Brève histoire thématique de la France royale

 
La prise des Tuileries le 10 août 1792, qui signe la fin de l’Ancien Régime- Tableau de Jean Duplessis-Bertaux.

La prise des Tuileries le 10 août 1792, qui signe la fin de l’Ancien Régime- Tableau de Jean Duplessis-Bertaux.

 

La France est une nation doublement millénaire. Au cours de son existence, son mode de gouvernement aura été la monarchie, de Clovis à Napoléon III. C’est la royauté qui a, pendant presque un millénaire et demi, forgé l’État-nation dans lequel les Français vivent aujourd’hui. Même la République, dans ses accomplissements étatiques, n’a fait que poursuivre l’œuvre des Mérovingiens, Carolingiens et autres Capétiens. Souvent oublié, régulièrement minoré, parfois caché, l’apport central des rois et empereurs de France mérite d’être redécouvert. Toutefois, il serait trop mal approprié d’aborder cette histoire riche et complexe par le biais chronologique ordinaire. Des constances existent, s’entrecroisent et se recoupent. C’est pourquoi le présent article sera organisé suivant une architecture thématique, plus à même de mieux comprendre et appréhender les règnes qui ont fait la France...

La relève de l’Empire romain d’Occident

S’il fallait ne citer qu’un traumatisme intellectuel et culturel propre à l’Europe, c’est bien de la chute de l’Empire romain qu’il faudrait traiter. Après des siècles d’agonie, celui-ci laisse la place à divers territoires détenus par une nouvelle élite extérieure, d’aucun dirait « barbare ». Parmi ceux-ci, le nord-est de la Gaule gouverné par les Francs. Unifiés par Clovis, fils de Childéric et petit-fils de Mérovée, ils ne tardent pas à former un royaume indépendant. Acculturés à Rome, ces Germains vont adopter la religion de leurs administrés : la chrétienté. Marchant dans les pas de l’Empire déchu, la nouvelle dynastie royale des Mérovingiens n’aura de cesse de chercher à monter sur un trône laissé vacant. Pourtant, c’est une autre lignée qui parachèvera ce souhait : les Carolingiens.

Issus d’une famille noble franque, ceux-ci accèdent au pouvoir à la faveur d’un affaiblissement des rois d’alors. « Premiers ministres » (les maires du palais) avant l’heure, ils montent sur le trône grâce à un certain Pépin dit « le Bref » ou « le Pieux ». Son fils aîné, Charles le Grand dit « Charlemagne » deviendra ainsi « empereur romain d’Occident », régnant sur les actuelles France, Allemagne occidentale, Italie septentrionale, Belgique, Hollande, Luxembourg, Suisse, Autriche et Catalogne.

Perdue à la faveur des traditions patrimoniales, la couronne impériale n’aura de cesse d’être défendue par des rois qui se voient « empereurs en leur royaume » à l’image de Philippe II dit « Auguste », monarque capétien du XIIIème siècle. Ceux-ci n’hésiteront pas à s’opposer au Saint-Empire romain germanique, né des ruines fumantes de l’œuvre carolingienne, comme François Ier combattant Charles Quint ou le Roi-Soleil luttant dans les Pays-Bas espagnols et aspirant à la monarchie universelle.

Finalement, il faudra attendre une nouvelle dynastie, construite par elle-même et à la faveur de la fièvre révolutionnaire, celle des Bonaparte, pour rétablir la dignité impériale. Se voyant comme héritier de Charlemagne, le jeune Napoléon, général devenu empereur, va tenter une audacieuse synthèse historique, celle entre république et royauté. Abrogé par deux fois à la faveur d’une coalition européenne, l’Empire ne renaîtra qu’avec Napoléon III, dernier souverain de France.

À travers ces différents exemples historiques, il est possible d’affirmer que les monarques français ont toujours aspiré à la dignité impériale. Et même quand ceux-ci en étaient privés, force est de constater que c’est vers la « monarchie universelle » que leurs regards étaient tournés. Comment expliquer ce désir d’Empire ? Plusieurs éléments tendent à répondre à cette question. D’abord, il convient de rappeler que pendant longtemps, la France est demeurée la plus grande puissance militaire et politique d’Europe, amenant naturellement ses chefs à se considérer les héritiers légitimes des Césars. Ensuite, et ce jusqu’à l’orée du XXème siècle, le pays s’est maintenu comme le plus peuplé du Vieux-Continent. Ainsi, au cours du Grand-Siècle, le Royaume était fort de plus de 20 millions d’habitants, première puissance démographique européenne jusqu’à la Révolution où elle fut dépassée par la lointaine Russie. L’unification allemande puis la saignée des tranchées de Verdun finiront de reléguer la France au second plan. Il est compréhensif qu’un peuple aussi nombreux vienne à avoir des aspirations universalistes, en témoigne les politiques de Louis XIV comme de la Convention nationale.

Enfin, conséquence des deux points précédents, il faut noter que la culture française a joué un rôle fondamental dans la vision impériale de la France. Rapidement, la langue de Molière est parvenue à supplanter la noble langue latine, héritage direct et supposément immortel des Romains d’antan. À la fin du règne de Louis le Grand, les traités diplomatiques sont tous rédigés en français. Il en sera ainsi jusqu’à la paix de Versailles, au sortir de la Première Guerre mondiale.

De la féodalité à l’État-nation centralisé

Depuis la défaite finale d’Alésia, la Gaule romaine avait adopté les codes sociétaux de ses maîtres. La prise de pouvoir des Francs conduit à un changement politique majeur. Le clientélisme latin cède à la féodalité chevaleresque. De la succession patrimoniale aux possessions seigneuriales, les rapports interindividuels sont bouleversés avec cette nouvelle structuration pyramidale. Ducs, comtes et barons remplacent les patrons romains.

Pour autant, si les rois mérovingiens et carolingiens ont contribué à propager cette nouvelle organisation étatique, ils sont les premières victimes de la concurrence de leurs vassaux. Progressivement, les chefs de la France vont voir leur puissance s’affaiblir. À la mort du dernier carolingien, les Grands du Royaume vont ainsi élire le descendant d’une famille de héros s’étant illustrés face aux Vikings : Hugues Capet. Duc de France et comte de Paris, il est choisi pour sa faiblesse territoriale, non pour sa force.

Commence alors un long processus d’habile centralisation de la part de la dynastie capétienne. Les rois de Paris ne supportent pas la supériorité irritable de leurs vassaux. Pendant des siècles, de Hugues Capet à Henri IV, les monarques français vont user de trois stratagèmes pour agrandir leur domaine personnel jusqu’à le confondre avec les frontières du royaume : le recours au droit féodal, les alliances matrimoniales et les achats territoriaux.

La première stratégie s’illustre par les confiscations des duchés de Normandie et d’Aquitaine au cours des guerres franco-anglaises du Moyen-Âge, destinées à punir les actes de félonie à savoir la désobéissance d’un vassal envers son suzerain, ici le roi de France. Par le mariage, de nombreux territoires vont être annexés à l’image des duchés de Bourgogne et de Bretagne. Enfin, certaines terres vont être simplement achetées, en témoigne le rattachement des comtés d’Angoulême, Chartres ou encore Auxerre ainsi que de la seigneurie de Montpellier.

Commencée par le premier roi capétien, cette doctrine royale s’achèvera avec le dernier monarque national : l’empereur Napoléon III qui obtiendra l’annexion de la Savoie et du comté de Nice à la faveur de l’unification italienne. Dans le même temps, la féodalité franque aura laissé sa place à un État-nation central incarné par la figure quasi-messianique du roi de France, lieutenant de Dieu sur Terre et juge suprême des hommes en son royaume. Cependant, il faudra attendre la Révolution et l’œuvre jacobine républicaine pour voir le songe capétien s’achever : une nation une et indivisible soumise à des lois uniformément appliquées et respectées.

Quelle place pour la royauté ?

Malgré son œuvre étatique millénaire, la royauté faillit. Confrontée à une Révolution insaisissable, la monarchie se montra incapable de se réformer. En l’espace de quelques années, la France entrait dans le cercle fermé des pays régicides, siégeant aux côtés de l’Angleterre cromwellienne. Abolie par la Convention nationale, la monarchie française renaît paradoxalement grâce au général républicain Bonaparte, avide d’ordre public. L’Empire, par bien des aspects, inaugure une tentative historique de synthèse constitutionnelle entre la Révolution et l’Ancien Régime, synthèse de laquelle sera issus le Second Empire napoléonien et la Cinquième République gaullienne.

Pour autant, et à cause des coalitions européennes successives pour dégrader la France de son hégémonie continentale, l’Empire subira les foudres d’un monarchisme traditionnel qui ne verra en Napoléon qu’un « usurpateur ». S’ajoute à cela une deuxième révolution qui divisera profondément les royalistes entre partisans des Capets-Bourbons (les légitimistes) et ceux des Capet-Bourbons-Orléans (les orléanistes). Toutes ces scissions et dissensions parachèveront la chute finale des idées monarchiques, entre hécatombe impériale sous Napoléon III et impossible union des Droites aux balbutiements de la Troisième République. Ne subsiste alors que quelques groupements minoritaires, comme l’Action française, pour défendre une éventuelle restauration.

Mais l’héritage des rois de France n’est pas perdu à jamais. La Cinquième République, fondée par le général De Gaulle, se veut, à l’instar de l’Empire napoléonien, une synthèse démocratique entre les idéaux de la Révolution et les traditions de l’Ancien Régime de sorte qu’elle est régulièrement qualifiée de « monarchie républicaine »…

Conclusion

La royauté a fait la France. Pendant plus d’un millénaire et demi, elle a instillé dans le cœur et l’esprit des Français cette pensée centralisatrice, moderne, universelle et impériale. La redécouverte des monarques nationaux est, comme il a été possible de le constater, un prérequis à toute compréhension, analyse ou appréhension de la question politique, institutionnelle, économique et même sociale de la France contemporaine. La France n’est pas seulement née de la Bastille mais bien des champs de Tolbiac, Bouvines, Castillon, Denain ou Fontenoy. Le roi Louis rendant la justice sous un chêne a autant contribué à l’édification de la nation française que les Révolutionnaires de la Convention et les Poilus de Verdun.

Sources :

Histoire de France, Jules Michelet (1833-1841)

Histoire de France, Jacques Bainville (1924)

Histoire du XIXe siècle, S. Berstein et P. Milza (2001)

Histoire de France, des origines à nos jours, Georges Duby (2007)

Histoire de la France au XXe siècle, S. Berstein et P. Milza (2009)