Cloud computing : Les réponses nationales et supranationales (4/4)

 
Gaia-X, projet de cloud européen allemand - Bundeswirtschaftsministerium

Gaia-X, projet de cloud européen allemand - Bundeswirtschaftsministerium

 

Comme nous l’avons vu précédemment, le changement de paradigme créé par la révolution industrielle 4.0 et ses outils, tel que le cloud computing, impacte très fortement le monde entier. La taille du marché est exponentielle, les acteurs (bien que sous domination américaine) sont internationaux, et son utilisation n’est pas l’apanage d’un continent ou d’un autre. Si certains considèrent, à tort, l’Europe comme un nain politique, personne ne peut lui enlever son titre d’acteur majeur économique. Mais malgré son immense marché intérieur et ses quelques 500 millions de consommateurs, le vieux continent semble avoir raté le coche. Un espoir subsiste cependant. L’initiative européenne permettra peut-être de rattraper le temps perdu, et surtout d’oublier nos deux échecs nationaux.


Les échecs français

Deux projets bleu blanc rouge n’ont jamais réussi à s’imposer : Cloudwatt et Numergy. Pour preuve, il y a de très fortes chances que ces noms ne vous disent rien. Mais selon la journaliste des Echos, Sandrine Cassini, cet échec proviendrait de l’incapacité des grands groupes français à s’entendre. Même si la volonté est belle, le résultat lui ne l’est pas. En 2009 Nicolas Sarkozy décide de lancer la France dans le marché du cloud computing afin de concurrencer, déjà, Amazon Web Services. La souveraineté numérique passe par un cloud souverain. Telle la politique gaullo-mitterrandienne (i.e principe de politique étrangère basée sur l’indépendance militaire et diplomatique de la France), la troisième voie entre l’Amérique et la Chine peut et doit être la voie de la France. Tel le plan « Calcul » lancé par le Général De Gaulle en 1966 pour doter la France de l’autonomie dans le domaine informatique, l’initiative lancée en 2009 semblait bien avoir pour volonté l’indépendance de la France. Mais malheureusement les industriels ne réussissent pas à s’entendre : au lieu d’avoir un champion national pouvant mutualiser les coups grâce aux économies d’échelle, deux projets voient le jour ! Cloudwatt et Numergy sont nés, respectivement soutenus financièrement par Orange et Thales pour le premier, et SFR et Bull pour le deuxième. Onze ans plus tard il n’en reste rien. Partis avec un retard rattrapable, les deux essais français ne parviendront jamais à combler la distance avec leurs cousins outre-atlantique et chinois. Fondée en 2012 Numergy est placée en procédure de sauvegarde dès 2015, pour disparaitre en 2016. Cloudwatt a quant à elle tenu un peu plus longtemps : durant l’été 2019 le cloud d’Orange annonce la cessation de ses activités pour le 31 janvier 2020.


Un exemple de réussite : OVH Cloud

Ces deux échecs permettent de mesurer combien une réussite nationale est difficile, mais l’adage « impossible n’est pas français » permet d’être respecté grâce à une entreprise constituant un exemple de réussite : OVH Cloud. Créée il y a 20 ans dans le nord de la France par Octave Klaba, « On vous héberge » (soit OVH) s’intéresse depuis 2010 au cloud computing. 2200 salariés et 20 % de croissance annuelle plus tard, l’entreprise fait sa place dans le top 10 mondial des plateformes de cloud. Cet exploit fut permis par une compréhension des enjeux du marché du cloud, même si cette dernière ne s’est faîte que tardivement comparé à d’autres (Amazon Web Services fut fondée en 2006) ainsi que par la compréhension d’un autre enjeu majeur contemporain : l’environnement. L’entreprise joue également la carte du local, ce qui lui permet de réduire ses coûts.

Toutes ces raisons font d’OVH Cloud notre champion national, voire notre champion européen. Mais face aux acteurs actuels cela n’est pas suffisant, une riposte est nécessaire.


Faire face aux clouds américains et chinois : la 3ème voie européenne

Une réponse législative

La réponse européenne s’organise petit à petit. Sa lenteur et sa difficile mise en place sont bien évidement des handicaps face à des entreprises dirigées d’une seule voix, mais ses atouts sont bien présents.

Tout d’abord la réponse s’articule autour du Cloud Act. Cette règle émise par les autorités américaines leur permet d’exercer une réelle souveraineté sur les données collectées par les entreprises américaines. Mais un problème de taille s’oppose à la reprise en main de notre souveraineté numérique : comment empêcher les citoyens français et européens d’utiliser les services proposés par les GAFAM ? La réponse la plus simple serait de leur offrir un meilleur service, mais difficile de battre ces acteurs sur un terrain qu’ils ont plus que conquis. Cette « ingérence numérique » est d’autant plus compliquée à combattre qu’il est impossible de s’opposer frontalement aux GAFA. La réaction du gouvernement américain face à la taxe GAFA proposée par la France en est le meilleur exemple : même si Donald Trump n’apprécie guère ces entreprises, personne n’est autorisé à toucher aux champions de l’oncle Sam. Pendant un temps le règlement européen « e-evidence » fut considéré comme l’équivalent du Cloud Act. Mais, sans rentrer dans des considérations juridiques, le règlement européen a beaucoup moins de force que celui des Etats-Unis : combien de citoyens américains utilisent les services numériques d’entreprises américaines ? Tandis qu’en 2019, plus de 90 % des recherches sur Internet étaient effectuées sur Google en France, Allemagne, Espagne, Italie… Son monopole en Europe ne souffre d’aucune contestation. De plus, le Cloud Act pourrait bien étendre son champ d’application aux entreprises européennes ayant une filiale aux Etats-Unis.

Le gouvernement français tente d’apporter une réponse avec le rapport Gauvain. Ce texte préconise l’adoption d’une loi qui « permettra de sanctionner les hébergeurs de données numériques qui transmettraient aux autorités étrangères des données non personnelles relatives à des personnes morales françaises en dehors des canaux de l'entraide administrative ou judiciaire ». Mais, comme dans les relations internationales, l’effet des sanctions est à relativiser. Une autre solution, beaucoup plus efficace, serait la construction d’un champion européen.


Une réponse commerciale

Si la Chine peut se permettre de rivaliser avec les Etats-Unis, c’est bien parce que ces entreprises internationales ont un réel poids. Outre les initiatives nationales, dont celle de la France que nous avons vue précédemment, l’Europe semble doucement relever la tête face aux géants américains. Comme le rappelle l’article du site Hosteur, une grande majorité d’entreprises européennes hébergent leurs données chez les 4 premiers acteurs du cloud computing : Microsoft Azure, Google Cloud, AWS d’Amazon et Alibaba Cloud. Suite à la promulgation du Cloud Act en 2018, les autorités européennes ont été percutées par la réalité : leur souveraineté nationale numérique allait disparaître. Le danger fut compris et des mesures prises : l’Europe doit se doter de son propre cloud. Les mots de Thomas Jarzombek, délégué du ministère fédéral de l'Économie et de l'Énergie à l'économie numérique et aux start-ups en Allemagne, prouve l’importance de l’enjeu et son urgence :

« Les données sont le nouvel or noir […] Leur échange est le moteur de l’innovation. (…) N’est-il pas risqué que toutes nos données sensibles se trouvent entre les mains d’acteurs extérieurs sur lesquels nous n’avons pas d’influence ? »
— Thomas Jarzombek,

La chancelière allemande, Angela Merkel, estime-t-elle aussi que « l'Europe a besoin de son propre cloud ». Lors du sommet numérique à Dortmund en 2019, le ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, annonce la volonté de création d’un cloud européen, nom de code : Gaia-X. Impliquant des entreprises comme Siemens, SAP ou Deutsche Telekom, le projet prévoit une coopération étroite avec la France, et invite les autres pays européens à participer. Souvent comparé à un « Airbus de l’intelligence artificielle », le contexte dans lequel Gaia-X doit se développer sera présenté à Bruxelles au printemps 2020.

Les projets entre français et allemands ont souvent étaient couronné de succès. Le projet Gaia-X semble tendre vers la bonne direction. Certes tardivement, l’avance prise par les acteurs dominants du marché semblant difficile à combler, mais le marché intérieur européen et ses consommateurs peuvent aider à rattraper ce retard, et ainsi transformer l’Europe en un acteur incontournable du cloud computing.



Sources :

https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/une-page-se-tourne-pour-le-cloud-souverain-francais-1118112

https://www.hosteur.com/ressources/articles/GAIA-X

https://www.gouvernement.fr/partage/8705-juillet-1966-lancement-du-plan-calcul-informatique-par-le-general-de-gaulle-et-le-gouvernement

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/73640/reader/reader.html#!preferred/1/package/73640/pub/104605/page/9

https://www.usinenouvelle.com/article/ovh-dans-le-top-10-mondial-du-cloud.N804985

https://www.numerama.com/politique/537429-paris-sait-les-risques-du-cloud-act-mais-ne-peut-pas-dissuader-les-francais-daller-sur-google-ou-facebook.html

https://fr.statista.com/statistiques/703407/google-part-du-marche-recherche-par-pays/

https://www.hosteur.com/ressources/articles/GAIA-X

https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/un-cloud-europeen-tres-allemand-et-americain-1143792

https://www.solutions-magazine.com/gaia-x-un-airbus-de-lintelligence-artificielle/