Terra Cultura : La catabase
C’est un lieu commun de nombreux récits anciens mais aussi un passage obligé pour la plupart des épopées modernes, la catabase sert d’épreuve ultime pour tout héro, d’Orphée et Héraclès à Frodon ou encore Luke Skywalker. Ce rite initiatique achève la transformation du protagoniste et constitue l’ultime défi. « Catabase » est un nom féminin français ayant pour ancêtre étymologique le grec ancien « katabasis » qui signifie « descente, action de descendre ». Elle désigne la descente de l’esprit – et/ou du corps – vers le royaume des Morts, territoire d’ordinaire inaccessible pour tout être encore vivant. Sa popularité dans les récits tragiques, épiques ou encore dramatiques traduit une importance symbolique puissante dans l’imaginaire collectif : le dépassement de la peur, l’abnégation du héro et la découverte de son être profond. Quels sont les épisodes catabatiques les plus célèbres ? Que traduit-elle sur la nature humaine ?
Les récits catabatiques célèbres
D’autres civilisations avant les Grecs traitèrent de la descente aux enfers comme les Sumériens ou les Égyptiens. Ainsi, pour ces derniers, l’un de leurs principaux dieux, Râ – le dieu solaire – traverse chaque nuit le royaume des Morts à bord de sa barque divine afin d’inonder de lumière les champs fertiles de l’Au-delà.
Chez les Grecs, plusieurs récits sont devenus célèbres dont les deux principaux sont les catabases d’Héraclès et Orphée.
Héraclès, dompteur de Cerbère
Héraclès (Hercule pour les Romains), demi-dieu fils de Zeus, se voit confié douze travaux impossibles pour expier l’assassinat de sa femme Mégara ainsi que de ses fils. Parmi les derniers de ces exploits ; la maîtrise du gardien canin des enfers, Cerbère. Ce chien infernal à trois têtes a pour mission d’empêcher quelconque âme de sortir du domaine des Morts ainsi qu’à dissuader tout inconscient d’y entrer. Cet épisode démontre ainsi la puissance divine du héro qui parvient à dominer la bête là où personne n’y a jamais réussi.
Le tragique destin d’Orphée
Orphée est un prince grec, excellent musicien et poète béni des dieux olympiens, et fils de la muse Calliope. Le jour de ses noces avec la sublime Eurydice, celle-ci est mordue par un serpent et décède des suites du venin. Fou de chagrin, Orphée attire la pitié de ses mécènes divins qui lui accordent l’exceptionnel droit de descendre aux enfers afin de ramener son aimée parmi les vivants. Face à Cerbère, il joue de sa harpe et parvient à endormir l’animal. Parvenu dans le palais éclatant d’Hadès et de sa femme Perséphone, situé au cœur des paradisiaques Champs-Élysées, Orphée convainc le roi de l’Au-Delà de lui rendre son épouse, charmé par le chant mélodieux du prince. Cependant, le frère de Zeus lui impose pour conditionner de ne jamais se retourner au cours de son trajet retour vers la surface. A quelques pas de la sortie, inquiet du silence environnant, il succombe à la tentation et aperçoit l’ombre de sa bien-aimée disparaître à jamais dans les limbes. De ce mythe naquit l’orphisme, un courant de pensée philosophique grec fondé sur la catabase. Mais à travers ce récit transparaît deux notions morales fondamentales : l’Amour et la Mort, destin commun à tous les hommes, opposés en perpétuelle confrontation. De plus, la désobéissance du héro est ici aussi un achèvement, sorte d’apogée si grande que seule la mort peut lui succéder.
Mort et résurrection de Jésus Christ
La catabase n’est pas un élément narratif propre aux Grecs anciens. Le récit d’Énée – ancêtre des fondateurs de Rome – par Virgile en est la preuve. Mais au-delà des mythes gréco-latins, le christianisme va reprendre la notion de catabase et l’appliquer à son propre fondateur : Jésus de Nazareth.
Jésus de Nazareth est un juif originaire de Galilée ayant vécu sous l’Empire romain quelques décennies après sa fondation par Auguste César. Condamné à mort pour troubles à l’ordre public, les rumeurs de sa résurrection – son retour de l’Au-Delà – a pour but de confirmer son statut divin. Ici, les enfers sont encore proches de la définition polythéiste et désigne plus simplement la terre dans laquelle son corps fut enterré, plus que le domaine soufré du Diable. Cette image s’inscrit dans la lignée des récits héroïques antiques qui permettent de révéler le Christ dans toute sa nature surhumaine.
Le voyage infernal de Dante
Une des dernières catabases classiques est le récit médiéval du poète florentin Dante Alighieri. Écrite au début du XIVème siècle, son œuvre deviendra mondialement connue sous le titre de Divine Comédie. Représentation chrétienne mêlant diverses inspirations païennes, ce texte fonde la représentation « moderne » de l’Enfer chrétien. Guidé par le poète romain Virgile, auteur de la catabase d’Énée, Dante traverse les neuf différents cercles de l’Enfer jusqu’à rencontrer le seigneur des lieux, l’archange déchu Lucifer. Point de départ de l’aventure dantesque, la descente aux enfers joue un rôle de définition par opposition de telle sorte qu’après avoir vu et définit le Mal, il peut voir et définir le Bien.
La catabase moderne
Après Dante, l’idée de descente aux enfers n’a pas disparu, elle s’est transformée. Point d’orgue habituel d’une narration, elle clôture et parachève la transformation du protagoniste. Dans les différentes adaptations de Don Juan, le personnage principal finit emporté par les abysses infernaux pour ses crimes moraux. Plus récemment, dans le roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, les morts de Quasimodo et Esmeralda ne sont pas sans rappeler le mythe d’Orphée, le premier privé de la seconde choisissant alors de mourir pour rejoindre son aimée. Toujours en France, Germinal d’Émile Zola n’est pas sans rappeler la dimension identitaire de la catabase, définissant celui qui s’engouffre dans la terre à l’image des mineurs travaillant le charbon enfoui profondément. Plus tard encore, le cinéma et la littérature contemporaine vont reprendre de nombreux éléments catabatiques pour renforcer le parcours initiatique de leurs héros. Dans Le Hobbit de J.R.R. Tolkien, Bilbon s’enfonce profondément dans la Montagne solitaire afin d’y récupérer son trésor. Sa suite, Le Seigneur des anneaux, voit Frodon s’engouffrer dans les terres infernales et monstrueuses du Mordor afin d’accomplir sa destinée. Dans ces œuvres, l’idée de descente aux enfers tient une place primordiale et cruciale pour appréhender la psyché des personnages mis à l’épreuve.
Conclusion
La catabase est l’élément crucial de nombreux récits narratifs, qu’ils soient antiques ou contemporains. Entrer dans les enfers froids (ou brûlants), y surmonter les obstacles et pièges, est un marqueur constitutif permettant de comprendre un personnage et d’approfondir son identité ainsi que son état d’esprit. Si pour certains, le voyage est définitif, l’aventure est pour d’autres l’occasion de se révéler et de se découvrir sous un nouveau jour. En cela, la catabase met en avant une réalité de la vie plus que la fatalité de la mort : pour se connaître et se définir, il faut souffrir et surmonter les épreuves. Ce n’est alors qu’au plus près du destin macabre que l’homme se révèle dans toute sa vitalité…