L’Abandon des Afghans

 
Soldats australiens et afghans avant une opération - OTAN

Soldats australiens et afghans avant une opération - OTAN

 

Lorsque les Austro-germano-russes se partageaient la Pologne au XVIIIe siècle, les Polonais disaient du royaume des lys que «la France est trop loin comme Dieu est trop haut dans le ciel». Aujourd’hui, ce n’est pas une nation sœur, une alliée de longue date, une cousine catholique qui appelle au secours. Aujourd’hui, ce sont des serviteurs de la France qui supplient la République de les aider. Retour sur un abandon.

La France est intervenue en Afghanistan avec une large coalition internationale pour annihiler l’organisation terroriste Al-Qaeda qui était en partie hébergée sur le sol afghan par ses partenaires talibans. Cette guerre a commencé en 2002. En 2012, le président François Hollande, sagement, ordonne le retrait de l’armée française d’Afghanistan. Le conflit était devenu interminable, faute d’objectifs viables depuis l’extirpation d’Al-Qaeda.

Durant cette décennie, l’armée française s’est distinguée par une «French Touch» que les Américains-copieurs intelligents-ont reproduit plus tard dans leurs quelques succès irakiens. Il s’agit de tactiques de contre-insurrection dont le but est de gagner «le cœur et les esprits» en se rapprochant des populations civiles. Cette culture de contre-insurrection a été acquise par l’armée française durant les guerres de colonisation, sur l’île de Madagascar et au Maroc et durant les conflits de décolonisation d’Indochine et d’Algérie.

Or, à toutes les époques, la langue est le premier ennemi à abattre pour séduire une population. L’armée française a ainsi eu l’habitude de recourir à des interprètes locaux ou d’en former sur place. L’Afghanistan n’y fait pas exception. Environ 800 «PCRL», «personnels civils de recrutement local» ont travaillé au service de la France. Leur seule arme était leur connaissance de la langue de Molière. Ils ont été les éléments nécessaires au succès des opérations françaises.

Mais, en 2012, quand nos troupes se sont retirées, la guerre n’est pas finie et les talibans sont avides de vengeance contre ceux qui ont aidé les «croisés». Or, les interprètes afghans n’ont pas été évacués vers l’Hexagone.

Aujourd’hui, ces hommes et leurs familles sont à la merci de nos anciens ennemis. Les rues de Kaboul ont été endeuillées par les assassinats de nos interprètes. Certains ont fui. D’autres se cachent comme des coupables. Coupables de quoi ? D’avoir aidé la France ? D’avoir cru en les idéaux qui forgent notre gloire ?

Plusieurs fois, les demandes de visa de nos interprètes ont été refusées. Trop en sont morts. Après des années d’inaction, quelques parlementaires de la commission Défense de l’Assemblée nationale ont demandé des éclaircissements sur cette situation intolérable.

Il est que temps la France rompe avec cette atroce habitude des «jouets de l’Histoire». La tragédie des harkis ne doit pas se reproduire. La France ne peut pas abandonner encore une fois ses auxiliaires et leurs proches. Il en va du devoir du gouvernement d’accueillir avec dignité au sein de la Nation ces interprètes. On ne se déshonore qu’en refusant le secours à ceux qui ont servi les armes de France au péril de leur vie. Comme l’écrivait Aragon :

«Nul ne semblait vous voir français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents»