Quelle situation pour la France au Sahel ? 1/2
2013 - Aujourd’hui : L’intervention militaire française au Mali (1/2)
Article écrit par : Thibaut C.
L’armée française entretient en ce moment environ 4 500 hommes dans le cadre de l’opération Barkhane de lutte contre le terrorisme islamiste. Cette opération se déroule sur cinq pays, regroupés au sein du G5 Sahel[1], ce qui représente une surface de 5 millions de km² à couvrir, soit huit fois la France.
L’armée française est déployée depuis janvier 2013 contre l’islamisme guerrier. Au Mali dans le cadre de l’opération Serval (Janvier 2013 - Août 2014), puis dans toute la région sahélienne. La première phase de l’intervention française en Afrique de l’Ouest s’est donc déroulée surtout au Mali. Ce pays était déjà engagé dans une guerre contre des mouvements séparatistes au Nord depuis 2012. Les rivalités entre l’État malien et son territoire du Nord – appelé Azawad par les mouvements indépendantistes – sont anciennes[2]. Déjà en 1963, donc peu après l’indépendance du Mali[3], le Nord touareg se rebellait contre le Sud.
Les causes de la guerre malienne de 2012
La déclaration d’indépendance de l’Azawad, proclamée le 6 avril 2012 acte l’occupation de cette région par les séparatistes. Plusieurs raisons expliquent la volonté d’émancipation de ces populations.
Il convient pour comprendre les causes de la guerre civile de décrire la région de l’Azawad, objet des revendications indépendantistes. Peuplée d’environ 1,3 millions d’habitants, elle contraste avec le reste du pays qui en compte 18 millions. C’est un territoire vaste – 822 000 km² soit plus de 60 % du territoire – mais très peu habité seulement 1.6 habitant au km². Les Touaregs, qui représentent environ 10 % de la population malienne sont présents au Nord où ils constituent la plus grande ethnie. Ce peuple n’a pas le même mode de vie ni la même culture – si l’on fait abstraction de la religion musulmane – que les populations d’Afrique centrale[4]. Leur Histoire de peuple nomade et commerçant a toujours été liée au Sahara, donc au Nord. Les relations entre ce territoire et l’État malien ont été tendues dès l’indépendance malienne. On peut déjà dire que ce dernier n’a pas toujours accordé de l’importance à cette région, jugée comme inféodée au pouvoir central[5]. Bamako s’est contenté de la seule présence militaire sans toutefois y intégrer des soldats d’origine touareg pourtant volontaires. La question du développement de l’Azawad n’était pas considérée comme une priorité pour le pouvoir malien. Le symbole de cette exclusion est le choix de développer une agriculture sédentaire qui profite davantage au Sud au détriment d’une agriculture pastorale, socle économique et social des tribus nomades du Nord. À cette marginalisation économique s’ajoute l’isolement politique de cette région dont les populations ne participent pas aux décisions politiques. Elles sont en effet peu représentées dans l’administration et au sein des institutions politiques maliennes[6]. L’exemple qui frappe le plus est le refus de l’armée malienne d’intégrer des combattants touaregs dont la tradition guerrière est pourtant manifeste[7]. Toutes ces conditions ont conduit en 2012 à la reprise de la lutte des mouvements séparatistes contre l’État malien. Elle a été principalement déclenchée par le retour de soldats touaregs combattant au sein de l’armée de Kadhafi en Libye. La chute du régime en 2011 a libéré ces hommes de leurs obligation libyennes et les a poussés à revenir au Mali. Ces Touaregs sont revenus puissamment armés et surtout expérimentés par des mois de guerre civile dans laquelle ils ont été souvent utilisés par l’armée libyenne. Il faut rajouter à cette volonté séparatiste l’élément religieux très implanté également au Nord. Depuis les années 1990, sont en effet présents des groupes islamistes qui constituent également, en 2012, une force armée avec ses propres objectifs. Ces groupes, nommés Ansar Dine ou encore le MUJAO[8], ont pour objectif l’installation d’un Califat régit par la Charia en Afrique. Le Mali se retrouve donc face à une force organisée et équipée et va connaître ses premières défaites dès 2012.
La guerre civile malienne et l’intervention française
L’opposition au pouvoir malien dans le Nord est incarnée par plusieurs groupes armés – le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Mouvement arabe de l’Azawad, le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad. Cette guerre conduit les armées maliennes à reculer et à abandonner totalement le Nord en 2012. C’est à partir de ce moment que la lutte, au départ, indépendantiste, assume de plus en plus un tournant religieux incarné par l’islamisme. Les groupes séparatistes s’allient aux groupes salafistes ou leur cèdent du territoire. Ces derniers étaient déjà présents mais leur pouvoir va se renforcer et ils effacent progressivement les premiers groupes rebelles pour assurer la conduite du combat contre l’État malien. C’est le tournant de la guerre. Aux revendications d’indépendance de l’Azawad vont se substituer les revendications islamistes de fonder un califat en Afrique. Ce changement amène les pays à considérer un conflit qui leur était d’abord étranger et lointain. La perspective d’une chute du Mali et de la réunion avec d’autres groupes islamistes de la région comme Boko Haram au Nigéria poussent des pays à réagir et au premier plan la France. La peur est à l’effondrement des États d’Afrique de l’Ouest. C’est à la demande des autorités de transition malienne que la France intervient en janvier 2013 pour empêcher ces groupes d’atteindre Bamako et ensuite les repousser plus au Nord. Cependant l’union n’est pas totale au sommet de l’État malien. Le Président de la République par intérim n’est autre que le président de l’assemblée nationale, Dioncouda Traoré. L’ancien président de la République Touré a en effet été démis de ses fonctions à la suite d’un coup d’État en 2012. La légitimité de Traoré est donc fragile. Des élections présidentielles doivent s’organiser en 2013. Cependant c’est Traoré qui demande l’aide de la France. À ce moment-là, les rebelles du Nord commencent à pénétrer la région du centre Mali et à débloquer le verrou qui ouvre la voie au Sud et donc à la capitale Bamako. C’est la chute de Konna, ville située au centre du pays, qui pousse la France à agir. Le gouvernement malien demande en effet à la France de l’aider militairement. Le Mali souhaite d’abord une intervention aérienne seule qui soutiendrait les troupes maliennes. C’est cependant une intervention terrestre qui sera organisée sous la pression française. La France, adoubée par le Conseil de sécurité de l’ONU, et l’armée malienne reprennent du terrain. Les victoires françaises et maliennes repoussent les rebelles vers le Nord du Mali. S’en suit, après une reprise rapide du territoire du centre, une dispersion des groupes islamistes qui rentrent en clandestinité et harcellent les forces maliennes et françaises. Une guerre au départ conventionnelle se transforme en guerre asymétrique. Le conflit proprement malien s’étend alors aux pays voisins – Burkina Faso et Niger. Pour stabiliser la région au Nord, le Mali et les mouvements séparatistes concluent un accord de paix à Alger en 2015. Il n’y aura ni indépendance du Nord, ni fédéralisme de l’État malien. L’accord prévoit plutôt une meilleure représentation du Nord dans la politique malienne, une politique de développement du Nord via des ressources publiques ainsi que l’intégration dans l’armée malienne et le désarmement des différents groupes. S’il est rappelé la diversité culturelle du Mali, rien en revanche ne permet aux populations du Nord de gagner en autonomie. Ils obtiennent des contreparties attendues certes, mais cet accord met fin, pour l’instant, aux exigences d’indépendance de l’Azawad ou de fédéralisation du Mali[9]. Cette paix permet, outre de régler partiellement la question du Nord, de détacher les troupes séparatistes de la lutte islamiste. La guerre n’est donc plus civile mais devient le seul combat contre l’islamisme.
La lutte aujourd’hui
Le regain des territoires du Nord par les forces alliées en 2013 et l’accord d’Alger de 2015 masquent cependant le fait qu’ils ont laissé derrière eux des groupes islamistes clandestins qui mènent aussi une lutte armée dans le centre appelé par ces derniers le Macina[10]. Ceux qui conduisent principalement ce combat s’appellent la Katiba Macina. Leurs revendications sont floues : certaines relevant de l’islamisme – c’est-à-dire l’instauration d’un califat –, d’autres davantage liées à la communauté peule qui souhaite une meilleure visibilité politique selon Aurélien Tobie[11]. Leurs modes d’actions relèvent aussi plus du banditisme et de l’opportunisme que du djihadisme. Cependant l’armée malienne lutte et est soutenu par la France qui a bombardé la Katiba Macina les 10 janvier et 23 février 2019[12]. La dispersion des groupes comme Ansar Dine ou AQMI[13] dans les pays voisins, au Niger et au Burkina Faso, ouvre aussi un nouveau front celui du Liptako[14]. C’est dans cette région frontalière qu’ont lieu actuellement les luttes les plus intenses. Comme le signifie le général François Lecointre, la « manœuvre [française] dépend également de la capacité des États voisins que sont le Niger, le Bénin et le Burkina Faso ». Le dernier lieu de combats réside dans la zone autour du lac Tchad, lutte essentiellement menée par les troupes tchadiennes.
Il faut, pour sécuriser ces zones et mettre fin aux harcèlements terroristes, un maillage par les armées locales qui seules peuvent mettre fin à ces luttes. Sans ces États rien ne pourra être fait. Premièrement, la surface à couvrir pour la France serait beaucoup trop grande, on l’a vu c’est plusieurs millions de km². Ensuite, l’action seule de la France donnerait le sentiment, chez les populations locales, d’un retour du colonisateur. Une animosité que les djihadistes ne manqueraient pas d’attiser. Ce serait contre-productif, car d’autres alors rejoindraient les rangs de nos ennemis. C’est ce que les Américains ont vu en Irak, c’est ce que nous avons compris en Afghanistan. Le seul rôle que peut avoir la France est donc celui du seul soutien militaire, logistique et économique. La préservation du Mali et des pays du Sahel face à l’islamisme est la seule manière pour la France de préserver ses intérêts en Afrique de l’Ouest. Renforcer ces États c’est affermir l’influence française dans la région. Face à l’essor des présences américaines et chinoises sur le continent africain, la France se doit de profiter de sa situation actuelle pour y faire perdurer sa prépondérance.
[1] Le G5 Sahel est formé du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad. C’est un organisme de coopération de développement et de sécurisation de la région.
[2] Tobie, A., « Le centre Mali : violences et instrumentalisation croisées » dans Sipri Insights on Peace and Security, N° 2017/5, Décembre 2017. p. 3
[3] Le Mali a pris son indépendance de la France en 1960.
[4] Sur l’histoire des Touaregs je recommande la lecture de l’article de Gourdin, P., « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise ». URL : https://www.diploweb.com/Touaregs-du-Mali-Des-hommes-bleus.html
[5] Plusieurs conflits ont éclaté au nord du Mali en 1963, en 1990, 2006 et 2012.
[6] Poupart, P., « L’Azawad comme enjeu des négociations de paix au Mali : quel statut pour un territoire contesté ? » dans Confluences Méditerranée, n° 101, 2017/2. pp. 97-112
[7] La société touarègue est une société militarisée. Les soldats sont au sommet de la hiérarchie sociale. Voir Gourdin, P., op. cit.
[8] Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest.
[9] https://maliactu.net/mali-laccord-dalger-2015-ce-quil-faut-en-retenir/
[10] Le Macina est une région historique qui englobe la région de Mopti et s’étend entre Ségou et Tambouctou.
[11] Tobie, A., op. cit.
[12] Audition du Chef d’État-major des Armées du Mardi 11 juin 2019. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/18-19/c1819042.asp
[13] Al Qaida au Maghreb Islamique
[14] Le Liptako est une région d’Afrique de l’Ouest s’étendant sur l’Est du Mali, le Nord du Burkina Faso et l’Ouest du Niger.