Les impacts de la réforme fiscale de Donald Trump
Faire revenir les entreprises et les emplois sur le sol national, telle était la promesse phare du candidat Donald Trump en 2016 quand il promettait de rendre à l’Amérique sa puissance. Une fois au pouvoir, le 45e président des États-Unis s’est attelé à la tâche en misant sur une botte secrète : un big-bang fiscal à 1 500 milliards que bien peu de pays dans le monde pourraient s’offrir.
En décembre 2017, son secrétaire d’État au Trésor Steven Mnuchin met un point final à ce qui sera connu comme le « Tax Cut and Jobs Act ». Le point de départ de ce coup de tonnerre sera une remise en cause complète de la philosophie américaine en matière d’impôt.
En effet, dans l’ancien système, les profits des multinationales américaines étaient taxés au niveau mondial : l’intégralité des bénéfices faisait l’objet d’une déclaration et d’une imposition au taux américain, quel que soit leur pays de provenance, du temps que la société mère était immatriculée aux États-Unis. Dans le nouveau système promu par l’équipe Trump, ces profits seraient taxés au niveau territorial, c’est-à-dire que seuls ceux réalisés sur le territoire américain seraient déclarés. Ce dispositif s’accompagne de mesures fiscales agressives visant à rapatrier ces capitaux américains, qui pourraient nuire aux intérêts européens (et français).
Les mesures phares
Tout d’abord, il est prévu de ramener le taux marginal de l’impôt fédéral sur les sociétés à un taux de 21%, contre 35% précédemment. Cette réduction drastique s’accompagne toutefois d’un toilettage sérieux des niches fiscales et autres dispositifs de réduction du montant de l’impôt (notamment sur les charges d’intérêts financiers, qui ne seront déductibles qu’à hauteur de 30% du résultat d’exploitation). Ce qui fait dire aux mauvaises langues que Donald Trump ne fait qu’aligner le taux d’impôt légal sur le taux réel qui était constaté auparavant grâce à l’ensemble des ces astuces.
Ensuite, un dispositif de « Transition tax » vise à permettre aux entreprises de rapatrier sur le sol des US les profits stockés en réserve et les actifs domiciliés à l’étranger dans des pays à fiscalité privilégiée (on pense aux milliards de dollars conservés par les géants du numérique dans les territoires accommodants mais aussi aux juteux brevets de l’industrie pharmaceutique), sous peine d’un impôt supplémentaire de 15,5 % sur les actifs en trésorerie et de 8 % sur les autres. Ce sont donc autant de capitaux américains non encore distribués qui risquent de quitter le territoire européen, réduisant ainsi les capacités d’investissement de ces groupes sur notre sol.
Mais le gros des mesures provient de deux autres dispositifs mis en place par la réforme.
La carotte et le bâton
Le premier d’entre eux est le Global Intangible Low Tax Income (GILTI). Il s’agit d’un article fiscal qui édicte que les revenus tirés d’actifs incorporels (c'est-à-dire sans substance physique, comme les brevets ou les marques) localisés à l’étranger seront taxés aux USA à un taux plancher si l’imposition étrangère est considérée comme trop faible (le seuil pour estimer cette taxation étant fixée à 13,25%), et ce même en l’absence de distributions desdits bénéfices à une entité américaine. Cela signifie donc que les entreprises américaines qui exploitent ces brevets dans un pays étranger seront doublement taxées dans ce pays et aux États-Unis en vertu de cette mesure.
Le deuxième dispositif se nomme le Foreign Derived Intangible Income (FDII) : il consiste en une imposition à un taux faible des produits tirés des actifs incorporels localisés aux USA, grâce à un abattement de 37,5% sur l’assiette considérée et un taux de 13,75%. La combinaison de ces deux taxes (surnommé « carotte et bâton » par les commentateurs) doit constituer une incitation pour les entreprises américaines à faire revenir sur le sol national les brevets enregistrés dans le monde entier pour des raisons fiscales ou tout simplement pour être proche de leur marché. À titre d’exemple, le groupe Procter & Gamble a annoncé faire rapatrier 7 milliards de dollars en 2018 suite à cette mesure pour éviter de payer ces taxes sur un magot placé à l’étranger qui n’était en réalité pas investi. Le Trésor américain se rappelle aussi à ses mauvais souvenirs quand il avait vu partir son fleuron pharmaceutique Pfizer en 2016, fusionné avec l’irlandais Allergan, opération sur laquelle pesaient alors des soupçons d’optimisation fiscale. C’est bien pour faire revenir cet argent à la maison que Donald Trump joue les Père Noël fiscaux.
Alors quel impact pour l’Europe et la France ?
Encore une fois, l’idée est bien de chasser les profits et les actifs des pays européens pour les faire revenir au pays de l’Oncle Sam. Il n’est donc pas étonnant de constater que les dividendes versés par les groupes français en 2018 ont été les plus importants depuis 10 ans (47 milliards d’euros, en augmentation de 12,8% par rapport à 2017) au vu de ce qu’on connaît de l’actionnariat du CAC 40, majoritairement trusté par les fonds de gestion, dont les majors sont américains (Blackrock, Vanguard, The Capital Group…).
Pourtant, l’effet n’est pas forcément acquis. Comme le précisait le « Congressional Research Service » en mai 2018, la baisse du taux d’impôts fédéral à 21% n’entraînera pas mécaniquement le retour d’investissements massifs sur le sol américain sur le long terme, car il faut aussi tenir compte du fait que cela entraîne la baisse de l’attractivité d’un investissement financé par la dette (car les intérêts financiers sont déductibles du résultat et contribuent à réduire la charge d’impôts proportionnellement au taux de celui-ci). Et sur ce terrain- là, la France peut encore se maintenir dans la compétition du crédit, vu que le taux de l’impôt sur les sociétés français va lui aussi passer de 33,33% actuellement à un objectif de 25% en 2022. Les deux pays ayant des dispositifs de neutralisation des intérêts financiers relativement similaires (la loi de finances de 2019 prévoyant elle aussi d’inclure dans la déduction fiscale des intérêts un plafond à 30% du résultat d’exploitation), la France ne devrait à priori pas trop souffrir en termes de retraits d’investissements financés par la dette.
Pour ce qui est de la taxation des brevets, le régime français se retrouve avec une fiscalité plus forte que son homologue américain (15% contre 13,25%). Mais l’administration française peut se targuer de proposer le crédit d’impôts recherche (30% des dépenses de recherche déductibles du résultat fiscal) pour doper sa compétitivité et inciter les grands groupes à conserver leur centres de recherche en France. Et pour ceux qui voudraient jouer au petit malin en profitant de l’avantage fiscal des dépenses de recherche en France pour ensuite enregistrer le brevet en Amérique pour bénéficier du FDII, un article de la loi de Finances de 2019 prévoie aussi de refuser la déductibilité fiscale pour les redevances versées à des entreprises hors UE qui ne paieraient pas au moins un taux d’impôts minimum de 25%. La menace envers les groupes américains est ici à peine voilée.
En revanche, les entreprises française peuvent avoir à souffrir d’un dernier dispositif du TCJA : le BEAT (Base-Erosion and Anti-Abuse Tax). Ce dernier consiste pour le fisc américain à refuser la déductibilité fiscale d’une fraction de l’ensemble des revenus versés par les entreprises américaines à leur maison-mères étrangères. Elles devront donc s’acquitter d’une surtaxe supplémentaire en cas de versement de redevances ou d’intérêts.
Lors de son audition par la commission des finances de l’Assemblée Nationale le 5 juillet 2018, le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire a précisé que le BEAT pourrait se révéler « extrêmement pénalisant pour le secteur bancaire et assurantiel français », en obligeant les filiales américaines des champions nationaux à s’acquitter d’une surtaxe sur les redevances de 10%. En effet, les grands groupes français de ce secteur sont engagés sur le marché américain (BNP Paribas possède la banque californienne Bank of the West et gère le portage des titres de Blackrock au Brésil), notamment dans la mise en valeur des données individuelles (AXA a racheté en 2018 Maestro Healthcare, société spécialisée dans la gestion individuelle des couvertures santé et services afférents), dont la législation est plus souple sur ce marché que sur le continent Européen.
Au final, le risque majeur que fait courir la réforme pour l’économie française est celui de voir des actifs tangibles (réserves d’argents, de profits) ou intangibles (brevets, marques) être rapatriés aux Etats-Unis pour éviter le coup de bâton du GILTI ou pour financer le décaissement de la Transition Tax. Ce sont aussi les groupes mondiaux fortement implantés aux Etats-Unis qui auront à en souffrir, à travers leurs filiales. En parallèle de sa guerre commerciale à coup de tarifs douaniers envers la Chine, le président américain lance donc une guerre fiscale contre ses partenaires, au service de la puissance économique américaine qu’il faut nourrir en investissements (le pays a connu une croissance de 3,2% en 2018). On l’a vu, la France et l’Europe ont des arguments pour contrer cette opération de Washington (et encore faut-il pouvoir tenir ses engagements dans la durée), mais force est de constater que cette fois-ci, ces messieurs les américains ont tiré les premiers.
Sources :
Articles
IRS : https://www.irs.gov/newsroom/international-taxpayers-and-businesses
France Inter : https://www.franceinter.fr/monde/des-entreprises-americaines-dans-la-tourmente-apres-les-decisions-de-trump
Le Comparateur d’Assurance : https://www.lecomparateurassurance.com/6-actualites-assurance/110964-loi-americaine-tax-cuts-and-jobs-act-profitera-aux-expatries-francais
WCPO : https://www.wcpo.com/news/insider/procter-gamble-co-returned-7b-to-us-after-tax-reformvv
Rapport du Congressionnal Research Service
https://fas.org/sgp/crs/misc/R45186.pdf
DDR du groupe BNP Paribas 2018
https://invest.bnpparibas.com/sites/default/files/documents/ddr2018-bnp_paribas-fr.pdf