L'Histoire politique de la gauche en France (3/4)

 
Discours de Léon Blum au Congrès socialiste de 1932 - Agence de presse Meurisse / BNF

Discours de Léon Blum au Congrès socialiste de 1932 - Agence de presse Meurisse / BNF

 

La Gauche face à la Révolution industrielle (1893-1924)

De 1876 à 1893, les républicains organisent la République qu’ils veulent conservatrice, libérale et démocratique. Mais déjà, des tensions naissent entre eux : la majorité est qualifiée « d’opportunistes » ou de « modérés » pensant que la République doit embrasser l’idée originale des Lumières et de l’universalité tout en demeurant libérale. D’autres, plus radicaux, comme Léon Gambetta et son Union républicaine, défendent une République libérale et sociale, protectrice et forte, « représentant le Français moyen ». Finalement, c’est la première conception, bourgeoise, qui l’emportera et construira la Troisième République.

Mais la fin du XIXème siècle est marquée par l’industrialisation de la France et l’essor du monde ouvrier. Devant cette concentration populaire au sein des villes, de nombreux bourgeois pensent qu’il faut éduquer les masses ouvrières et versent dans le paternalisme. Ainsi naît le socialisme qui promeut un rôle plus important de l’État dans l’éducation des masses suivant les modèles bourgeois. Ces hommes politiques qui affichent un discours bienveillant envers une classe oubliée profitent de leur popularité pour faire leur entrée à l’Assemblée en 1893.

Cette arrivée du socialisme est fondamentale pour comprendre la Gauche au XXème siècle. Alors que tout le monde ou presque est républicain, la Gauche ne peut plus se définir comme un républicanisme uniquement. Désormais, ce n’est plus le régime défendu qui définit si un groupe est de Gauche ou de Droite, mais la vision de l’économie et de la société. La nouvelle Gauche défend une politique sociale destinée à éduquer les masses ouvrières d’abord dans un but de docilité puis à soulager leurs souffrances dans un but d’utilitarisme et de paternalisme car un ouvrier rapidement « usé » est un ouvrier inutile et inefficace. Et cette définition de la Gauche sera valide pour tout le XXème siècle français jusqu’au basculement mondialiste des années 1990 et 2000.

Ainsi, la Gauche devient rapidement une force importante dans l’hémicycle, aminée par la figure charismatique de Jean Jaurès qui fait son apparition au Parlement dès 1902. La loi d’association de 1905 qui donne naissance aux partis politique mène à la naissance du premier parti de Gauche de l’Histoire : la Section Française de l’Internationale Ouvrière ou SFIO. Pour autant, l’extrémisme de la SFIO lui porte préjudice tandis que le Parti Radical, premier parti de France sous la Troisième République, incarne une sorte de centrisme acceptable. Militant pour la paix et l’amélioration des conditions ouvrières, les socialistes ont un rôle politique essentiel malgré leur faible pouvoir à l’Assemblée : canaliser la violence ouvrière et éviter l’insurrection. Pour autant, un socialisme révolutionnaire menace régulièrement la gauche de la SFIO, prônant un renversement du régime bourgeois de la Troisième République dans le cadre de la « lutte des classes » théorisée par Karl Marx en 1848.

Quoiqu’il en soit, les idées socialistes sont majoritaires à l’Assemblée de 1910 à 1919 avec trois partis principaux : la SFIO de Jean Jaurès, le Parti Radical-Socialiste (PRS) de René Viviani et le Parti Républicain, Radical et Radical-Socialiste (PRRRS) de Gaston Doumergue ; preuve s’il en est que la République a bien pris en compte les enjeux ouvriers et l’évolution de la société française. Puis, vient la Grande Guerre qui entraîne une « Union sacrée » au sein de l’Assemblée nationale. Cette Union est plus proche du « coup de comm’ » que de la réalité historique tant les changements de gouvernements et l’instabilité gouvernementale induite étaient encore présents (7 gouvernements différents au cours de la guerre pour 5 Présidents du Conseil différents de 1914 à 1918). Malgré cela, tous les partis politiques soutiennent la guerre une fois celle-ci déclarée, de la SFIO à la Fédération républicaine (Droite libérale et conservatrice).

La guerre gagnée et la paix faite, la République retombe dans ses travers parlementaires. Libérée du dévouement guerrier, l’Assemblée recouvre une majorité de Gauche en 1924 avec l’accession au pouvoir du « Cartel des Gauches » (SFIO, PRS, PRRRS). Mais cette élection marque également la naissance d’un nouveau parti qui sera capital dans le siècle à venir : le Parti Communiste Français (PCF), fondé en 1920 et inspiré par la Révolution russe de 1917…

Le morcellement idéologique (1924-1940)

La naissance du Parti Communiste en France marque une dislocation de la Gauche. Si la SFIO demeure socialiste réformiste, elle est régulièrement menacée de « trahison » par le mouvement communiste révolutionnaire qui refuse toute collaboration avec le régime bourgeois de la République. C’est ainsi que la SFIO ne participera pas au gouvernement malgré sa victoire en 1924. Très populaire parmi les ouvriers, le PCF rivalise avec la SFIO et menace l’ordre établi. Forts de quelques députés en 1924, les communistes montent en puissance en 1928. Aux ordres de l’Union soviétique, le PCF défend la révolution mondiale et l’accomplissement de la lutte des classes par la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie exploitante. Déjà, l’affrontement communisme/capitalisme se met en place avec une polarisation de l’Assemblée entre le PCF à l’extrême-Gauche et la FR (Fédération républicaine) à l’extrême-Droite.

Finalement, les tensions vont s’exacerber avec la crise économique mondiale de 1929. Protégée des effets directs de la crise du fait de son archaïsme structurel, la France est touchée de plein fouet à partir de 1931 et 1932. La précarité et l’instabilité politique renforcent chez les Français la volonté d’un gouvernement stable et de réformes institutionnelles, en témoigne la manifestation d’anciens combattants le 6 février 1934. La répression de cette manifestation par le gouvernement Daladier va provoquer une vague de peur au sein des partis de Gauche qui assimilent ce mouvement au fascisme européen en œuvre à Rome et Berlin. Le PCF, la SFIO et le Parti Radical s’associent pour former le Front Populaire qui remporte alors les élections de 1936.

La victoire du Front Populaire est un électrochoc. Nombreux sont ceux qui prennent peur d’un coup d’État communiste. Mais c’est finalement la SFIO et le PR qui vont effectivement gouverner en tentant l’impossible : répondre à la double crise économique et sociale et réarmer la France en prévision d’une confrontation contre une Allemagne agressive. Au-delà de l’image traditionnellement associée au FP et à son chef, Léon Blum, l’action du gouvernement sera d’établir une sorte de dictature afin de permettre à la France d’être prête pour la guerre à venir. Cette politique, poursuivie par Daladier, est approuvée par le PCF et donc Moscou qui voit, lui aussi, une menace allemande poindre.

En tout et pour tout, en 1939 lorsqu’éclate la guerre, la France est prête. Mais les miracles sont impossibles : la démographie française a été ravagée par la Grande Guerre et l’Armée française n’est plus ce qu’elle était à Verdun en termes d’effectifs. Si la hargne et la volonté de défendre son pays sont toujours présentes, les hommes manquent dans ce qui s’annonce comme une guerre industrielle ultime. Pire encore, l’Union sacré de 1914 échoue en cela que le PCF change d’avis au dernier moment, obéissant aux ordres de Staline à la suite du pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop (23 août 1939). Les communistes, perçus comme des traîtres, entrent dans la clandestinité…

Vers une union des Gauches ? (1940-1981)

France, 1940. La France a perdu la bataille. Occupée par l’Allemagne, elle est gouvernée par le héros de guerre Philippe Pétain, maréchal de France et vainqueur de Verdun. Mais Pétain ne croit plus en la République et la démocratie. Inspiré par Franco en Espagne, il souhaite instaurer un régime personnel dans lequel les fondations traditionnelles de la société française sont réaffirmés. Outre-Manche, un inconnu général à titre provisoire continue d’appeler les Français à combattre : Charles de Gaulle. Dans cette France divisée, la Gauche jouera un rôle fondamental. Comptant le plus de députés opposés à Pétain, la SFIO a été neutralisée. Seul demeure le PCF qui, pour l’instant, reste dans l’ombre. Mais après le 22 juin 1941, lorsque l’Allemagne lance l’invasion de l’Union soviétique, ordre est donné à tous les partis communistes de l’Europe occupée de prendre les armes contre l’envahisseur. Les communistes français, déjà clandestins depuis 1939, bénéficient d’une organisation efficace et infligent des nuisances substantielles à l’ennemi. Plus encore, le parti participe activement à l’unification des forces françaises résistantes en s’alliant avec le général De Gaulle en 1943. Lorsque le pays est libéré, en 1944, et que des élections sont organisées en 1945, le PCF est le premier parti de France devant la Droite (Mouvement Républicain Populaire) et la SFIO.

On comprend mieux l’accent social de la Quatrième République proposée aux Français en 1946 et adoptée par référendum. Dès lors, le paysage politique est bouleversé et la SFIO recule devant le PCF. Pourtant fondamentalement opposé au mouvement gaulliste des années 1950, le PCF agit de concert avec le chef de la France libre pour dénoncer l’impérialisme américain en s’opposant au projet de Communauté européenne de défense (CED) par exemple. Tous deux défendent un projet souverainiste et patriote en opposition évidente aux États-Unis d’Amérique.

Cette convergence idéologique est d’autant plus importante que la fracture est grande entre la SFIO et le PCF sur nombre de sujets : guerres coloniales, alliance avec l’Amérique, défense nationale, etc. Finalement, c’est le basculement à Droite de la France avec la Cinquième République qui va réconcilier les deux partis. Opposés à De Gaulle qu’ils voient comme un dictateur, les socialistes et communistes vont régulièrement s’allier sans succès apparent. Pire encore, les événements de mai 1968 vont ressusciter dans l’esprit des Français les exactions de la Gauche au cours de l’Histoire : de la Terreur à la Commune, permettant un raz-de-marée gaulliste aux élections anticipées. La Gauche parlementaire (PCF et socialistes) ne représente plus qu’à peine 20% de l’hémicycle.  

Les années 1970 vont également être terribles pour la Gauche qui perd face à Georges Pompidou en 1969 et Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Aux législatives, la Gauche incarne l’Opposition parlementaire mais n’arrive pas à s’imposer. Cependant, devant la crise économique mondiale, les Français sont plus réceptifs aux promesses de protection et d’aides de la Gauche qu’au laisser-faire de la Droite. C’est en profitant de cet espoir que François Mitterrand, candidat du Parti Socialiste (PS) anciennement SFIO, va remporter l’élection présidentielle de 1981 et permettre à la Gauche de gouverner pour la première fois depuis la Quatrième République…

Sources :

Histoire politique de la Ve République, Arnaud Teyssier (2011)

Dictionnaire critique de la Révolution française, François Furet & Mona Ozouf (2007)

La Révolution française, François Furet et Denis Richet (1965)

Histoire de la France au XXe siècle, Serge Berstein & Pierre Milza (1995)

L’immigration en France au XXe siècle, Marianne Amar & Pierre Milza (1990)

Axes et méthodes de l’histoire politique, Serge Berstein & Pierre Milza (1998)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

Destin français, Éric Zemmour (2018)