L’OTAN ou la ligue de Délos moderne

Conseil Militaire de l’OTAN au QG de Bruxelles

Conseil Militaire de l’OTAN au QG de Bruxelles

C’est la plus grande et puissante alliance militaire de l’histoire humaine ; 30 États membres, plus de 3 millions d’hommes et des centaines de bâtiments de guerre, d’avions de combat et de têtes nucléaires stratégiques composent l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Fondée en 1949 par les anciens alliés américains et ouest-européens pour se prémunir d’une offensive soviétique en Europe, elle existe toujours aujourd’hui, trois décennies après la chute du régime communiste. Dirigée par les États-Unis d’Amérique (plus gros contributeurs financiers, logistiques et militaire), cette force de frappe constitue l’un des principaux piliers de la domination de Washington sur le Vieux-Continent et le monde. Par bien des aspects, du contexte historique de sa création à son mode de fonctionnement, l’OTAN n’est pas sans rappeler l’antique ligue de Délos dirigée par Athènes au lendemain des guerres médiques, laissant présager de funestes augures pour la France et l’Europe…

Une extension de l’armée américaine en Europe

L’OTAN est quasi-exclusivement constituée de pays européens à l’exception des États-Unis et du Canada. Cette alliance est créée en 1949 suite à une nette dégradation des relations diplomatiques et militaires entre les anciens vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale qu’étaient l’Amérique et l’Union soviétique amorcée trois ans auparavant et incarnée par le fameux discours de Winston Churchill sur le « rideau de fer ». Pour les Américains, il s’agit de redonner vie aux forces armées européennes exsangues afin qu’elles soient rapidement capables de supporter une invasion massive et blindée de façon autonome. L’OTAN s’inscrit alors dans la logique initiée par le plan économique Marshall et le soutien à la future Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) par l’intermédiaire de leurs agents Jean Monnet et Robert Schumann. Il est également à noter la présence de nombreuses bases militaires américaines en Europe occidentale qui existent encore aujourd’hui pour la plupart, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni.

Dès 1950 et le déclenchement de la guerre de Corée, l’OTAN s’organise autour d’un commandement militaire « intégré », sorte de prolongement de l’institution interalliée mise au point lors du second conflit mondial et dirigé par le général Dwight D. Eisenhower à partir de 1943 (Supreme Headquarters Allied Expeditionnary Force – SHAEF). C’est d’ailleurs ce dernier qui deviendra le premier commandant suprême de l’OTAN en 1951 sous l’impulsion du Pentagone. Les forces armées nationales, dont l’entretien revient à la charge de chaque pays, s’engagent entièrement ou partiellement suivant leurs moyens. L’alliance monte alors en puissance et des doctrines d’emploi communes sont enseignées. Malgré le caractère multinational de l’organisation, ce sont bien les États-Unis qui dominent militairement et financièrement avec des budgets colossaux et une hégémonie nucléaire seulement concurrencée à partir de 1960 par le programme français (à noter que les Britanniques sont dépendants de l’Amérique dans l’emploi de leurs armes atomiques).

L’OTAN apparaît ainsi comme une extension de la puissance américaine avec une vassalisation des armées nationales européennes rendues au rang d’auxiliaires. Cette hégémonie ne sera que rarement contestée – la France faisant figure d’exception en quittant le commandement intégré en 1966 à l’initiative de Charles de Gaulle. Elle sera cependant réintégrée sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy dès son élection présidentielle en 2007. Même entre ces deux dates, Paris intègre les standards matériels décrétés par l’OTAN et renforce son interopérabilité, principalement en ce qui concerne l’aéronavale (la France disposant seule de porte-avions CATOBAR, catapultes et barrières d’arrêt, calqué sur le modèle américain).

Délos, Bruxelles, même combat ?

Née après un conflit majeur qui mobilisa des dizaines de nations, dominée militairement et financièrement par une seule puissance utilisant ses alliés comme troupes auxiliaires, la ligue de Délos est un écho historique à l’OTAN et permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’une telle organisation ainsi que ses possibilités d’évolutions.

Menacée par la Perse, la Grèce antique fait bloc pour repousser l’invasion médique. Menée par la cité guerrière de Sparte et la démocratique Athènes, la terre des Olympiens l’emporte finalement contre le puissant empire oriental. Résolues à se défendre en cas de nouvelles agressions, les cités grecques forment deux blocs défensifs structurés autour des deux nations vainqueurs : la ligue de Délos (Athènes) et celle du Péloponnèse (Sparte). Ayant pour siège la cité insulaire de Délos, la première alliance voit la domination culturelle, économique et militaire des Athéniens qui en prennent bientôt le contrôle exclusif et exigent de ses membres des tributs et renforcements militaires. Menée par un impérialisme maritime et un expansionnisme colonial, la ligue finit par sombrer dans l’autoritarisme. Les nations récalcitrantes sont matées, assiégées ou pillées par Athènes qui jouit d’une rente importante.

Parallèlement, les Spartiates, dirigeant de façon plus collégiale et défensive, s’opposent de plus en plus à une force devenue extravagante. Les tensions éclatent finalement dans la guerre du Péloponnèse, un conflit de trente ans qui voit la victoire finale de la cité guerrière et la naissance d’une domination que seuls les Macédoniens de Philippe et Alexandre achèveront. L’OTAN est-elle une nouvelle ligue de Délos ? La France est-elle devenue un auxiliaire de l’Amérique ?

La France et l’Europe dans la « ligue de Washington »

Bien sûr, il est difficile de comparer deux événements ou logiques historiques, notamment lorsque celles-ci sont si éloignées d’un point de vue temporel – presque trois millénaires séparent Athènes de Washington. Mais l’esprit humain étant limité de par sa condition animale, il est naturel de voir ressurgir des mécanismes semblables. Ainsi, la fédération de l’Europe exsangue autour de la puissance américaine n’est pas étrangère à l’adhésion des cités grecques ravagées ou terrifiées par la Perse à la toute puissance athénienne. Les sorties de Donald Trump sur le manque d’investissement budgétaire des nations européennes à l’OTAN ne sont pas sans rappeler les tributs exigés par Athènes dans le cadre de la ligue de Délos. Là encore, c’est l’aspect sécuritaire qui est mis en avant, couplé à l’entretien de la « menace russe » incarnée par des manœuvres frontalières pour le moins injustifiées d’autant que la Fédération de Russie est théoriquement un membre associé de l’alliance atlantique.

Et la France dans tout cela ? Il serait présomptueux d’affirmer que les nations européennes sont soumises aux exigences américaines d’autant plus que l’Amérique n’a que peu tenu ses engagements et promesses en termes de budgets ou d’effectifs, dégarnissant le « front européen » au gré des opérations extérieures (Corée, Vietnam, Golfe persique, etc.). Même si elle a fait l’objet d’une campagne de propagande antifrançaise, la France n’a pas hésité à s’opposer aux projets américains comme celui d’envahir l’Irak en 2003. En revanche, il est possible d’affirmer que notre pays est bien devenu, comme le reste de l’Europe intégré à la logique atlantique, un vassal du suzerain américain. Comme au temps de l’ancienne féodalité, la France paie des obligations, des contributions et entretien à sa charge une force militaire autonome capable d’être intégré à un ensemble plus large. « Autonome » et non indépendante car il est courant que Paris en appelle à l’aide de ses alliés notamment en matière logistique, y compris dans le cadre de ses propres opérations extérieures.

Conclusion

Le futur de l’OTAN est loin d’être fixé. Remise en cause par ses propres fondateurs, l’alliance demeure plébiscitée par de nombreux pays d’Europe orientale pour qui la Russie demeure une menace. Parallèlement, des pays modestes ou retirés de l’histoire militaire comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni, voient en l’OTAN un moyen de conserver un poids diplomatique dans le monde. La France, elle, conserve un héritage militaire gaullien qui l’empêche encore de sombrer dans le fatalisme et la résignation, seule puissance nucléaire indépendante d’Europe et plus puissante armée du continent capable de projections. Son retour dans l’organisation ne marque pas une soumission mais bien une vassalisation au sens propre du terme. Enfin, il convient de rappeler que l’OTAN subit des critiques vives quant à sa légitimité même, le but de sa création – se défendre contre une invasion soviétique – ayant disparu depuis 30 ans et des divisions éclatant entre ses membres mêmes à l’instar des agissements turcs au Proche-Orient. Cependant, la mise en perspective historique de l’OTAN avec la ligue de Délos permet de mieux comprendre comment peut s’effondrer une alliance ; soit par un choc extérieur (guerre contre un rival) ou la montée en puissance d’un nouveau modèle civilisationnel, culturel et national (comme Sparte balayée par la Macédoine). Si le spectre d’une guerre ouverte s’est éloigné avec l’ère atomique, les chances de voir l’OTAN disparaître des suites de la montée en puissance de la Russie, de la Chine ou même de divisions internes n’est pas à exclure dans les années à venir.

Sources :

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/souverainete-sur-le-plan-militaire-la-france-reste-tributaire-des-etats-unis-837009.html

https://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html