L'Anarchisme, naissance pragmatique, doctrine critiquable, but irréalisable

 
Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, révolutionnaire, théoricien de l'anarchisme et philosophe russe qui a particulièrement écrit sur le rôle de l'État.

Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, révolutionnaire, théoricien de l'anarchisme et philosophe russe qui a particulièrement écrit sur le rôle de l'État.

 

« La notion d'anarchie en politique, est tout aussi rationnelle et positive qu'aucune autre. Elle consiste en ce que, les fonctions politiques étant ramenées aux fonctions industrielles, l'ordre social résulterait du seul fait des transactions et des échanges. Chacun alors pourrait se dire autocrate de lui même, ce qui est l'extrême inverse de l'absolutisme monarchique. » La notion politique d'anarchisme est née au cours de la 1ère moitié du XIXème siècle avec des fondateurs comme le russe Mikhaïl Bakounine ou le français Pierre-Joseph Proudhon, auteur de la précédente citation. Le XIXème siècle vit alors la révolution industrielle, les bruits assourdissants des machines résonnent, les fumées de charbon alimentent les usines et les campagnes se vident grossissant les rangs des ouvriers. Cette époque voit le monde changer comme jamais auparavant, la médecine progresse, l'Europe domine le monde et les classes moyennes grandissent et se développent. Dans le même temps, du fait de leur nombre et d'un niveau de vie semblable, une véritable conscience ouvrière se développe provoquant les célèbres « luttes de classes ». La paupérisation d'un grand nombre de personnes et le sentiment d'abandon de la part de l’État et des élites se firent précurseurs de deux courants, assez semblables, le communisme et l'anarchisme. Désirant mettre fin à toute forme d'oppression, d'encadrement, d'élitisme, l'anarchisme se veut « émancipatrice, renversant la société bourgeoise et capitaliste, inhumaine et stupide, pour la remplacer par une société de paix et d'harmonie ».[1] Si la naissance de cette philosophie politique et son but initial peuvent répondre dans un premier temps à un besoin pragmatique de lutte pour la survie et sécurité, la précédente citation démontre déjà un problème important : Une société de paix et d'harmonie. Ces mots démontrent une niaiserie, l'anarchisme actuel à travers son évolution désire des objectifs inatteignables, baignés d'une vision idéaliste de l'Homme, dégradant ainsi son corps et ses revendications.


UNE PHILOSOPHIE POLITIQUE NÉE EN RAISON D'UN MAL ÊTRE SOCIAL

Les anarchistes eux mêmes revendiquent leur philosophie politique vieille comme le monde, affirmant qu'il y avait anarchisme lors des premières sociétés humaines sans chefferies, s'appuyant sur des théoriciens comme Etienne de la Boétie ( XVIème siècle) pour démontrer un anarchisme de tout temps. Mais cette philosophie s'est véritablement développée, structurée au cours du XIXème siècle. C'est globalement la paupérisation d'une partie de la société ( principalement ouvriers et petits paysans) et à l'inverse l'enrichissement de la haute bourgeoisie et la création de véritables conglomérats industriels qui viennent grossir les inégalités croissantes, créant une conscience (surtout ouvrière) commune et fondant ainsi le prolétariat. Les dures journées ( plus de 12 heures par jour), nombreux accidents et conditions difficiles de travail (22 pour 10 000 en France), faibles salaires ( 60% des revenus pour la nourriture) et manque de considération de la part des employeurs et de l’État amènent à une dangereuse fragilisation d'une partie de la population. Dans un contexte de défense d'un décent cadre de vie, voir de survie, leur prolétariat cherche à s'armer et milite dans un premier temps légalement pour la constitution de syndicats. Mais la liberté syndicale et le droit de grève sont alors interdits ( loi Le Chapelier 1791) ce qui conduit à de nombreuses répressions étatiques (révoltes des Canuts à Lyon en 1831, grève des mineurs d'Anzin en 1884 ( inspirant Zola pour son ouvrage Germinal)). Ne pouvant se protéger légalement, n'ayant aucun soutien de la part de l’État ni de leurs employeurs, les classes pauvres, le prolétariat, se tourne donc vers deux philosophies politiques promettant des conditions de travail et de vie décentes. Plus loin encore, voyant dans l’État et la bourgeoisie industrielle des ennemis il s'agit de changer la politique même, le monde sociétal et les relations sociales dominant-dominé. C'est là qu'intervient l'anarchisme. A l'origine anarchisme et communisme se retrouvaient au sein de l'Internationale. Sorte d'association coordonnant les mouvements ouvriers européens (1er rassemblement à Londres en 1864). Assez rapidement ces deux courants doctrinaux se trouvent des divergences et se séparent en 1782. Il est dit que «  Si les deux courants espèrent l'abolition de l’État, les anarchistes croient qu'elle doit survenir le plus rapidement possible, alors que les marxistes considèrent qu'il est possible d'utiliser l’État pour abolir le capitalisme et qu'il faudra attendre que l’État se dissolve de lui même, une fois la bourgeoise vaincue. »[2] De même « Une fois la révolution réalisée, les anarchistes sont pour l'autogestion et la fédération des communes ou syndicats autonomes, alors que les marxistes optent pour la nationalisation des moyens de production par l’État ».[2] Ces différences amèneront ces deux courants à s'affronter au niveau des idées mais aussi lors de conflits bien terrestres ( révolution russe en 1917, guerre civile espagnole en 1936).

Les anarchistes d'alors souhaitaient la fin de la propriété privée, rouage, selon eux, du système producteur d'inégalités. Il était très compliqué alors d'accéder à la propriété du fait du manque de moyens, seuls ceux possédant quelques richesses et l’État étaient propriétaires, « imposant » le loyer à des ménages trop pauvres pour les payer. « La propriété c'est le vol » disait Proudhon. De même « La nature a donné à chaque Homme un droit égal à la jouissance de tous les biens » affirmait Gracchus Babeuf, il était ici question d'inégalité de naissance, d'impossibilité d'élévation sociale, le prolétariat d'alors ne bénéficiait d'aucune propriété, le bourgeois industriel bénéficiait de toutes les propriétés. Cette question égalitaire se retrouve au niveau des rapports d'autorité, du nommé « combat de classes contre le capitalisme » le prolétariat, les anarchistes contre les puissants, l’État, les bourgeois, ceux qui disposent du pouvoir légal, de la richesses, du pouvoir coercitif. Selon eux le pouvoir est inégal, corromps l'Homme, est la cause de maintes souffrances et ne remplis sûrement pas son rôle. Il convient alors de revenir aux « fondamentaux », d'Homme à Homme dans un rapport égal, sans force au dessus, une société non coercitive structurée de part les échanges sociaux, de part tout le monde mais sûrement pas par quelques uns. L'anarchisme combat aussi l’Église car, toujours selon lui, constamment au service des puissants à titre de moyen de domination et imposant une foi discutable et non prouvée. « Ils (l'autorité) ont attribués toutes ces forces, propriétés et manifestations naturelles à l'être imaginaire crée par leur fantaisie abstractive »[3] disait Bakounine.

Ainsi donc délaissés par une politique inefficace, des employeurs non consciencieux s'enrichissant sur leur dos, une Église et armée aux mains des puissants, des moyens de travail et des habitats leur échappant, le prolétariat, les classes les plus pauvres, sacrifice de la si grande révolution industrielle s'organisaient sous l'anarchisme. Ces revendications sociales, d'élévation du niveau de vie, s'effectuaient par des manifestations, grèves mais aussi combats armés ( Commune de Paris en 1871) et attentats ( à la bombe contre le Parlement en 1893, assassinat du président de la république Sadi Carnot en 1894 etc...).

Mais si le désir d'alors d'élévation du niveau de vie, de sécurité économique et sociale, de reconnaissance politique et sociétale pouvait s'expliquer par de bien tristes et faibles conditions de vies, l'anarchisme a évolué en même temps que la société pour disposer de revendications différentes se prêtant mal à une société ayant évoluée. Désirant des changements irréalisables, utopiques voir d'une niaiserie enfantine n'impliquant que peu de sympathisants et se prêtant mal à la réalité du monde actuel cette philosophie se trouve affaiblie.


UNE PHILOSOPHIE POLITIQUE INADAPTÉE, UN BUT UTOPIQUE

Pendant les deux siècles passés l'anarchisme évolua tout comme la société. Des critiques originelles possibles envers cette philosophie politique s'en rajoutent d'autres, conséquences de revendications inadaptées envers le monde actuel. Car la société d'aujourd'hui ne représente plus le prolétariat, terreau fertile d'alors l'expansion anarchiste. Un faible pourcentage de la population est ouvrier (13.66% en 2017) de même pour les « petits paysans » n'existant plus vraiment étant remplacés par de gros propriétaires. La base humaine anarchiste a donc changé, migré vers d'autres classes de populations, la jeunesse est ici le nouveau terreau d'implantation de l'anarchisme avec une majorité d'étudiants. Ces changements ne viennent pas seuls, un énorme déclin du nombre de sympathisants s'est effectué au cours des siècles, de plusieurs millions en 1864 à probablement moins de 100 000 en 2020. Ce déclin témoigne de la faiblesse de l'anarchisme à répondre efficacement aux défis d'aujourd'hui.

Car le but politique consistant en l'amélioration du niveau de vie décent par la destruction n'est plus aussi essentiel qu'au cours de la révolution industrielle ; Le droit de grève, la liberté syndicale sont reconnus, les conditions de travail ont significativement augmentés (de 12 à moins de 8 heures de travail par jour), la sécurité sociale, un système de santé décent, un système politique plus efficace et moins corrompu existent et taisent toute revendication désirant la mort du système politique et sociétal actuel. Il est possible de dire que l'anarchisme tout comme le communisme sont des philosophies politiques désuètes et inadaptées aux temps actuels. Il n'est pas dit ici que tout combat politique est vain et inutile mais que vouloir détruire le système actuel est un trop gros enjeu pour les objectifs désignés. Un grosse critique possible envers l'anarchisme est son manque de discernement envers alliés, ennemis et même son propre fonctionnement interne. Ce manque pourrait être qualifié de manichéisme, les « bourgeois », l’État, l’Église sont les ennemis, les méchants, autoritaires possédants tous, ne laissant rien au peuple, taisant toute volonté émancipatrice. Le peuple lui est l'élu, non-critiquable, blanc, innocent, persécuté par le très riche et très puissant, ne désirant que son émancipation et sa liberté. Tout ceci est bien entendu très manichéen voir niai. Aucune classe bourgeoise n'existe, une grande mixité de richesses, d'intérêts ont cours, beaucoup de « patrons » ont un niveau de richesse comparable au sympathisant moyen anarchiste et ne souhaite en aucun cas s'accaparer de toutes les richesses produites. Cette niaiserie se retrouve dans les écrits doctrinaux anarchistes débitant des propos enfantins, illogiques et inutiles comme « Si l'anarchisme devrait se trouver en conflit avec la vérité, c'est à l'anarchisme que les anarchistes renonceraient » (l'art de parler pour ne rien dire) et « l'anarchisme est l'aboutissement logique […] auxquelles les masses se vouent d'instinct » [4] ce qui est faux, le contraire est prouvé par l'Histoire même, les peuples se vouent à leur nation, à la sécurité, stabilité et à l'efficacité de la politique ce que n'est certainement pas l'anarchisme. Mais ce manque de discernement concerne tout autant l'Homme. Car le but de l'anarchisme, destruction et reconstruction d'un système sociétal sans structure politique mais seulement sociale, d'Homme à Homme, place une confiance aveugle en cet être humain qui a tant de fois déçu. Croire à un société sans État ou aucun conflit n'émergerait, aucune corruption, avidité, volonté de pouvoir n'existerait c'est sous estimer la nature humaine. En cas de crise qui pourrait prendre rapidement des décisions efficaces ? Si l'anarchisme c'est la politique faite par tout le monde comment aura t-on la possibilité de légiférer, débattre des heures tout en devant travailler, gagner son pain quotidien ? Les anarchistes se disent contre la politique du compromis, mais si des personnes ne désirent pas suivre la majorité et vivre dans une société anarchiste que faire d'eux ? Comment détruire et refonder une société pour 8 milliards d'êtres humains, 200 pays, autant de cultures et d'histoires ? Tout ceci est impossible, utopique donc irréalisable. Il faut mettre fin à cette niaiserie, plutôt que tout détruire et reconstruire, participer au débat politique actuel pour pas à pas avancer avec l'ensemble de la société et du corps politique.

L'anarchisme est né du pragmatisme, plutôt que de s'en écarter il convient de le retrouver et de s'apercevoir qu'au lieu d'un monde manichéen et qu'un Homme parfait, le monde actuel résonne par les conflits ( politiques, militaires, sociaux, sociétaux etc...) tendant à faire évoluer la société humaine. Le monde est en guerre perpétuelle, TerraBellum.


Sources :

[1] [4] Ce que veulent les anarchistes de Georges Thonar et Gérard Debehognes.

[2] L'anarchie expliquée à mon père de Thomas Déri et Francis Dupuis-Déri.

[3] Dieu et l'Etat de Mikhaïl Bakounine.

Petite éloge de l'anarchisme de James c. Scott.

Discours de la servitude volontaire d'Etienne de La Boétie.

https://www.retronews.fr/echo-de-presse/2018/03/14/la-greve-lorigine-du-germinal-de-zola?fbclid=IwAR2Fsb5PT-lN_gHT95cdWj5ixt1Az_AKiey2zbCfZl8F4YqXtnDFAFqdCKE

https://www.lelivrescolaire.fr/manuel/1188895/histoire-geographie-4e-2016/chapitre/1189055/la-troisieme-republique/page/1189071/la-republique-en-fonctionnement/lecon/document/1233101?fbclid=IwAR3YxqKhgmX5R5qZTc6cr8MnM81yaKnkB9ln_uZPpkKmdynT6y2bDvTqZSM

https://www.lelivrescolaire.fr/manuel/1188895/histoire-geographie-4e-2016/chapitre/1189055/la-troisieme-republique/page/1189071/la-republique-en-fonctionnement/lecon/document/1233101?fbclid=IwAR3YxqKhgmX5R5qZTc6cr8MnM81yaKnkB9ln_uZPpkKmdynT6y2bDvTqZSM