Seconde Guerre mondiale, à qui devons-nous notre liberté ?

 
Infanterie sovietique avançant dans les ruines de Stalingrad, 1942

Infanterie sovietique avançant dans les ruines de Stalingrad, 1942

 

« Si les Ricains n’étaient pas là, Nous serions tous en Germanie ». Ces quelques vers du chansonnier Michel Sardou dans Les Ricains témoignent d’un sentiment français et, a fortiori occidental, selon lequel les Américains sont le peuple qui a le plus contribué à anéantir le Reich allemand mené par Adolf Hitler. Pour autant, l’étude approfondie des dernières années du conflit contredit fortement ce qui reste un point de vue subjectif commun. Pour preuve, le 1er juillet 1944, alors que les Anglo-Saxons sont débarqués en Normandie depuis quelques semaines, ceux-ci alignent 26 divisions soit un total de 850 000 hommes et presque 150 000 véhicules. Dans le même temps, sur le front de l’Est, l’Union soviétique seule engage 160 divisions (plus 2,5 millions d’hommes) dans l’opération Bagration pour déloger l’Allemagne des plaines biélorusses. Premier contributeur humain du conflit en termes de pertes, Moscou aura concentré l’effort de guerre principal de l’Empire hitlérien jusqu’à la conquête même de la capitale allemande. Retour sur un mythe tenace de la Seconde Guerre mondiale.

Le plus grand théâtre d’opérations de l’histoire humaine

Ouvert le 22 juin 1941, le « front de l’Est » sera le principal théâtre de la Seconde Guerre mondiale. Pendant presque quatre années, l’Allemagne et l’Union soviétique y déploieront des centaines de divisions tout en y enterrant 35 millions d’êtres humains (aux deux tiers de civils). Véritable guerre d’extermination ethnique et idéologique, cet affrontement dantesque s’acheva par la conquête de Berlin et la reddition sans conditions du Reich.

Tout commence avec la montée en puissance de l’Allemagne hitlérienne au cours des années 1930. La chute rapide de la France, considérée comme la première armée du monde, précipite l’hégémonie germanique sur le continent européen. Désireux de s’étendre vers les fertiles et riches terres soviétiques, le chancelier allemand prépare l’invasion de l’URSS alors que l’adversaire britannique n’a toujours pas été vaincu.

Au printemps 1941, ce sont plus de trois millions et demi d’Allemands, Roumains, et autres Finlandais qui se massent aux frontières du berceau de la Révolution communiste. Surpris par une offensive qu’il n’envisageait que lointaine, Staline demeure stupéfait pendant de longues journées. Mais les erreurs et ingérences stratégiques d’Hitler, la faiblesse infrastructurelle soviétique, l’automne boueux (raspoutitsa) et la profondeur du territoire russe vont permettre à l’Armée Rouge de stopper son homologue allemand aux portes de Moscou. Déjà, presque cinq millions de soldats soviétiques sont morts dans cette opération Barbarossa.

L’année 1942, pourtant marquée par l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique et de leur puissante industrie, s’ouvre sur une nouvelle offensive allemande vers le Caucase pétrolier. Cette opération de grande ampleur (Fall Blau) s’achèvera, là aussi, sur une incroyable résistance russe dans la ville industrielle de Stalingrad. En fin d’année, ce sont encore plus d’un million de Soviétiques qui ont été balayés par la « guerre-éclair » germanique.

L’année qui succède marque le tournant crucial d’une guerre totale entre Moscou et Berlin incarné par l’incroyable bataille de Koursk, plus grand affrontement de chars d’assaut de l’histoire humaine. L’Union soviétique accapare l’initiative et lance ses premières contre-offensives non sans difficultés. Chaque affrontement sur ce front long de plusieurs milliers de kilomètres, débouche sur des tueries de masse. Le choc de Koursk fauche plus de 250 000 hommes. Mais les pertes allemandes s’inversent progressivement et atteignent des sommets devant la rigidité militaire d’un Hitler omniprésent au sein de son propre état-major.

Alors que les Alliés prennent enfin pied en France dans le but d’ouvrir un second front tant demandé par Staline, les Soviétiques lancent l’opération Bagration qui anéanti des divisions ennemies entières. 160 divisions commandées par Moscou se heurtent à « seulement » 47 divisions germaniques très mal équipées qui seront balayées. La dernière année du conflit marque l’effondrement final de l’Allemagne qui assiste impuissante à l’avancée du « rouleau-compresseur » de l’Armée Rouge en Pologne puis en Prusse et enfin dans le Brandebourg historique. Témoin de la disproportion militaire entre l’URSS et le Reich, la bataille de Berlin où ce dernier est complètement dépassé, humainement comme matériellement (tableau ci-dessous).

 
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Un engagement anglo-saxon en demi-teinte

Côté anglo-saxon, le Royaume-Uni combat depuis le 3 septembre 1939. Isolé après la chute fulgurante et inattendue de la France, le pays résiste héroïquement aux bombardements allemands connus sous le nom de Blitz. Là encore, une erreur stratégique d’Hitler sauve Londres de l’invasion : en choisissant de bombarder les villes plutôt que les infrastructures militaires, le Chancelier permet à son adversaire de respirer et de se concentrer sur le front africain.

Attaquée par l’Italie et l’Allemagne en Afrique du nord, la nation britannique recule inexorablement vers l’Égypte et le canal de Suez qu’elle protège coûte que coûte. Mais menée par le maréchal Montgomery, elle parvient à renverser la vapeur lors de la bataille d’El-Alamein. L’arrivée d’un corps expéditionnaire américain en Algérie et au Maroc piège les troupes coalisées qui n’auront d’autre choix que d’évacuer par la Tunisie au printemps 1943.

Les affrontements nord-africains, bien que terribles et très éprouvants aux vues des conditions climatiques extrêmes, sont loin d’atteindre les pertes soviétiques sur le front de l’Est : l’Empire britannique dénombre 220 000 pertes dont 35 478 morts tandis que les États-Unis comptent un peu plus de 18 000 pertes dont 2 715 morts.

La conquête de l’Italie, lente et difficile, augmente encore un peu plus le bilan des Alliés sans toutefois le rapprocher des pertes russes. Ainsi, ce sont 119 200 Américains, 89 440 Britanniques et 30 000 Français et Italiens qui seront perdus (nombre de morts inconnu avec précision) durant les presque deux années de conflit.

Lorsque s’ouvre à nouveau le front occidental, en juin 1944, les Alliés se heurtent à des divisions allemandes aguerries et pleinement reposées. Malgré cela, les pertes totales atteignent environ 800 000 hommes dont 175 000 morts. Ce bilan, très semblable à celui effectué en 1940, témoigne de la violence des affrontements. Pour autant, l’effondrement final de l’été conduit les coalisés franco-anglo-saxons vers le Rhin et enfin le cœur industriel de l’Allemagne : la Ruhr.

Ainsi, lorsque s’achève la guerre en Europe, l’engagement anglo-saxon s’avère à relativiser en comparaison du sacrifice soviétique consenti pendant quatre ans. Les Américains, aujourd’hui considérés comme les libérateurs du Vieux-Continent en Occident, voient leur engagement minimisé malgré une importance logistique cruciale.

Conclusion

L’Europe a été libérée par l’effort conjoint des nations alliées contre l’Allemagne, c’est une évidence. En revanche, il est à noter l’extraordinaire sacrifice humain et matériel de l’Union soviétique qui, engagée dans une lutte à mort tant idéologique que raciale, a surmonté l’impossible pour arracher une victoire improbable. Le camp anglo-saxon, sans minimiser son importance cruciale (via la division des forces allemandes en Afrique et en Europe), voit son rôle relativisé. Aux vues des chiffres énoncés, il apparaît de plus en plus insupportable pour des dirigeants occidentaux de ne pas considérer avec plus d’égards la nation russe qui, avec plus de 30 millions de morts civiles et militaires et bien plus de blessés, a été bien plus décisive que l’intervention fantasmée des États-Unis d’Amérique…

Sources :

Les mythes de la Seconde Guerre mondiale, Jean Lopez & Olivier Wieviorka (2016)