Pourquoi une révolution diplomatique est-elle indispensable ? (1/2)

 
Représentation de l’Entente Cordiale, entre le Royaume-Uni et la France, en 1904.

Représentation de l’Entente Cordiale, entre le Royaume-Uni et la France, en 1904.

 


Avertissement : Le présent article n’est que l’expression de l’opinion diplomatique de son auteur et n’engage en rien ni Terra Bellum ni ses fondateurs ni ses autres auteurs.



Qu’est-ce qu’une révolution diplomatique ? Le terme apparaît pour la première fois à la fin du XIXème siècle et qualifie d’abord le renversement majeur des alliances européennes qui s’opéra à la veille de la guerre de Sept-Ans (1756-1763). La France, alliée traditionnelle des puissances protestantes anglo-saxonnes comme scandinaves contre la monarchie des Habsbourg, opère un changement radical de partenariat militaire et diplomatique. La montée en puissance du Royaume de Prusse mène à une révision capitale qui finira par unir les puissances catholiques. Pourtant, ce n’est pas le seul et unique exemple d’un changement radical de paradigme diplomatique. Après les guerres révolutionnaires et impériales, mais surtout à la suite de l’unification allemande, France et Royaume-Uni se rapprochent à nouveau pour contrer cet ennemi commun en Europe. Aujourd’hui, le modèle diplomatique français est l’héritier des alliances de la fin du XIXème siècle et qui conduisirent aux deux conflits mondiaux que nous connaissons. L’alliance franco-anglo-saxonne fait même office de véritable fil conducteur depuis 1904. Cependant, l’hégémonie américaine née de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre Froide, couplée à un déclin sociétal s’exportant dans tout l’Occident, amène à questionner les choix politiques de notre pays. Le communisme soviétique n’étant plus une menace proche et vitale, l’alliance américaine n’est plus aussi imprescriptible qu’auparavant. Le déclin militaire britannique ainsi que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne questionnent l’intérêt d’un partenariat dans le cadre même d’une politique de défense à l’échelle continentale. L’Allemagne demeure un concurrent économique majeur soutenu par les États-Unis et leur double-jeu pseudo-européiste remet également en question l’appartenance de la France aux institutions communautaires. Les récents abandons qui ont caractérisé la crise gréco-turque en Méditerranée a démontré plusieurs choses : l’Europe ne parle pas (et ne parlera sans doute jamais) d’une voix unie et l’Amérique décide de la politique européenne à la place des Européens. Dans ce cadre, quels alliés pour la France ? Vers qui se tourner pour continuer d’exister en tant que nation souveraine ? Quelles sont les implications d’un renversement total et majeur d’alliances à l’échelle mondiale ?


Quel bilan après un siècle d’alliance anglo-saxonne ?

Qu’entend-t-on par alliance anglo-saxonne ? C’est l’alliance multidisciplinaire qui lie la France avec les pays anglo-saxons dont les principaux représentants sont le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique. Forgés en 1904, les accords franco-britanniques – ou Entente cordiale – mettent fin à un siècle et demi de rivalité entre Paris et Londres. Dans quel but ont-ils été signés ? Depuis les événements révolutionnaires de 1848, le Royaume de Prusse poursuit une politique impérialiste et hégémonique sur l’Europe. Autriche et France seront ainsi les victimes collatérales des ambitions prussiennes qui accoucheront de l’Empire allemand unifié. Cette nouvelle force politique et diplomatique menace l’hégémonie britannique sur le monde – forgée au lendemain des guerres napoléoniennes. La France, déjà alliée à la Russie tsariste dans une stratégie de revers et meurtrie par l’annexion de l’Alsace-Moselle, fait office de candidat idéal dans l’établissement d’une coalition antiallemande. Plus tard, la défection russe, sur fond de révolution bolchévique, poussera encore plus pressément la France à se tourner vers le monde anglo-saxon et en particulier les États-Unis qui sont déjà le principal créditeur de l’Europe.

Mais quelle a été la valeur de ces alliés outre-Manche et outre-Atlantique ? Si la bravoure au combat des Britanniques, Australiens, Canadiens, Américains et autres Néo-Zélandais ne fait aucun doute, l’attitude de leurs gouvernements laisse à désirer vis-à-vis de la France. En 1918, l’Amérique refuse le droit français à annexer l’Alsace-Moselle. Il faudra l’intervention inespérée de l’ancienne impératrice Eugénie de Montijo pour permettre à Clemenceau de sortir de l’impasse. L’année suivante, les Anglo-Saxons refusent que l’Allemagne soit démembrée davantage, écartant ainsi une éventuelle indépendance rhénane ou la dislocation de l’Empire ante unionem. Tout est fait pour que l’hégémonie française ne remplace pas l’hégémonie allemande. Enfin, le refus de ratification du traité de Versailles par le Sénat américain – faisant quitter l’alliance aux Américains – condamne de facto l’Europe à une nouvelle guerre mondiale. La France sera seule – l’Angleterre étant protégée par la Manche – face à Hitler et ses hordes mécanisées. Après-guerre, le soutien américain est caractérisé par une politique de chantage économique, diplomatique et politique que la seule parenthèse gaullienne ne parviendra pas à neutraliser. Désormais, et depuis la chute de l’empire soviétique, l’Amérique règne en maître incontesté sur le monde et la France est réduite au rang de satellite – ne l’empêchant pas pour autant de certaines fulgurances comme le boycott de la guerre en Irak en 2003.

« Désormais, et depuis la chute de l’empire soviétique, l’Amérique règne en maître incontesté sur le monde et la France est réduite au rang de satellite »

Au XXIème siècle, la France est membre de l’OTAN et de l’Union européenne ; deux organisations d’origine américaine destinés d’une part à neutraliser les guerres intra-européennes et d’autre part à sortir les nations continentales de l’Histoire. Mais sans Union soviétique contre qui se défendre, l’OTAN perd immédiatement de sa légitimité. Les premières dissensions s’exacerbent et plus aucune unité ne règne. L’Allemagne renoue le dialogue avec la Russie tandis que la Grèce et la Turquie, pourtant alliés sur le papier, s’affrontent en Méditerranée orientale. Au sein de l’Union européenne, les divergences d’opinions divisent Nord et Sud tandis que le Royaume-Uni quitte une institution sensée imprescriptible. Tout le glacis pseudo-pacificateur des États-Unis vole en éclats tandis que l’influence culturelle américaine mine les sociétés européennes : néo-féminisme, écologisme, luttes victimaires et raciales, individualisme exacerbé et capitalisme biaisé. Le bilan de l’alliance anglo-saxonne est donc bien loin d’être positif malgré une double victoire sur l’Allemagne impérialiste…