Le président de la République : une exception culturelle française ?

 
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Avec la Cinquième République française, le rôle du chef de l’État s’est grandement renforcé jusqu’à devenir central dans la vie politique nationale. Chef du pouvoir exécutif, élu et premier représentant de la Nation ; le Président est pourtant une exception dans le paysage politique international. Face à la suprématie des régimes parlementaires (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, Japon…), la France a fait le choix du compromis – conséquence de deux siècles de troubles et de tensions institutionnels. Plus qu’ailleurs, la relation qui unit le peuple à l’État et son chef apparaît unique et spéciale. En temps de crise, il est la « clef de voûte » : celui vers qui les Français se tournent. Comment expliquer l’importance du président de la République aux yeux des citoyens ? Et plus important encore, pourquoi une telle particularité française ?

« La France s’est construite autour de l’État »
— Éric Zemmour

La France est un pays d’Europe occidentale, de tradition chrétienne, de culture gréco-latine et de droit romain. A contrario des autres pays d’Europe, elle a très tôt profité d’une certaine unité culturelle et administrative. Mise à part la scission linguistique entre langue d’oïl (Nord) et langue d’oc (Sud), le Royaume des Francs de Clovis est un territoire bien plus homogène et centralisé que ses voisins continentaux. La population est issue d’une longue influence romaine tant dans les us et coutumes que dans les langues. L’aristocratie au pouvoir – les Francs – fait reposer sa légitimité et son autorité sur la religion chrétienne, actant de facto une union entre bellatores (ceux qui guerroient) et oratores (ceux qui prient). Malgré les crises et déchirures dynastiques de l’ère mérovingienne, toute la France contemporaine se trouve unifiée à partir de Charlemagne (768-814). Sacré empereur romain, héritier des Césars antiques, son pouvoir est désormais légitimé par la divine Grâce.

« L’aristocratie au pouvoir […] fait reposer sa légitimité et son autorité sur la religion chrétienne »

C’est tout logiquement qu’en 843, la partition de l’Empire accouchera d’un royaume cohérent et structuré à l’Ouest, ce malgré la féodalité croissante. Malgré la perte du titre impérial, les rois francs conserveront un double héritage prestigieux : celui de la culture franque et du droit divin. L’accession des Capétiens au trône de France marque un bouleversement majeur. Choisi pour sa faiblesse seigneuriale, Hugues Capet va initier une politique millénaire de centralisation étatique couplée à l’imposition de la figure messianique du monarque – envoyé de Dieu sur Terre. À Bouvines (1214), les grands seigneurs français vont reconnaître l’État royal à travers la figure protectrice du roi Philippe II Auguste. Au cours de la guerre de Cent-Ans, et ce malgré les velléités seigneuriales, la nation française va se construire et s’affirmer. C’est après ce conflit destructeur et fratricide que va se nouer une alliance tacite entre le Roi et ceux qui deviendront bientôt ses « sujets ». De Charles VII à Louis XIV, les différents monarques vont régulièrement s’opposer aux autorités seigneuriales locales tout en instrumentalisant les populations. Se posant en protecteurs et bienfaiteurs du peuple, les rois vont bientôt gagner sa faveur, au grand dam des ordres cléricaux et nobiliaires. Le point d’orgue de cette mutation du pouvoir intervient le 12 juin 1709, en pleine guerre de Succession d’Espagne. Louis le Grand, acculé par une vaste coalition européenne, en appelle au soutien et à la résilience de ses peuples pour vaincre, ce qui sera fait avec succès dans les mois suivants.

« Hugues Capet va initier une politique millénaire de centralisation étatique couplée à l’imposition de la figure messianique du monarque »

Un nouveau bouleversement institutionnel intervient lors de la Révolution française. Alors que Louis XVI tente de faire pression sur les nobles pour le remboursement de la dette nationale, une partie des États-Généraux fait sécession et proclame l’Assemblée nationale constituante. Inspirés par la démocratie britannique, les réformateurs français prennent leur revanche sur une dynastie royale centralisatrice sans savoir qu’ils provoqueraient un résultat bien contraire à leurs aspirations. Les maladresses à répétition du roi provoquent sa chute et la constitution d’un régime républicain dominé par la petite bourgeoisie parisienne. Un régicide plus tard, la France sombre dans le chaos révolutionnaire. Il faudra attendre Napoléon Bonaparte pour renouer avec la superbe habituelle d’un chef d’État français. La suite du XIXème siècle n’est qu’une longue succession d’affrontements entre partisans d’un régime présidentiel fort (légitimistes, bonapartistes…) et ceux d’un parlementarisme anglo-saxon (républicains, orléanistes). L’élection du chef de l’État au suffrage universel en 1848 constitue dès lors un traumatisme institutionnel d’autant plus fort que la prise de pouvoir napoléonienne mettra fin à la Deuxième République.

« Plus que jamais, le XXIème siècle sera celui du retour des grands féodaux en France »

Le triomphe des républicains à partir de la fin des années 1870 marque également le triomphe de la démocratie anglo-saxonne en France. Le parlementarisme, longtemps combattu à Droite, ne prendra fin qu’à la force d’événements graves : Seconde Guerre mondiale, Indochine, Algérie. Sous l’impulsion du général De Gaulle, un régime semi-parlementaire d’inspiration française est instauré : la Cinquième République. Reprenant le couple roi-ministre principal parfaitement illustré par Louis XIII et Richelieu, le héros de 1940 restaure un lien populaire brisé cristallisé par le référendum. Mais depuis les années 1970, la classe politique soumise à l’Amérique suzeraine multiplie les réformes destinées à former, en France, un régime oligarchique non sans rappeler la prédominance des Grands féodaux avant l’avènement de Hugues Capet. Des féodaux parisiens, membres de groupes de pressions et d’intérêt qui aspirent au népotisme, à la cooptation et au totalitarisme institutionnel contre le peuple – de l’Union européenne au quinquennat en passant par la désacralisant de la figure présidentielle. Plus que jamais, le XXIème siècle sera celui du retour des grands féodaux en France.