L'Histoire politique de la gauche en France (2/4)

 
Le Siège de Paris en 1870 - Jean-Louis-Ernest Meissonier (1884)

Le Siège de Paris en 1870 - Jean-Louis-Ernest Meissonier (1884)

 

Un impossible retour au pouvoir (1848-1851)

France, 1848. Depuis quelques mois, la France subit de plein fouet ce qui sera sa dernière grande famine nationale. Face à l’envolée des prix du blé et de l’alimentation, les populations urbaines, durement touchées car extrêmement dépendantes des campagnes, exigent une aide du gouvernement Guizot. Adepte du libéralisme économique et du capitalisme, Guizot s’enferme dans un dogmatisme intransigeant, croyant fermement en la « main invisible du marché » pour améliorer la situation ; en somme, en l’inaction. Celle-ci entraîne des troubles populaires et des manifestations violentes à Paris, principale ville du pays. Sûr de sa nécessité, le roi Louis-Philippe est pourtant contraint d’abdiquer. Au même moment, Alphonse de Lamartine et plusieurs républicains proclament la République. La monarchie capétienne vient de mourir.

Des élections sont tenues afin de rédiger la nouvelle Constitution. Mais les républicains ont peur : ils craignent que les paysans, encore largement majoritaires en France, ne rejettent la Révolution et la République par association avec la Terreur de Robespierre. Défenseurs du suffrage universel en cela qu’il offre aux républicains une plus grande chance d’élection que le suffrage censitaire, ces derniers seront régulièrement pris à leur propre piège. Toutefois, en 1848, à la surprise générale, les républicains représentent les trois quarts de l’hémicycle et peuvent ainsi se mettre à l’œuvre pour donner aux Français une nouvelle Constitution et un nouveau régime.  

Mais un événement capital va faire avorter ce régime : les journées insurrectionnelles de juin 1848. Face aux difficultés ouvrières à Paris, une insurrection éclate avec des manifestants réclamant une République sociale protégeant les plus pauvres. L’Assemblée, républicaine certes mais surtout bourgeoise, refuse une telle concession et réprime violemment les ouvriers : plus de 5 000 morts et 11 000 emprisonnements. La République sera libérale et conservatrice ou ne sera pas. Si cette posture plaît aux monarchistes, aristocrates et bourgeois, elle instaure une fracture.

En 1849, de nouvelles élections sont tenues et, marqués par les événements ouvriers, les campagnes votent massivement pour le « Parti de l’Ordre » ; un rassemblement hétéroclite de royalistes conservateurs. Les républicains, eux, représentent à peine plus de 10% de l’hémicycle tandis que les partisans d’une République sociale se retrouvent politiquement avec un quart des sièges. La première élection présidentielle de l’histoire française, confirme le basculement conservateur du régime avec l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, prince impérial et prétendant au trône de France. Déjà, à cet instant, la République est condamnée. Alors, la Gauche ne peut qu’assister, impuissante, à l’affrontement du parti de l’Ordre et du chef de l’État qui débouchera au coup d’État du 2 décembre 1851.

Le diable impérial (1851-1870)

Le 2 décembre 1851, date anniversaire du sacre de Napoléon Ier en tant qu’empereur des Français, son neveu s’empare du pouvoir en combattant une Assemblée nationale avec laquelle il était en opposition constante. En opposition à l’historiographie actuelle, il ne faut pas y voir une attaque du futur Empereur envers les républicains et les démocrates mais bien envers le parti de l’Ordre, parti qui militait pour le retour d’un Bourbon ou d’un Orléans et non d’un Bonaparte. Pourtant le Mal est fait. Le « Prince-Président » est, de facto, le bourreau de la République. Il instaure un régime personnel dans lequel il est la clé de voûte du pays, préparant la restauration de l’Empire.

Nombreux sont les républicains, Victor Hugo en tête, qui tiendront personnellement Napoléon III comme responsable et le combattront jusqu’au bout, vouant souvent une haine totale. Jamais il ne sera pardonné, même encore aujourd’hui aux vues de la « légende noire » qui frappe le dernier monarque de France, le coup d’État et la mort de la République. Une nouvelle fois, la Gauche retombe dans la « clandestinité ». Même quand ils sont élus, les députés républicains refusent de siéger car pour cela, il faudrait prêter serment à l’Empereur. Face aux candidats officiels, l’Opposition est dispersée et désunie, avec des républicains, des libéraux et des monarchistes incapables de s’accorder.

Conscients que pour agir, il faut avoir le pouvoir, les républicains mettent leur fierté de côté lors des élections de 1863 qui marque une ouverture libérale du régime impérial tendant vers un modèle parlementaire d’inspiration britannique. Pour autant, malgré une popularité croissante au sein des grandes villes, les républicains n’arrivent pas à s’imposer et en viennent même à désespérer de l’attachement des Français à l’Empire. Le plébiscite du 8 mai 1870 qui consacre l’évolution libérale du régime avec 83% de vote positif sidère le camp républicain : « L’Empire est plus fort que jamais » dira Léon Gambetta tandis que Jules Favre affirmera « il n’y a plus rien à faire en politique ».

La reconquête (1870-1893)

Mais alors que plus aucun espoir n’était offert à la Gauche républicaine, un désastre immense va renverser la situation : la guerre franco-prussienne de 1870. Provoquée et humiliée par la Prusse de Bismarck, la France est au cœur d’une querelle diplomatique née en Espagne. En effet, pour succéder au trône d’Espagne laissé vacant depuis 1868, le prince de Prusse est pressenti. Or, une telle accession royale mènerait à l’encerclement stratégique de la France, une situation qui n’avait plus été vécue depuis François Ier et Charles Quint. Bismarck, chancelier de Prusse, trafique des échanges diplomatiques avec Paris car ce dernier désire l’unification de l’Allemagne et sait qu’il ne pourra l’obtenir que par la force armée et la désignation d’un bouc-émissaire.

Si l’Empereur et son chef du gouvernement Emile Ollivier sont opposés à une guerre pour laquelle la France n’est pas prête, l’opinion publique et le Parlement appellent à la vengeance. La Gauche républicaine, consciente qu’une guerre pourrait affaiblir le pouvoir impérial, vote en conséquence tandis que les bonapartistes froissés par l’évolution libérale du régime voient en ce conflit un moyen de renforcer l’autorité de l’Empereur. Les dés sont jetés et la France perd en quelques mois contre une armée allemande coalisée. L’Empereur est même capturé à Sedan, le 2 septembre 1870. Lorsque la nouvelle arrive à Paris, c’est l’émeute et la prise de pouvoir des républicains. La République est proclamée par Léon Gambetta, le 4 septembre, et reprend à son compte la guerre contre les Prussiens, faisant tout leur possible pour contre-attaquer.

Mais rien n’y fait, la Droite demande la paix via l’intermédiaire d’Adolphe Thiers, ancien président du Conseil sous Louis-Philippe et figure majeure de l’Opposition sous l’Empire. La France perd l’Alsace-Moselle pour avoir osé continuer la guerre malgré les engagements de paix de Napoléon III. La Gauche est rejetée en masse par la population qui désire plus que tout la paix : en 1871, les républicains ne représentent qu’un quart des sièges de la nouvelle Assemblée nationale. Une fois encore, le suffrage universel joue contre la Gauche qui l’a pourtant toujours défendu. La République est royaliste, une fois de plus.

Mais la déchéance de la Gauche n’est pas terminée car en 1871, Paris s’insurge à nouveau et proclame son indépendance : c’est la « Commune ». Dominée par les commerçants, artisans et ouvriers, la capitale refuse d’être traitée en vaincue alors qu’elle a courageusement résisté jusqu’à l’armistice au siège des Allemands pendant la guerre. Pour la première fois dans l’Histoire, les idées nouvelles du socialisme sont appliquées avec des mesures avant-gardistes (comme le vote des femmes et la séparation de l’Église et de l’État) qui ne seront appliquées qu’au siècle suivant. Pour la République, c’est un acte impardonnable de sédition. Soutenue par Bismarck qui ne désire dialoguer avec un régime stable et docile, la République va reprendre Paris depuis Versailles en massacrant les « communards ». Au total, entre 6 000 et 30 000 morts, et 43 000 prisonniers sont à dénombrer côté parisien.

La paix revenue et les réparations de guerre payées intégralement (1871-1873), la République se tourne vers son avenir. Thiers est limogé, n’étant plus utile aux royalistes majoritaires, et remplacé par Patrice de Mac Mahon, maréchal de France. Tous les regards sont tournés vers le trône qui, en toute logique, va de nouveau être occupé. Mais même si les royalistes ont la majorité absolue, ils sont divisés entre les orléanistes acceptant l’héritage révolutionnaire et les légitimistes désirant un retour à l’Ancien Régime. Incapables de s’entendre, les deux camps vont laisser passer leur chance de restauration monarchique et permettre aux républicains, actifs auprès de la population nationale, de devenir majoritaires.

Ainsi, en 1876, les républicains obtiennent la majorité absolue à l’Assemblée et entrent en conflit ouvert avec le Président de la République Mac Mahon. Celui-ci dissout la chambre et obtient un revers électoral monumental : les républicains gagnent encore des sièges. Enfin, les Français ne sont plus majoritairement royalistes. Cela peut s’expliquer de plusieurs manières : lamentable incapacité à restaurer la monarchie de la part des royalistes à l’Assemblée, réussite de la République à maintenir l’ordre contre les révolutionnaires de la Commune, ou encore le désir de revanche des républicains pour récupérer l’Alsace-Moselle. De plus, il ne faut pas oublier qu’alors, la société française entre enfin dans l’ère industrielle et de plus en plus de paysans deviennent ouvriers, optant pour des idées bien plus sociales. Quoiqu’il en soit, Mac Mahon démissionne et les républicains obtiennent la présidence. Jules Grévy annonce ce que sera la République en refusant de s’ingérer dans les affaires de la Nation : un régime parlementaire.

Enfin, la Gauche gouverne en France de façon durable. Ainsi, depuis 1876, les républicains ont toujours été majoritaires à l’Assemblée nationale. Mais ce basculement à Gauche de l’échiquier politique suppose une redistribution et redéfinition du concept de Gauche. Et celles-ci vont émerger en 1893 avec l’arrivée à l’Assemblée nationale des premiers socialistes.

Sources :

Histoire politique de la Ve République, Arnaud Teyssier (2011)

Dictionnaire critique de la Révolution française, François Furet & Mona Ozouf (2007)

La Révolution française, François Furet et Denis Richet (1965)

Histoire de la France au XXe siècle, Serge Berstein & Pierre Milza (1995)

L’immigration en France au XXe siècle, Marianne Amar & Pierre Milza (1990)

Axes et méthodes de l’histoire politique, Serge Berstein & Pierre Milza (1998)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

Destin français, Éric Zemmour (2018)