Quel avenir pour la Chine et l’Europe ?

 
 

Article écrit par

Dr. Hamed Ghiaie, Professeur d’Économie, ESCP Business School, Paris

Arnaud Ah-Lime, ESCP Business School, Paris

 

Introduction

“Lorsque la Chine s’éveillera, le monde tremblera”, cette citation que l’on prête à tort à Napoléon Bonaparte, dont cette année marque le bicentenaire de la mort serait revenue dans l’actualité ces dernières années du fait de l’importance grandissante que prend la Chine dans la gouvernance mondiale. En revanche, c’est bien sous son règne, en 1813 qu’est publié le tout premier dictionnaire franco-chinois. Deux siècles après la disparition de l’Empereur, l’Europe et le monde se retrouvent bouleversés par une pandémie de Covid.

En tant que 2 des plus grandes puissances mondiales, l’Union Européenne et la Chine sont deux géants qui représentent respectivement 16% et 16,4% du PIB mondial (Eurostats, 2020). De plus, le volume total des échanges entre l’UE et la Chine représentait 22% des échanges mondiaux soit 706 milliards de dollars. C’est pourquoi certains observateurs s’accordent à dire que nous vivons actuellement dans un monde tripolaire entre l’UE, la Chine et les Etats-Unis.

La crise Covid a été un véritable bouleversement dans les relations que l’UE entretenait avec Pékin. La dépendance des pays européens aux exportations chinoises et l’agressivité de Pékin dans sa diplomatie ont en outre été mises en lumière par la pandémie. Partenaire commercial, allié face au changement climatique ou encore ennemi de la démocratie, qu’est réellement la Chine ?

 

Un allié face au changement climatique

La coopération entre l’UE et la Chine en matière d’énergie renouvelable ou de lutte contre le réchauffement climatique ne date pas d’hier et s’inscrit dans la continuité d’un rapprochement entre les deux géants. Dès 2005, le “Partenariat UE-Chine sur le changement climatique” servait de cadre politique mettant en place des objectifs communs en matière de développement de nouvelles technologies.

En tant que pays le plus peuplé et le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, la Chine a pleinement pris conscience de son rôle dans la lutte contre le changement climatique. En conséquence, le gouvernement de Pékin a depuis plusieurs années déjà pris des mesures dans le but de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Bien que la part du charbon dans la consommation d’électricité diminue d’année en année, le charbon reste la plus importante source d’énergie en Chine et représentait 58% en 2020 contre 76% 15 ans auparavant.

Toujours dans cette optique de réduction des gaz à effet de serre, la Chine a ratifié les Accords de Paris en 2015 (COP 21) alors que les Etats-Unis, le 2ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre s’étaient retirés sous l’administration Trump. Bien que les Etats-Unis soient revenus sur leur décision sous le mandat de Joe Biden, ce petit revirement nous a prouvé que la politique des Etats-Unis en matière de changement climatique était très gravement dépendante de l’administration en place.

De plus, l’UE et la Chine ont tous les deux un objectif commun: atteindre la neutralité carbone, en 2050 pour l’UE et 2060 pour la Chine. Comme dit précédemment, le charbon, qui est une énergie fossile, représente toujours 58% de la consommation électrique chinoise. Et si la Chine veut effectivement atteindre la neutralité carbone, elle va devoir effectuer une transition énergétique vers des énergies propres comme le solaire, l’hydraulique ou encore le nucléaire. Et c’est bien ce dernier que les chinois ont choisis pour alimenter sa gigantesque population en électricité. La France, leader mondial dans le nucléaire civil, a été choisie comme partenaire privilégié dès 1983 avec le tout premier contrat signé entre EDF et China General Nuclear Power

Group (CGN) pour la construction de la toute première centrale nucléaire chinoise dans le Guangdong. En 1995, EDF a même été désigné comme partenaire principal pour la construction de la deuxième centrale nucléaire chinoise. 

Une avancée majeure dans le domaine du nucléaire a été le lancement de la construction du tout premier “Petit Réacteur Modulaire” (Small Modular Reactor SMR en anglais) par la Chine en Juillet dernier. Les SMR sont de petits réacteurs d’une puissance comprise entre 100 et 300 MW (contre plus de 1 000 pour une centrale nucléaire classique). Par rapport aux centrales classiques, ces SMR apportent des avantages qui pourraient très sérieusement impacté le futur de l’énergie par rapport aux centrales classiques:

●       Une économie d’échelle: ce sont des réacteurs de petites tailles qui peuvent être fabriqués à la chaîne dans des usines et être transportés directement sur leur lieu d’exploitation

●       Une sécurité accrue: les systèmes de refroidissement peuvent utiliser la circulation naturelle (convection), ce qui permet de se passer de pompes, de pièces mobiles qui pourraient tomber en panne

●       Une réduction des déchets: grâce à une énergie de neutrons plus élevée, plus de produits de fission peuvent être tolérés ce qui permet aux SMR d'atteindre des taux plus élevés de combustion et donc de réduire les déchets radioactifs à la fin d’un cycle.

Ces SMR pourraient servir à la Chine de plusieurs façons: fournir en électricité des régions difficiles d’accès, alimenter les dessalinisateurs d’eau ou encore servir de chauffage d’appoint pour certaines villes.          

La Chine, partenaire ou rival commercial ?

Les toutes premières relations diplomatiques et commerciales entre l’UE et la Chine datent du début des années 1970 lorsque la RPC a été reconnue par l’ONU. Dès lors, le commerce a continué d’augmenter d’année en année et la Chine a même rejoint l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 après 15 ans de négociations. La Chine devient rapidement “l’atelier du monde”, du fait sa main d'œuvre peu chère et abondante et nombre d’entreprises occidentales délocalisent dans l’Empire du Milieu pour en profiter. En résulte alors un déficit de la balance commerciale qui se creuse d’année en année entre l’UE et la Chine à la faveur de cette dernière.

En Février 2021, la Chine devient même le premier partenaire commercial de l’UE, malgré la crise Covid, surpassant même les Etats-Unis ce qui montre bien la dynamique engagée entre l’UE et la Chine. Ce que la crise Covid nous a démontré par ailleurs, c’est une certaine dépendance de l’UE envers les exportations chinoises. En effet, plus de 80% des ingrédients pharmaceutiques et 33% des agents actifs proviennent de Chine. En 2019, l’UE a importé près de 800 millions d’€ de masques chirurgicaux dont 60% provenaient de Chine. Pour le premier quartier de 2020 ce montant est monté à 14 milliards d’€ et la part de la Chine représentait alors 92% (Eurostats 2021). La Chine a dès lors profité de sa position dominante en utilisant les exportations de masques pour redorer son image, grandement ternie par la pandémie. C’est ce que certains observateurs appellent la “diplomatie du masque”.

 

La Chine, une menace pour la démocratie ?

Lorsque la crise du Coronavirus a été mise en lumière en Janvier 2020, plusieurs observateurs ont prédit que la catastrophe serait une sorte de Tchernobyle chinois qui précipiterait la chute du PCC. Cependant, la réalité fut tout autre. Lorsque Pékin réalise pleinement la gravité de la situation, le PCC a pris une série de mesures fortes encore jamais vu dans l’histoire récente. La gestion de cette crise par le pouvoir en place a été une occasion en or pour Pékin de promouvoir son système politique auprès des pays en développement au détriment des vieilles démocraties occidentales.

Force est de constater que les mesures fortes et coercitives prises par Pékin ont porté leurs fruits. En effet, la Chine annonçait zéro cas autochtone dès le 18 Mars 2020 alors que l’Europe et les Etats-Unis étaient touchés de plein fouet par la pandémie. Pire encore niveau économique, en 2020, la Chine était le seul pays majeur à avoir un taux de croissance positif  de 2,3%. Pour le premier quartier de 2021, la Chine avait même un taux de croissance de  18,3% contre seulement 6,4% aux Etats-Unis et -0,6% dans l’UE. Non seulement la Chine a réussi à contenir l’épidémie plus vite et plus efficacement, elle a aussi récupéré économiquement plus vite que n’importe quel autre pays de l’OCDE. Comme dit par Perthes en 2021 dans “Dimensions of rivalry: China, the United States, and Europe. China International Strategy Review”, le Covid n’a fait qu’exacerber la dimension idéologique dans le combat que mène les Etats-Unis contre la Chine.

 

Conclusion

La pandémie de Covid-19 a montré deux choses. La première était une Union Européenne de plus en plus désunie, qui l’était déjà par le départ du Royaume-Uni en 2016 mais qui a été encore plus affaiblie par les querelles intestines notamment sur le fond de relance européen. L’autre chose était une Chine encore plus forte qui confirme sa place de puissance mondiale. Profitant même de sa position dominante, la Chine n’a pas hésité à profiter de sa position de puissance mondiale pour s’en prendre directement aux autres puissances. Par exemple, dans une série de Tweet, Zhao Lijiang le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères chinoise a accusé les Etats-Unis d’être à l’origine de la pandémie de Covid et de faire passer la Chine pour un bouc émissaire dans le seul but de discréditer celle-ci à l’internationale. Plus qu’une simple altercation sur un réseau social, ce comportement nous montre que dorénavant, la Chine a rompu avec sa stratégie de passivité qui avait pour but d’éviter les controverses et que maintenant elle n’hésitera pas à affronter directement les autres puissances étrangères sur le terrain de la diplomatie. C’est ce que certains observateurs appellent la “Wolf Warrior Diplomacy" du nom d’un film d’action chinois sorti en 2017.

De plus, il semblerait même que la Chine se dirige vers un chemin encore plus totalitaire. Les différentes mesures prises par Pékin (géolocalisation des individus, censure sur les réseaux sociaux, contrôle du déplacement des populations, etc…) réduisent encore plus les libertés individuelles et montrent une volonté de la part du PCC d’accroître encore plus son contrôle sur la population chinoise.

 

Recommandations

Deux recommandations peuvent être tirées des récents évènements. La première recommandation est un appel pour une Union Européenne plus forte, plus unie et avec un but commun. En effet, si l’UE se comporte comme une seule et unique entité avec un but commun, il sera plus facile de faire bloc face à la Chine (ou aux Etats-Unis…). En effet, comme nous l’a montré la crise des panneaux solaires en 2011, la Chine a préféré négocier directement avec les états membres un par un plutôt qu’avec l’UE. Cette stratégie s’est révélée fructueuse car isolés, les différents états membres n’ont pu faire face à Pékin et par conséquent, les droits de douane imposés sur les panneaux solaires chinois ont vite été abandonnés et un prix plancher a été adopté. De plus, pendant longtemps la Chine a utilisé les dissensions au sein de l’UE pour atteindre ses objectifs en Europe. Autre exemple révélateur, lorsque l’Italie a été touchée par l’épidémie de Covid en Mars 2020, la France et l’Allemagne ont tout de suite stoppé leurs exportations d’EPI (équipements de protection individuelle) et ont laissé l’Italie dans une situation plutôt délicate. La Chine profite de l’occasion pour redorer son image et envoie dès le 12 Mars 2020 plus de 30 tonnes de matériel (masques, respirateurs etc…) ainsi qu’une équipe médicale. Si tous les pays membres de l’UE ont un objectif commun, alors la Chine ne pourra plus profiter des dissensions des différents pays membres.

La deuxième recommandation serait une politique plus inclusive envers la Chine basée sur la création de la CEE en 1957. L’UE doit donner à la Chine plus de raisons de coopérer plutôt que d’entrer en conflit. Comme nous l’a montré le CAI (Comprehensive Agreement on Investment), qui devait protéger les entreprises européennes en Chine mais qui au final n’a pas été ratifié à cause de la joute diplomatique entre Bruxelles et Pékin sur le traitement des Ouïghours, entrer en conflit avec la Chine s’est montré contre-productifs pour les deux parties. De plus, la Chine pourrait aussi aider d’une certaine manière l’UE à faire bloc face à l’unilatéralisme américain de retour sous le mandat de Joe Biden (retrait d’Afghanistan sans concertation et annonce du pacte “AUKUS” au détriment de la France). Le volet écologique ne doit pas non plus rester en reste. La Chine et l’UE ont tous les deux un objectif commun, celui d’atteindre la neutralité carbone en 2060 pour l'une et en 2050 pour l’autre. L’UE a besoin de la Chine pour face au bloc anglo-saxon et la Chine a besoin de l’UE pour effectuer sa transition énergétique.