Quel avenir pour le spatial dans l’Europe de demain ?
Dans quelques semaines, le 27 et 28 novembre 2019, se tiendra la réunion interministérielle pour définir les aides au secteur du spatial. L’Agence Spatiale Européenne (ESA) a déjà annoncé avoir besoin de 14,2 milliards pour mener à bien ses projets entre 2020 et 2022. C’est 4 milliards de plus qu’en novembre 2016. À l’époque, elle n’avait obtenu qu’une dizaine de milliards sur les 12 demandés. La gestion du budget est particulièrement compliquée. Il est vrai que la plupart des programmes annoncés font l’objet d'un certain consensus, et d’une adhésion globale de tous les pays membres. Mais les négociations les plus ardues toucheront comme toujours au portefeuille. En d’autres termes, les pays soutiennent des programmes, mais sont plus discrets sur le financement. En 2019, l'ESA a bénéficié d'un budget de 4,18 milliards d'euros (sans compter la gestion de 1,54 milliard d’euros de programmes pour le compte de la Commission européenne), face aux 21 milliards de budget de la NASA. L’Europe ne semble pas jouer dans la même cour et ne doit donc surtout pas faillir dans la réalisation de ses futurs investissements.
En ces temps incertains, projection sur le futur du spatial dans l’Europe de demain.
L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE
Si la France et le Royaume-Uni ont été les deux premières nations européennes à mettre sur orbite des satellites (respectivement en 1965 et en 1971), c’est toutefois en 1962 que les premières organisations spatiales européennes ont vu le jour, jusqu’à la création finale le 31 mai 1975 de l’Agence Spatiale Européenne. Cette dernière, souvent désignée par son signe anglais ESA est une agence intergouvernementale. Son rôle : assurer et développer, à des fins exclusivement pacifiques, la coopération entre Etats européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiale. Elle s’occupe aussi de leurs applications spatiales, en vue de leur utilisation à des fins scientifiques et pour des systèmes spatiaux opérationnels d'applications. Au cours de sa jeune existence, l’agence a déjà couvert l’ensemble du domaine spatial et réalisée de nombreux projets. En tête de liste, l’exploration du système solaire, l’étude de la physique fondamentale, le programme Galileo (navigation par satellite), sa participation à la Station Spatiale Internationale et à Orion. L’Europe spatiale s’est bâtie à l’extérieur des institutions communautaires. Ce qui ne veut pas dire qu’elle repose uniquement sur des bases nationales. Elle a fait d’emblée une large place aux coopérations entre pays et entre industriels de différents pays. La politique spatiale, justement, repose sur une organisation spécifique décidée en 2008 : l'Union européenne (UE), l'Agence Spatiale Européenne (ESA) et les Etats membres en sont les 3 piliers complémentaires.
La stratégie de l’agence est définie par un Conseil dans lequel chaque pays membre dispose d'un représentant. Les programmes spatiaux présentés par l’agence sont alors conservés ou rejetés par le Conseil, et les pays membres doivent verser une contribution proportionnelle à leur PIB pour le financement des programmes. Les membres du Conseil sont par ailleurs souvent à l'origine des initiatives spatiales qui sont ensuite reprises dans le cadre de l'UE ou de l'ESA. Ils les instruisent et les proposent de façon à convaincre les autres états-membres, à l'instar de ce que la France a su faire pour la plupart des grands programmes européens. Une autre partie du budget (25%) est fourni par l’Union Européenne et EUMETSAT (Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques).
En théorie, chaque état membre dispose de ses universités, de centres de recherche, d‘installations, de moyens scientifiques au sol, et de capacités industrielles. En pratique, la difficulté dans la gestion de « qui fait quoi », est due au fait que les pays membres sont très inégalement équipés et seuls quelques pays tel que la France avec le CNES, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie s’impliquent vraiment.
LA PLACE DE L’ESA DANS LE MONDE
Aujourd’hui, l’Europe figure sans aucun doute dans le top mondial des acteurs du spatial avec les États-Unis, la Russie et la Chine. Historiquement, La Russie (ex-URSS) et les Etats-Unis sont en tête des records réalisés dans l’espace (première mise en orbite, première sortie extra véhiculaire, premiers pas sur la lune). Leur avance s’explique par le contexte de Guerre Froide de l’époque. Le fait frappant est l’émergence depuis quelques années d’une compétition entre tous les acteurs du secteur, qu’ils soient privés ou publique.
Aux États-Unis, on note un retour en force depuis quelques années qui résulte très nettement de deux facteurs : d’une part, l’arrivée d’acteurs privés tel que SpaceX et Blue Origin permettant à la NASA de nouer des partenariats et de conceptualiser beaucoup de projets avec des entreprises Américaines. Autrement dit, Les Etats Unis organisent depuis quelques années une véritable autosuffisance dans le domaine du spatial ce qui évite à la NASA de commander à l’étranger comme cela se faisait beaucoup auparavant. Ces acteurs privés apportent aussi un nouveau souffle à cette course à l’espace qui avait fini par agacer l’opinion publique en fin de Guerre Froide. N’oublions pas aussi que ces entreprises sont nées de patrons fortunés qui injectent des millions de dollars chaque année, ce qui permet de relancer un dynamisme dans le pays (création d’emploi, recherche scientifique, formation, etc…).
Enfin, des ambitions politiques fortes resurgissent dans le pays avec, par exemple, l’annonce récente par l’administration Trump de retourner sur la Lune avec des astronautes en 2024.
La Chine a fait en quelques décennies ce que tous les autres ont fait en presque un siècle. Le programme spatial de la République Populaire de Chine a accompagné l’essor économique exponentiel du pays. Durant le 20eme siècle, le pays met bien plus l’accent sur les aspects pratique. Les programmes de prestige comme les vols spatiaux habités sont écartés, tandis que la construction de satellites de télécommunications et de météorologie sont lancés. Aujourd’hui, la Chine est bien plus ambitieuse tout comme les Etats-Unis (création d’une station spatiale en orbite basse, envoie de robots à la surface de la lune, recherches des technologies permettant à terme la réalisation d’un vol habité). Le pays a mis sur pied des programmes couvrant l’ensemble de l’activité spatiale faisant d’elle un leader du secteur.
La Russie est bien moins active à l’innovation dans le domaine du spatial que ses concurrents. Autrefois acteur important de la Guerre Froide, l’URSS en sort grande perdante et implose dans les années 90. Le secteur du spatial russe est alors, depuis, en globale perte de vitesse. Aujourd’hui, le pays garde pourtant une place centrale, notamment grâce à son vaisseau Soyouz réputé le plus fiable du monde avec lequel nos astronautes sont envoyés sur L’ISS. Il doit toutefois prendre garde aux entreprises privées américaines tel que SpaceX qui développe actuellement son vaisseau habité en vue d’approvisionner l’ISS dans les prochaines années.
RÉSOUDRE LES PROBLÈMES DE L’EUROPE
Face à cela, l’Europe semble hésitante et reste dans son paradigme historique : elle a su, avec un budget limité (comparé aux Etats-Unis), se construire une position très importante dans le spatial avec des leaders industriels de premier rang, tels qu’Airbus et Thalès en France, OHB en Allemagne, Avio en Italie. On pourrait également citer de nombreuses start-ups qui commencent à émerger. Pour autant, ces acteurs font face à une concurrence de plus en plus importante de la part des Américains et Chinois. Plus généralement, l’Europe spatiale est en manque de repères dans le New Space.
Le futur du spatial européen dépend donc de la capacitée qu’a l’Europe pour remanier sa stratégie spatiale en surpassant les problèmes internes dû à la complexité des niveaux de décision, à la pluralité des acteurs et à un manque de capitaux privés. Tout ceci crée une incertitude sur le partage des compétences, et génère donc logiquement des rivalités dont on se passerait bien. Le centralisme n’est pas la solution miracle, mais une réorganisation en ce sens de l’Europe Spatiale aiderait franchement. Enfin, elle doit encourager davantage la recherche scientifique et trouver un remède au désintérêt général de l’opinion sur les programmes spatiaux.
Sources :
Programme prévisionnel du sénat ( officiel ):
Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ( officiel ): https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid26044-cid56088/politique-spatiale-europeenne.html
Universalis.fr : https://www.universalis.fr/encyclopedie/agence-spatiale-europeenne-ou-e-s-a-european-space-agency/
L’express : https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/l-esa-l-agence-spatiale-europeenne_1760404.html
Agences spatial.fr : https://www.agences-spatiales.fr/
Proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la Politique spatiale de L’union Européenne : https://www.senat.fr/rap/r18-636/r18-636_mono.html
Institut Montaigne : https://www.institutmontaigne.org/blog/europe-spatiale-un-probleme