« Être moral » : Quid est hoc ? (Bref) Retour à Kant (2/2)

 
Emmanuel Kant (1724-1804)

Emmanuel Kant (1724-1804)

 

Aux principes de la moralite

Cela implique, en conséquent, de redéfinir et de repenser le rôle et la place de la raison.

Petit rappel de l’opposition déterminante et structurante entre Raison pure et Raison pratique, opposition développée dans chacune des Kritik correspondantes :

Dans la Critique de la Raison pure(1) : « Comment la métaphysique est-elle possible à titre de science ? ». Dans la Critique de la raison pure, il est affirmé que nous ne connaissons rien en dehors de l’expérience empirique, laquelle obéit à la loi de la nature voulant que tout état du monde sensible succède à l’état qui le précède d’après une règle nécessaire. Kant désigne la voie pratique comme clef de la solution du problème de la métaphysique (spéciale). La problématique de la liberté transcendantale est laissée de côté.

Dans la Critique de la raison pratique(2) : « La Critique de la raison pratique, en établissant la réalité de la liberté transcendantale par le biais du factum(3) rationis, fonde une nouvelle « métaphysique », de nature pratique, que la première ne faisait qu’entrevoir ». Une des thèses majeures est que seule la raison dans son usage pratique peut nous ouvrir au « suprasensible », nous permettre de conférer à nos idées rationnelles une réalité en posant la réalité objective de la liberté transcendantale par le biais du Faktum que constitue la loi morale. Question il est, donc, de donner consistance et réalité à la liberté transcendantale, liberté transcendantale connue assertoriquement (c’est-à-dire par démonstration).

En fait, « Nous sommes nécessairement soumis – en tant qu’être raisonnables finis – à un impératif catégorique d’après lequel nous devons être quelque chose qui d’un point de vue théorique est impossible, à savoir des êtres libres agissant indépendamment de toute détermination empirique »(4).

Problème donc de l’articulation entre les deux critiques, entre la liberté et la nature, entre le droit et nos inclinations.

Kant va, dès lors, réhabiliter le pouvoir cognitif de la raison morale. Présent dans sa théorie des lois morales de la raison pratique qui substitue le bien naturel, c’est au principe fondamental de la morale. Celle-ci impose la conformité de notre volonté à une exigence de justice universelle => Impératif catégorique => N’indique à l’homme aucune finalité à suivre, indiquée par sa sensibilité et par anticipation, principe de détermination de la volonté = « maxime ».

Cela requière également une exigence de respect universel de la dignité humaine chez autrui et soi-même ; exigence formelle qui ne donne aucun contenu (donné par la sensibilité).

La raison pratique a le pouvoir de rendre la volonté humaine indépendante de la sensibilité, des inclinations égoïstes => Fondement de l’autonomie de la volonté.

La Raison morale est, in fine, réhabilitée dans son pouvoir moteur permettant l’aptitude au désintéressement (de la justice) => capable d’autonomie morale. C’est-à-dire qu’elle a le pouvoir de déterminer les penchants de l’homme dans sa fonction pratique.


Plusieurs remarques et points à noter :

Forte critique du scepticisme (niant à la Raison morale tout faculté cognitive et donc l’accès à un principe suprême) ; forte critique du scepticisme modéré morale (fonction cognitive sauve, déterminer une exigence éthique minimale par l’exigence de justice).

Scepticisme dirigé contre la fonction motrice de la Raison morale (théorie de l’égoïsme psychologique radical), raison humaine se réduit au calcul des meilleurs moyens

Aussi, la morale, la bonne moralité, est une affaire de lois et de volonté. « La volonté n’est rien d’autre qu’une Raison Pratique ». Ce qui déclenche la volonté (vient de nous-même et non pas des autres, pas une circonstance), c’est le devoir (exercice de la vertu) => Force intérieure.

La bonne volonté = Moralement pur : « Qu’est-ce que la bonne volonté ? Le souci profond d’accomplir son devoir uniquement parce que c’est le devoir, que l’être raisonnable se représente sous la forme d’une loi, et ce par pur respect : Le devoir est la nécessité de la loiSur quoi il faut remarquer qu’une action pour être bonne doit non seulement avoir à l’égard de sa matière toutes les conditions portées par la Loi, mais encore être régulière à l’égard de la forme ; c’est-à-dire faite, non par ignorance, mais uniquement en vue de rendre à la Loi l’obéissance qu’on lui doit. L’action irréprochable à l’égard de la matière n’est autre que celle « du marchand avisé » qui établit « un prix fixe, le même pour tout le monde, si bien qu’un enfant achète chez lui à tout aussi bon compte que n’importe qui. On est donc loyalement servi ; mais ce n’est pas à beaucoup près suffisant pour qu’on en retire cette conviction que le marchand s’est conduit ainsi par devoir et par des principes de probité ; son intérêt l’exigeait(5) … Le devoir, la loi morale manifestent non pas une réalité mentale morte, mais un pouvoir qui n’est autre qu’agilité, mouvement, liberté de la raison qui est un Pour-soi et non un en-soi … Comme la raison, le devoir s’impose à l’homme »(6).

« L’essentiel souci de vivre est de vivre non seulement conformément au devoir, mais par devoir »(7). Cela nous amène donc à considérer la question des impératifs.


Il important de rappeler que Kant distingue 3 impératifs : Hypothétique, Technique, Catégorique (le seul qui soit vraiment morale est l’impératif catégorique).

Tableau, trilogie des formules de l’impératif moral (question de ses modalités)(8) :

 
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« Tous les impératifs, quels qu’ils soient, en tant que règles pratiques de la raison, méritent d’être pris en considération car ils libèrent l’individu des impulsions aveugles de la sensibilité, l’arrachent à la contingence, à la variabilité et fournissent des règles et principes solides, durables et généraux, à l’action ».(9)

L’impératif hypothétique exprime seulement que l’action est bonne en vue de quelque fin, possible ou réelle.

L’impératif catégorique, en revanche, se veut l’une de ces solutions sans appel, nécessaires et contraignantes qui obligent les hommes à renoncer à leur particularité au profit de l’universalité (du genre humain). Celle-ci est comme un donné de la nature humaine lorsqu’elle se fait Raison, non pas raison pure mais raison pratique. Autrement dit, la « nature humaine » n’existe pas (à proprement parler) mais sa forme tend à se réaliser.

Il est le seul qui soit vraiment moral. Le critère de l’universalité s’établit par une maxime (une règle que l’on s’impose à soi-même, doit valider l’universalité sans exception, mensonge condamnable moralement, ne pas tenir compte des effets).

L’impératif catégorique se formule de quatre manières différentes : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ». // « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». // « Agis de telle sorte que ta volonté puisse se considérer elle-même comme constituant en même temps par sa maxime une législation universelle ».

Outre cela, nous comprenons que « l’existence morale ne consiste en rien d’autre qu’à être de bonne volonté et pour s’en assurer il suffit de confronter la maxime subjective du vouloir avec la loi universelle et objective de la raison. Toute la morale s’accomplira donc dans le passage de la maxime subjective à la loi universelle de la raison pure pratique, ou, si l’on préfère de l’homme à l’être raisonnable, de l’être sensible au noumène »(10).

Une difficulté cependant : « C’est l’écart entre l’homme et l’être raisonnable, entre la maxime humaine et la loi souveraine qui crée la difficulté. Si l’homme n’était qu’être raisonnable il n’y aurait aucun problème »(11).

(1) Réf. article d’Antoine Roullé.

(2) Réf. article d’Antoine Roullé.

(3) C'est une action, considérée sous les lois de l'obligation et donc du sujet considéré sous des lois de l'obligation, et donc du sujet considéré au point de vue de la liberté et de son arbitre. Ainsi une personne est l'agent qui est par le fait considéré comme l'auteur de l'effet, dont les actions sont susceptibles d'imputations. Réf : Kant, Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit, p.97

(4) Réf. article de Manuel Roy.

(5) A. Philonenko, L’œuvre de Kant, Tome 2, p.97-p.98

(6)Ibid, p.104-p.105

(7) Ibid, p.99

(8) Ibid, p.113

(9) Mai Lequan, La philosophie morale de Kant, p.172-p.173

(10) Ibid, p. 99

(11) Ibid, p. 110



Sources :

Kant, (1785), Fondement de la métaphysique des mœurs, Le livre de poche, Paris, 2017

Kant, (1795), Métaphysique des Mœurs, Vrin, Paris, 2011

Kant, (1781 / 1787), Critique de la Raison pure, Vrin, Paris, 2006

Kant, (1788), Critique de la Raison Pratique, PUF, Paris, 1966

Kant, (1800), Logique, Vrin, Paris, 1966

Alexis Philonenko, L’œuvre de Kant, la philosophie critique, Tome II, Vrin, Paris, 2007

Mai Lequan, La philosophie morale de Kant, Seuil, Paris, 2001

https://encyclo-philo.fr/realisme-moral-a/

http://www.guillaumenicaise.com/philosophie/le%20mal/le%20mal.pdf

Meyer Michel, « Morale, éthique et justice : Aristote contre Kant », dans : , Petite métaphysique de la différence. Religion, art et société, sous la direction de Meyer Michel. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2008, p. 115-120. URL : https://www.cairn.info/petite-metaphysique-de-la-difference--9782130567646-page-115.htm

Lequan Mai, « Y a-t-il une morale transcendantale chez Kant ? », Revue de métaphysique et de morale, 2007/1 (n° 53), p. 115-139. DOI : 10.3917/rmm.071.0115. URL : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2007-1-page-115.htm

Rey Lucie, « Les Lumières comme enjeu philosophique et politique : Pierre Leroux face à Victor Cousin », Dix-huitième siècle, 2015/1 (n° 47), p. 501-528. DOI : 10.3917/dhs.047.0501. URL : https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2015-1-page-501.htm

Jaffro Laurent, « Hutcheson (1694-1746) : des bons sentiments au calcul de l'utilité », dans : Alain Caillé éd., Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique. Paris, La Découverte, « Hors collection Sciences Humaines », 2001, p. 420-424. URL : https://www.cairn.info/histoire-raisonnee-de-la-philosophie-morale-et-pol--9782707134219-page-420.htm

Roullé Antoine, « La cohérence des deux premières Critique. Lecture du « Canon de la raison pure » », Archives de Philosophie, 2004/3 (Tome 67), p. 399-419. DOI : 10.3917/aphi.673.0399. URL : https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2004-3-page-399.htm