Les changements de géopolitiques de l’espace

 
La mission Apollo 11 a mis fin à la course à l’espace des USA contre l’URSS en 1969 alors que ces derniers avaient envoyé le premier être vivant et le premier homme dans l’espace.

La mission Apollo 11 a mis fin à la course à l’espace des USA contre l’URSS en 1969 alors que ces derniers avaient envoyé le premier être vivant et le premier homme dans l’espace.

 

L’année 2019 a marqué le 50e anniversaire des premiers pas de l'Homme sur la lune, la plus grande prouesse du programme spatial américain Apollo. Cet événement historique, qui a réussi à démontrer la supériorité technologique américaine pendant la Guerre froide, marqua néanmoins le début d'une période de relatif désintérêt pour la Lune, jusqu’à assez récemment. En effet, même si le programme Apollo s'est poursuivi pendant quelques années après le premier alunissage, la fin du programme en 1972 et son coût total exorbitant (même pour les américains), a signifié la fin de l'époque de la conquête spatiale habitée. La chute de l'URSS en 1990 a également participé à réduire les ambitions américaines dans le domaine. Les États-Unis s'étant surtout reconcentrés vers des missions d'exploration non habitées, la Station Spatiale Internationale, et le développement de satellites de télécommunication et de reconnaissance autant dans leur version civile que militaire. Cette période d'accalmie des ambitions semble néanmoins arriver à son terme. En particulier avec la montée des ambitions chinoises dans le domaine, les ambitions spatiales américaines semblent bien se raviver. Sommes-nous à l'aube d'une nouvelle course à l'espace ?

A cette question nous pouvons répondre oui tout en précisant que les conditions actuelles de cette course à l'espace diffèrent grandement des conditions observées pendant la Guerre froide.

D'abord nous constatons que la réémergence des ambitions étatiques vers l'espace est principalement la conséquence d'une inquiétude américaine sur les progrès de la Chine dans le domaine. Particulièrement concernant ses capacités à réaliser un vol habité vers la Lune en écho à l'exploit américain. En effet, depuis les années 2010, la Chine a fait monter en puissance ses activités spatiales même si elles sont encore loin de rivaliser avec celles des États-Unis. Si son budget annuel consacré au spatial est en croissance régulière, les estimations les plus hautes ne le situent qu’a environ 1/5 du budget spatial américain. Il faut néanmoins remarquer que la Chine a rattrapé son retard technologique très rapidement, le nombre de tirs de fusées chinoises rivalisant depuis 2010 avec le nombre de tirs américains. En janvier 2019, le premier Rover chinois s'est posé sur la face cachée de la lune, preuve des capacités de projection robotisé de la Chine. L'agence spatiale chinoise prévoit aussi un vol habité vers la Lune pour 2025-2026 ainsi qu'une station spatiale chinoise en orbite terrestre avec laquelle elle souhaite pouvoir organiser des coopérations internationales.

C'est ce rattrapage et cette ambition assumée dans le domaine spatial chinois qui a relancé la dynamique américaine et particulièrement depuis l'élection de Donald Trump. Ainsi en 2017, la NASA a annoncé le projet qui succèdera à la Station Spatiale International dont la fin de vie est prévue vers 2030. Ce projet consiste en une station spatiale en orbite lunaire désignée par l'acronyme LOPG et qui assurera notamment une fonction de point relais à 2 types de missions futures : le retour d’humains sur la surface lunaire d'ici à 2024 et la projection vers des trajectoires martienne. Cette station servira en quelque sorte à la fois de station-service et de poste d'expérimentation afin de préparer les futures astronautes au milieu spatial. Si les dates annoncées vont certainement glisser de quelques années (comme la plupart des missions spatiales), un retour sur la lune avant 2030 devient maintenant très probable.

Cette station spatiale donnera lieu, comme pour la station spatiale internationale, à un certain nombre de collaborations avec des agences spatiales étrangères. L'Agence Spatiale Européenne jouera notamment un rôle essentiel puisqu’elle sera chargée de fabriquer le module de la LOPG, un module d'habitation et un module de stockage de RGO et de télécommunications. L’ESA est également en lien avec ses partenaires japonais et canadiens pour fournir un Rover lourd associé à la LOPG visant à récupérer et ramener sur terre des échantillons de sol lunaire. L'agence spatiale russe a également signé un accord de collaboration avec la NASA concernant l'évolution récente du domaine spatial et le développement d'infrastructures majeurs militaires et civiles. Depuis les années quatre-vingt, ce développement des satellites fait qu’une proportion de plus en plus grande des infrastructures critiques d'un pays ne sont plus seulement au sol, mais également en orbite. Comme toutes les infrastructures critiques, ces satellites deviennent une part intégrante des réflexions stratégiques nationales. Plusieurs services occidentaux ont d'ailleurs déjà remarqué des activités suspectes de satellites chinois ou russes dans l'espace orbital de plusieurs de leurs propres satellites. En effet, en matière de sécurité stratégique, bien plus que la seule observation, le développement récent d'actions hostiles inter-satellite devient de plus en plus préoccupant. Les attitudes entre grandes puissances spatiales changent également avec le développement de technologies et de guerre électronique qui sont parfaitement capables de s'appliquer au milieu spatial. Plusieurs pays comme les États-Unis ou la France ont ainsi confirmé en 2018 et 2019 une nouvelle orientation stratégique dite « contre spatial » notamment par l'installation de dispositifs de défense active visant les activités suspectes pouvant se produire autour de leurs satellites. L'Inde, la Chine et les États-Unis ont également déjà effectué (depuis une dizaine d'années) des démonstrations de destruction satellitaire à partir de missiles depuis le sol. Des armes de type laser ou électromagnétique embarquées directement sur les satellites sont déjà envisagés par la plupart des puissances spatiales comme étant la prochaine étape du développement des systèmes d'armement défensif, voire offensif. Les systèmes d'armes spatiaux sont destinés à la protection des satellites, donc certainement amenés à se développer dans les prochaines années.

La grande nouveauté dans cette nouvelle vague des ambitions spatiales est également l'implication de plus en plus forte des sociétés privées satisfaisant des besoins spatiaux de plus en plus nombreux. C'est ce que l’on appelle le New Space. Le début de cette période fut d'abord caractérisé par de gros contrats publics américains accordés à des sociétés telles que Space X, qui ont permis de réduire drastiquement les coûts de l'accès à l'espace ? Nous avons également observé le développement d'une myriade de sociétés spécialisées dans la production de satellites à destination civil. Tout dernièrement, on observe une forte croissance de la demande privée pour les Cube SAT : ces petits satellites de la taille d'une boîte à chaussures. Ceux-ci peuvent être produits autant par les professionnels que par des étudiants et surtout, ils peuvent être envoyés en orbite avec des lanceurs beaucoup plus légers que le lanceur lourd traditionnel, ce qui a permis l'entrée de nouvelles sociétés de lanceurs légers sur ce créneau.

Mais l'innovation la plus radicale d'infrastructure en lien avec le New Space est la possibilité d'établir de gigantesque constellation de Cube SAT autour de la planète, autorisant l'accès à internet à des zones qui en sont aujourd'hui dépourvu. Tous les projets en rapport aux Cube Sat vont ainsi peupler l'orbite terrestre de plusieurs milliers de satellites supplémentaires, ce qui est un réel changement d'échelle puisqu'il existe seulement 2000 satellites en activité autour du globe aujourd'hui. Toutes ces évolutions vont faire que le lien entre espace et enjeux de souveraineté étatique traditionnelle va continuer de se renforcer. De plus, les règles liées aux activités spatiales sont aujourd'hui surtout encadrées par le traité sur l'espace de 1967. Ce traité datant de la Guerre froide interdit la mise en orbite d'armes de destruction massives et place l'espace extra-atmosphérique dans une catégorie de neutralité international. L'espace ne peut être approprié qu’au nom de l'humanité tout entière. Certains pays ont néanmoins déjà effectué de clairs revirements vis-à-vis de la lettre de ce texte. Heureusement, pas concernant les armes de destruction massive, mais les États-Unis et Luxembourg ont respectivement émis en 2015 et 2017 des législations autorisant clairement l'exploitation des ressources extra-atmosphérique par des sociétés privées, ce qui laisse déjà présager d'un certain pragmatisme spatial qui pourrait se concrétiser dans le futur. Nous ne sommes néanmoins pas encore au niveau de l’exploitation de ressources à des fins purement commerciales, mais les technologies scientifiques font déjà leurs premiers pas en la matière comme avec des opérations d'approche d'astéroïdes.

Finalement, avec la multiplication des ambitions militaires et civils dans l'espace, le monde ne pourra bientôt plus le considérer comme un simple espace de découverte scientifique ou de prouesses technologiques. L'accès à l'espace est devenu un facteur essentiel de l’indépendance stratégique pour les grandes puissances et l’infrastructure qui se développera continuera certainement de déterminer une partie significative des rapports de force internationaux dans les années à venir.

 

Sources :

Cairn.info : https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2010-2-page-10.htm

Grenoble école de management : https://notes-geopolitiques.com/geopolitique-du-spatial/

Major Prepa : https://major-prepa.com/geopolitique/conquete-espace-enjeux/

Diploweb : https://www.diploweb.com/L-espace-est-strategique.html

CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-puissances-de-lespace

Fondation Jean Jores : https://jean-jaures.org/nos-productions/l-espace-un-enjeu-geopolitique-et-militaire