le trône le frère de Louis XVI, Louis XVIII qui instaure une monarchie libérale et conservatrice. Rétablissant le suffrage censitaire (seuls ceux qui paient un certain montant d’impôts peuvent voter), Louis XVIII s’arroge un Parlement intégralement royaliste. L’élargissement du cens en 1816 ne profite que peu à la Gauche qui compte tout de même 20 députés sur les 258 sièges à fournir.

De 1816 à 1830, la Gauche est écartée du pouvoir politique, du fait du suffrage censitaire qui permet à ses ennemis historiques, les nobles et les grands bourgeois de lutter contre elle. Il faudra attendre la Révolution de 1830 pour que la Gauche, républicaine, reviennent en force. Dépossédés de leur révolution, les Parisiens républicains doivent composer avec un régime libéral plus ouvert mais toujours censitaire, ne dépassant jamais 16% des sièges à la Chambre des députés entre 1830 et 1848. Pendant ces décennies d’invisibilité politique, la Gauche va s’identifier au républicanisme, premier et seul objectif à atteindre. Il existe bien sûr des divisions idéologiques, mais tous pensent que la République doit être proclamée pour que naisse le débat.

Sources :

Histoire politique de la Ve République, Arnaud Teyssier (2011)

Dictionnaire critique de la Révolution française, François Furet & Mona Ozouf (2007)

La Révolution française, François Furet et Denis Richet (1965)

Histoire de la France au XXe siècle, Serge Berstein & Pierre Milza (1995)

L’immigration en France au XXe siècle, Marianne Amar & Pierre Milza (1990)

Axes et méthodes de l’histoire politique, Serge Berstein & Pierre Milza (1998)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

Destin français, Éric Zemmour (2018)