La défaite de 1940, histoire d’un traumatisme (3/3)

 
Hitler posant sur l’esplanade du Trocadéro après la prise de Paris le 23 juin 1940

Hitler posant sur l’esplanade du Trocadéro après la prise de Paris le 23 juin 1940

 

Et l’Allemagne créa la « guerre-éclair »…

En 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier de la République allemande. Perpétuant et accentuant les efforts nationaux en faveur d’une revanche de la Grande Guerre, il tente de tirer les leçons du conflit précédent. Rapidement, il s’aperçoit que l’une des principales causes de la défaite fût le manque d’approvisionnement et l’efficacité du blocus allié qui entraîna des troubles alimentaires dans le pays. Si le soldat allemand était bien nourri, le citoyen resté à l’arrière mourrait de faim. Une pareille situation ne devait pas se reproduire et c’est ainsi que de 1933 à 1945, l’Allemagne ne connut plus aucune disette ou famine, l’approvisionnement de la société devenant une priorité vitale.

Second constat : une guerre longue est une guerre perdue d’avance. L’état statique du front occidental épuisa les belligérants et permit aux Alliés de se consolider. S’inspirant des succès orientaux contre la Russie impériale et des offensives françaises de 1918, il s’entoure de généraux jeunes et tournés vers les doctrines nouvelles comme Heinz Guderian, Hermann Hoth ou encore Erwin Rommel. S’ils avaient comme spécificité de ne pas être issus de l’aristocratie prussienne traditionnelle (détestant Hitler comme la peste), ils apportèrent à l’Allemagne un nouveau genre de stratégie : le mouvement mécanique par l’interopérabilité.

Afin de mieux comprendre cette doctrine, il convient de revenir en 1918. Embourbées dans une guerre sans fin, trois nations développent des stratégies propres : l’Allemagne se concentre sur les équipes d’assaut et la défense en profondeur, le Royaume-Uni théorise l’infanterie lourde soutenue par des chars fortement blindés, et la France met en pratique l’interopérabilité motorisée ainsi que la standardisation. Nation la plus « automobile » de la guerre, la France compte sur les camions, chars et avions pour défendre le front contre une attaque et sur la combinaison infanterie/artillerie/blindés/avions pour percer et briser la ligne adverse. Mise en application lors des offensives de l’été 1918, cette stratégie est redoutablement efficace et contribue fortement à la chute finale de l’Empire allemand. Si Paris abandonne cette doctrine pour une vision plus britannique, les chefs allemands étudieront les raisons de leur défaite pour retourner les armes de l’adversaire contre lui-même. C’est ainsi que naît la doctrine du « fer de lance blindé ». Plusieurs vecteurs militaires se coordonnent pour avancer et neutraliser les points de résistance adverses (interopérabilité). La rapidité et la mobilité offertes par la motorisation (mouvement mécanique) doit permettre une percée rapide du front tandis que l’infanterie s’occupe de contrôler le territoire gagné ou de réduire les poches de résistance au silence.

Dès lors, il suffit de quelques divisions bien équipées et bien formées pour renverser une situation fragile. C’est ce qui se passera lors de la percée de Sedan, le 13 mai 1940. Le coup de massue infligé et la rapidité d’exécution paralysera toute action alliée coordonnée jusqu’à la signature de l’armistice le 22 juin 1940. Preuve s’il en est qu’il ne suffit pas d’avoir la meilleure arme en main mais que tout l’art de la guerre réside dans la façon de s’en servir…

Le peu d’unités allemandes expérimentées, regroupées en une force de frappe rapide et mécanisée, aura raison, en quelques semaines de la France, alors considérée comme la meilleure armée du monde…

L’impact historique de la défaite

En France, le choc est total au sein de la population comme des élites. L’armistice, signé le 22 juin 1940, annonce la mise en place d’une politique de collaboration avec l’occupant incarnée par le régime de Vichy et le héros de guerre Philippe Pétain. Peu entendent l’appel outre-Manche d’un général français invitant à continuer la lutte tant le chaos est grand. Pourtant, la France reconnue par le Royaume-Uni est bien celle de Charles de Gaulle. La résistance intérieure (effective à partir de 1941 et l’invasion de l’URSS par l’Allemagne) et la lutte extérieure pour l’indépendance vont triompher conjointement au moment de la libération du territoire en 1944. Le pays redevient un vainqueur et la population s’identifie à la figure héroïque du Résistant.

Après la Seconde Guerre mondiale, la mémoire de la défaite va rester cantonnée aux seuls historiens. Inscrits dans une logique de progrès et de vision vers l’avenir, les régimes républicains successifs vont défendre l’idée d’une France combattante et victorieuse malgré les épreuves.

Cependant, un événement fondateur va anéantir la confiance retrouvée : l’historien américain Robert Paxton. Livrant une analyse américanisée de la défaite de 1940, il relaie une vision défaitiste et collaborationniste qui, progressivement, va effacer les efforts gaulliens d’oubli. Profondément fertiles au sein d’une élite française acquise à la cause américaine, ces théories vont pénétrer la société nationale jusqu’aux premiers aveux de faiblesses réalisées par le président Jacques Chirac. Ce dernier, au cours des années 1990, reconnaît la « responsabilité » de l’État français dans la collaboration et le génocide des Juifs d’Europe. Couplé à une francophobie médiatique de la part de média outre-Atlantique furieux de la neutralité française dans l’affaire irakienne (2003), le démantèlement du mythe gaullien-communiste fondateur et unificateur va conduire à une crise identitaire forte au sein de la société nationale. C’est aujourd’hui ce discours culpabilisateur et défaitiste qui est majoritaire en France, des élites aux média en passant par les différentes franges de la population. Désormais, le peuple français est revenu à son état initial de crise de confiance datant de l’après 1871…

Conclusion

La défaite de 1940 sonne le glas de la France comme puissance mondiale de premier rang. Complexe et loin de l’image stéréotypée d’une armée française dépassée face à une moderne armée allemande expérimentée, la bataille de France aura vu le triomphe de la doctrine inter-arme proposée par l’Allemagne. Inexpérimentée, loin d’être mécanisée, et inférieure en nombre et matériels contre les Alliés, la Wehrmacht a démontré la supériorité de la stratégie sur l’équipement et le nombre. L’armée allemande n’était pas invincible. Sa doctrine d’emploi était plus efficace que celle des Français et des Britanniques. Quoiqu’il en soit, la défaite subie en 1940 fut d’une telle ampleur que la France ne put jamais s’en relever. Elle créa une scission entre deux franges de la population, l’une technocratique d’inspiration saint-simonienne et l’autre, populaire d’inspiration nationaliste, qui s’affrontèrent pendant quatre ans. La collaboration développée avec l’ennemi allemand, couplée à la participation au génocide juif, reconnues par les élites françaises depuis 1995 contribuent à perpétuer un sentiment national de honte et de non-confiance. Cet état de fait est l’un des principaux facteurs paralysant la nation française et son rayonnement dans le monde. Comprendre la défaite de 1940, c’est comprendre le manque de courage politique des gouvernements ainsi que l’incompétence militaire d’une armée sclérosée. Analyser ses retombées historiographiques, c’est comprendre la mentalité des gouvernements actuels, leur mépris de la Nation et de l’Histoire, et ainsi mieux appréhender tous les facteurs bloquant à la gloire et au rayonnement national…

Sources :

Ndr : seuls les auteurs sont cités pour des raisons pratiques et de visibilité, leurs œuvres respectives et leurs pensées historiographiques ont nourri l’écriture de cet article.

Georges Clemenceau (1841-1929)

Marc Bloch (1886-1944)

Charles de Gaulle (1890-1970)

Raymond Aron (1905-1983)

Pierre Milza (1932-2018)

Robert Paxton (1932-)

Serge Berstein (1934-)

Éric Zemmour (1958-)

Pierre-Yves Rougeyron (1986-)