La méritocratie en France

 
Première remise de la Légion d’honneur par Napoléon Bonaparte. L’Empereur voulait récompenser et distinguer les hommes de valeur, peut importe leur origine, au service de la France. (Tableau peint par Jean-Baptiste Debret)

Première remise de la Légion d’honneur par Napoléon Bonaparte. L’Empereur voulait récompenser et distinguer les hommes de valeur, peut importe leur origine, au service de la France. (Tableau peint par Jean-Baptiste Debret)

 

LE GOUVERNEMENT DES PLUS MÉRITANTS 

« Le gouvernement des meilleurs et des plus brillants au sein de l’administration et des forces armées » : voilà comment il serait possible de définir la méritocratie. Cette doctrine politique considère que les gens les plus travailleurs, méritants et efficaces sont amenés à des postes à haute responsabilité et haut prestige. Elle s’oppose par essence à l’aristocratie ; les familles les plus anciennes et prestigieuses de l’histoire du pays qui constituent une caste politique, économique et militaire forte de privilèges dus à leurs rangs. A l’opposé des aristocrates, les méritocrates considèrent que le statut social d’un individu ne se définit pas par le sang, les titres ou les terres, mais bien par le travail personnel et l’abnégation. Ce mode de pensée suppose une hiérarchie sociale profondément inégalitaire de fait (les plus méritants sont voués à la richesse et au pouvoir quand les moins méritants sont destinés à demeurer pauvres et sans poids politique) paradoxalement très mouvante : le fils d’un diplomate méritant n’aura pas de statut social s’il ne fait pas ses preuves auparavant.

L’HISTOIRE DE LA MÉRITOCRATIE EN FRANCE 

La France est un pays ayant une longue tradition méritocratique. Malgré le fait que le pays soit longtemps demeuré une monarchie avec son aristocratie traditionnelle, la méritocratie a trouvé un sol fertile dans le pays des Lumières. Aujourd’hui largement confondu avec le régime républicain et la Révolution française de 1789, la méritocratie est bien plus ancienne et trouve ses racines dans le Moyen-Âge. Ainsi, dans un contexte d’absolutisation du pouvoir royal, de concentration des pouvoirs en la personne du monarque et le combat contre l’aristocratie féodale, la méritocratie a pu s’exprimer sous les règnes des différents Capétiens. Le règne de Louis XIV seul est un exemple caractéristique de préférence méritocratique : ainsi, le marquis de Vauban, maréchal de France et ministre de la Guerre était d’origines modestes (fils d’hobereaux, terme péjoratif pour qualifier un noble pauvre). Molière, grand artiste qui donnera son nom à la langue française, est lui issu de milieux populaires (marchands parisiens). Enfin, Jean-Baptiste Lully, musicien personnel du Roi, était un fils de meunier italien. On peut également citer le cardinal Mazarin, d’origine roturière et Jean-Baptiste Colbert, génie des Finances françaises et fils de maçon (comprendre entrepreneur fournisseur de matériaux).  

Naturellement, la Révolution permis à la bourgeoisie d’accéder à des fonctions auparavant inaccessibles à leur rang. Robespierre, Danton, Marat, Saint-Just, Barras, tous ces noms sont ceux de roturiers entrés dans les masses de granit de l’histoire de France. Mais l’âge d’or de la méritocratie en France fût l’Empire napoléonien. La nouvelle noblesse impériale était, en effet, composée presque entièrement de « parvenus », des pauvres sans avenir dans la France de l’Ancien Régime, qui devinrent maréchaux, princes, ducs et mêmes rois de pays étrangers. Ainsi, on peut citer Joachim Murat, maréchal d’Empire, roi de Naples, fils d’aubergiste, Masséna, duc de Rivoli et prince d’Essling, fils de négociant en vins, Augereau, duc de Castiglione, qui était fils de domestique, etc. Tous ces grands noms firent les plus grandes heures de l’Histoire de France. On pouvait d’ailleurs parler sous l’Empire d’aristocratie méritocratique en cela que les plus méritants pouvaient accéder à un rang qui viendrait consolider leur famille. Mais bien évidemment, la principale figure méritocratique de cette période est Napoléon Bonaparte, issu de la petite noblesse corse, qui, à force de travail et de persistance réussit à devenir empereur des Français et maître de l’Europe continentale, le tout en moins de 40 ans !   

Il faudra attendre la Troisième République pour voir naître de nouveaux héros français issus de la méritocratie. Cette nouvelle vague ne profite pas d’un conflit en particulier mais de l’évolution de la société : le triomphe de la science et la mise en place d’académies militaires et civiles destinées à fournir des gens qualifiés aux postes proposés, permirent à de grands hommes d’atteindre un statut historique. Ainsi, Clemenceau, fils de médecin, Joffre, fils de tonnelier, Foch, fils de percepteur des impôts et Pétain, fils de cultivateurs, accèderont à des postes inespérés dans une société aristocratique fondée sur le sang. Mais ce qui est plus important encore, c’est le fait que les nobles sont de moins en moins présents aux postes politiques, économiques et militaires. La République a réussi à soumettre une noblesse jusque-là récalcitrante (notamment, là encore, en obligeant le passage par les grandes écoles et académies). 

Enfin, point d’orgue de la méritocratie républicaine, la Cinquième République permet l’accession des plus modestes à un niveau de vie bien supérieur à ce que tous leurs ancêtres pouvaient prétendre auparavant. L’évolution du parcours scolaire et le passage obligé par l’école et l’université a achevé la mutation méritocratique de la France. 

 

UN MÉRITE MIS À MAL PAR l’ÉGALITÉ 

Cependant, la France de l’après-Guerre Froide est frappée par un mouvement égalitariste strict qui considère la méritocratie comme un frein à l’égalité stricte entre tous les êtres humains. La volonté de détruire les classes préparatoires, l’imposition de quotas sexués ou racisés, la discrimination positive, sont autant de facteurs qui menacent la méritocratie. Une doctrine certes inégalitaire par essence mais qui permet à l’échelle la plus basse d’atteindre le sommet de la pyramide sociale. En panne, le fameux ascenseur social est à l’origine de toutes les crises comme celle des Gilets-Jaunes : le manque de perspective d’évolution et d’ascension conduit à une frustration et donc un affrontement entre la base et le sommet de la pyramide.  

C’est dans ce contexte que deux visions s’affrontent en France : une vision traditionnelle méritocratique qui réaffirme qu’une société ainsi ordonnée permettrait une société dynamique, heureuse car pleine de perspectives, et démocratique avec un renouvellement des élites, et une vision égalitariste d’inspiration marxiste qui refuse toute forme d’hégémonie d’une partie de la population sur le reste, toute hiérarchisation et une égalité stricte des individus…  

Sources 

L’Industrie, L’Organisateur, Le Nouveau Christianisme, Du système industriel, Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1816-1817) 

Maurice Bernard, la méritocratie française. Les élites françaises, Tome 1, Pierre Bataille (2011) 

Le monde selon Bourdieu : Dans les coulisses de la domination, Philippe Cabin (2000) 

https://www.canalacademie.com/ida7973-L-Essentiel-avec-Michel-Pebereau-de-l-Academie-des-sciences-morales-et-politiques.html?page=article&id_article=7973&var_recherche=m%E9ritocratie 

https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ritocratie#France_et_m%C3%A9ritocratie 

https://www.snes.edu/Classes-prepa-Les-CPGE-menacees-par-la-reforme-du-lycee.html 

http://madame.lefigaro.fr/societe/parite-egalite-marlene-schiappa-veut-relever-a-50-les-quotas-de-femmes-dans-tous-les-domaines-020619-165396