La formation du Droit administratif français
Le droit au service de l'Etat, l'Etat au service de la France.
Le droit administratif est la branche du droit qui traite des droits et des obligations de l’administration publique, c'est-à-dire de la personne morale étatique qui gère les affaires publiques. Cette branche traite aussi l'organisation et le fonctionnement des organismes publics ne relevant pas du pouvoir législatif ou judiciaire. Ce sont des règles juridiques distinctes de celles de droit privé.
Ce droit n'est pas présent dans tous les pays du globe, beaucoup ne faisant pas de distinction entre droit administratif aussi appelé droit public, et droit privé. Pourquoi donc ce droit a-t-il spécialement émergé en France ?
Le droit administratif résulte d’une construction originale ayant abouti à la distinction « droit public/droit privé », que l’on nomme également la summa divisio (division principale).
On parle ainsi de dualisme juridictionnel. Comprendre pourquoi revient donc à retracer l'histoire particulière de ce droit et de la France.
LE CONFLIT ENTRE L'ETAT ET LES JUGES
En réalité, cela s’explique par la conjonction de deux facteurs : la séparation des pouvoirs et le principe de l'État de Droit.
En effet dès l’Ancien Régime, le pouvoir royal se méfiait des juges et de leur pouvoir de faire justice et par extension d'écrire le droit: c’est pourquoi le roi leur avait interdit de se préoccuper des affaires de l’État. Celui-ci souhaitait ainsi affirmer son autorité face à un pouvoir judiciaire constitué des parlements provinciaux. Les parlements de l'Ancien Régime n'ont rien à voir avec le Parlement national d'aujourd'hui ; il s'agissait d'assemblées collégiales composées principalement de notables donnant justice au nom du roi et par extension faisant le droit si celui-ci n'entrait pas en conflit avec la volonté du souverain. C’est ainsi que le cardinal Richelieu fit adopter l’édit de Saint-Germain en 1641, lequel interdisait aux parlements de se préoccuper des affaires de l’État. Cet édit fut néanmoins très largement ignoré, et il fallut donc attendre la Révolution française pour que soit réaffirmée avec force cette interdiction.
Les révolutionnaires une fois au pouvoir craignent autant que le roi le pouvoir des parlements et souhaitent empêcher ces derniers d'empiéter sur le pouvoir des toutes nouvelles institutions républicaines. L’incompétence du juge judiciaire à s’occuper des affaires de l’État est donc consacré par les révolutionnaires dans les lois des 16 et 24 aoûts 1790, puis dans le décret du 16 fructidor An III (calendrier républicain). Au terme de ces textes – qui sont cette fois appliqués, le juge judiciaire ne peut pas juger les actes de l’administration et ainsi empiéter sur le pouvoir étatique. Mais subsiste alors un problème de taille : aucun juge ne peut alors juger l’administration, ce qui est incompatible avec le principe du dualisme juridictionnel nécessaire à l’État de Droit, l'administration sans juge étant non contrôlée.
LA CRÉATION D'UN DROIT ADMINISTRATIF, ULTIME SOLUTION
L’absence de juge administratif ne signifie pas que l’administration n’a jamais de litige, mais que ces derniers sont tranchés par l’administration elle-même, notamment avec la théorie du ministre-juge, le ministre jugeant lui-même les litiges de son ministère et de son administration. Cette théorie pose un énorme problème au regard du principe de l’État de droit : en effet, ce dernier affirme que l’action de l’État doit être encadrée par des règles, lesquelles peuvent amener à sanction si elles ne sont pas respectées. De multiples actions sont donc tentées pour essayer de combler ce vide juridique. La création du Conseil d’État en 1799, lequel a deux fonctions : le conseil au gouvernement et le règlement des litiges concernant l’administration, intervient dans ce contexte. Mais le Conseil d’État ne peut pas être considéré comme un véritable juge : en effet, il s’agit d’un système de justice retenue. Cela signifie que le Conseil ne peut que proposer une solution au chef de l’État, et c’était bien ce dernier qui décidait in fine de la décision. Ainsi, le pouvoir exécutif occupe toujours une place prépondérante dans le cadre des litiges mettant en cause l’administration étatique. Il faudra attendre la IIIe République, et plus précisément la loi du 24 mai 1872 pour que le système de justice retenue évolue définitivement vers un système de justice déléguée dans lequel le Conseil d’État est un vrai juge, mettant le pouvoir exécutif au second plan.
Mais une partie de la doctrine considérait que la théorie du ministre-juge était toujours en vigueur parallèlement à la compétence du Conseil d’État. Ce débat est tranché par le Conseil lors du litige juridique nommé Cadot le 13 décembre 1889. Le Conseil s’estime compétent pour juger un litige entre une administration et un particulier. Ce procès marque la fin définitive de la théorie du ministre juge, faisant du Conseil d’État le juge unique du droit administratif. Au 20ème siècle, le Tribunal administratif et la Cour Administrative d'Appel viendront supporter le Conseil d'Etat dans sa fastidieuse tache de juge administratif.
Si le dualisme existe d'un point de vue institutionnel il ne possède aucune reconnaissance de la part des normes suprêmes françaises, ceci représentant la dernière étape de la création du droit administratif. Le juge administratif n’avait aucune garantie d’existence du fait de son manque d'inscription dans la Constitution française de 1958, ceci revenant à dire que c'est un pouvoir d'une puissance moindre comparé au pouvoir exécutif ou législatif, bien notés dans les titres de la Constitution. Cependant, le Conseil Constitutionnel finit par consacrer l’existence constitutionnelle du juge administratif, ainsi que son indépendance, et ce en ayant recours aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la république. À la suite de cette décision, le Conseil Constitutionnel constitutionnalise l’existence même du juge administratif le 23 janvier 1987. le dualisme juridictionnel est ainsi né.
LES CARACTÉRISTIQUES DU DROIT ADMINISTRATIF
Selon le principe de l'État de Droit, l’administration ne peut agir que dans le respect d’un cadre prédéfini, à défaut elle bénéficierait d’un pouvoir discrétionnaire et non contrôlé, propre au régime totalitaire. De plus une inégalité est nécessaire entre les personnes publiques et les personnes privées, puisque l’État et les autres personnes publiques s'occupent de protéger l’intérêt général et de fournir des services publics contrairement aux personnes privées ( entreprises, ménages...). Il n’existe donc pas d’égalité juridique entre les personnes publiques et privées, ces dernières doivent s’incliner devant l’administration. Donc cette inégalité entraîne l’inapplicabilité du droit Civil, lequel est par essence égalitaire, il ne reste donc plus que le droit administratif pour juger cette exorbitance juridique.
Le droit administratif est qualifié de droit jurisprudentiel, c’est-à-dire de droit créé par le juge. Historiquement, cela s’explique par le fait que le juge administratif n’avait que très peu de textes lui permettant de trancher les multiples litiges. Ce travail de création a été en grande partie réalisé par le Conseil d’État, qui a longtemps été l’unique juridiction administrative. Droit jurisprudentiel veut dire que contrairement au droit civil qui dispose de son fameux code civil, le droit administratif ne possède aucun code administratif général, il lui faut donc écrire son droit au fur et a mesure des litiges qui s'imposent à elle.
Dire que le droit administratif est un droit évolutif peut sembler inutile dans la mesure ou le droit évolue dans son ensemble. Cependant, il est clair que le droit administratif évolue de manière prononcée comparé aux d’autres branches du droit du fait de l’évolution sociale française. De plus le droit administratif est intimement lié à l’étendue de l’action publique : plus le secteur public est important, plus le droit administratif trouvera à s’appliquer et vice-versa.
Le droit administratif représente donc l'étendue de la puissance étatique. La France, du fait de son Histoire, possède un Etat fort et disposant de grandes prérogatives. Cette force ne se retrouve que rarement dans le monde, faisant de la France une exception. Le droit au service de l'Etat, l'Etat au service de la France.
Sources :
Droit administratif de Marie-Christine Rouault, édition 2017-2018.