Du miracle au mirage, le rôle trouble de la Banque centrale du Japon

 
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L’entrée du Japon dans la seconde Guerre Mondiale ne doit rien au hasard. Depuis des années déjà l’empire du soleil levant se prépare à un conflit d’ampleur mondiale. Afin de maximiser ses chances et de prendre le contrôle de l’océan Pacifique, le pays sait qu’il doit être prêt à s’engager, lui et sa population, dans un conflit de plusieurs années. Un de ses principaux problèmes est son territoire et son agriculture. Tel l’URSS et l’Ukraine, le Japon doit se trouver un grenier. Dès 1905 il colonise la Corée et lui extorque une très grande partie de sa production agricole. En 1937 il attaque la Chine et soumet l’empire du Milieu. Malgré ces préparations, l’empereur ne peut rivaliser face à la puissance américaine et doit signer sa capitulation le 2 septembre 1945. Le fils d’Amaterasu (déesse du soleil dans la religion shintoïste, et mère directe de l’empereur selon la légende) ne peut qu’accepter les conditions américaines, comprenant la perte de son caractère divin et la tutelle politique et économique imposée, notamment par la général MacArthur.

Cette domination s’exprime, entre autres, à travers l’absence de choix donnés par les américains aux japonais concernant la nomination des gouverneurs de la banque centrale du Japon (BOJ). Mais le Japon est loin d’avoir abandonné sa souveraineté économique. En effet sa banque centrale jouit d’un rôle majeur. Instauré sous l’ère Meiji en 1882, son rôle premier est la création de monnaie, le Yen, au nom du gouvernement. Pendant la seconde Guerre Mondiale, la BOJ utilise ses prérogatives pour encadrer les crédits accordés par les banques : durée, montant, secteur industriel à privilégier ou abandonner… La fin de la guerre ne change qu’une chose : au lieu de produire des armes, les industries japonaises produisent des biens de consommation. Afin de s’organiser efficacement, des cartels se créent en fonction des marchés. La BOJ décide de racheter les créances douteuses acquises par les banques japonaises, ce qui a pour effet de les transformer en actifs ayants de la valeur et ainsi de permettre aux banques de se relancer. Banques et entreprises travaillent ensemble afin de développer l’économie du pays. Comme nous le verrons dans notre troisième article, une concurrence saine tente d’être respecté dans le pays, et une fois la frontière passé les entreprises nippones travaillent ensemble pour conquérir le plus de marché étrangers possibles.

En 1965 l’État nippon émet ses premières obligations. Les japonais et les institutions sont invités à soutenir leur économie en achetant massivement ces obligations, la BOJ répond plus que présente à cet appel. Le Japon devient un exemple à suivre, le pays réussit à bien plus que se relever, il devient même menaçant pour certains acteurs. En effet, son marché national est dominé par des nationaux, alors que ses entreprises n’hésitent pas à tenter leurs chances à l’étranger. Le porte étendard du capitalisme, les États-Unis, ne le supporte plus : le Japon doit devenir une économie de marché, et laisser la concurrence faire son œuvre à l’étranger comme sur son territoire. En 1986 une réforme est proposée. Mais afin que cette dernière puisse être appliquée, de nombreux responsables estiment qu’une crise est nécessaire avant de pouvoir engager les changements structurels souhaités.

La meilleure façon de provoquer une crise est de créer une bulle financière : un actif ou un secteur (en l’occurrence l’immobilier) subit un très forte hausse, cette dernière attire de nouveaux investisseurs, petit à petit les flux financiers deviennent complètement déconnectés de la réalité. Pour nourrir cette bulle, la BOJ incita massivement les banques japonaises à accorder toujours plus de prêt assortis de délais toujours plus longs. Les exemples tirés du libre Les Princes du yen de Richard Werner sont édifiants : entre 1985 et 1989 le prix du foncier (prix des terrains) a augmenter de 245 % ! Les jardins du palais impérial avaient atteints une valeur semblable à celle de toute la Californie ! Durant cette période l’entreprise Nissan gagna davantage d’argent grâce à son fond de spéculation qu’à la vente de voiture ! C’est ainsi que les investissements japonais à l’étranger connurent une explosion : négatif de l’ordre de 2 milliards de yen en 1980, ils atteignirent 132 milliards en 1986 ! 75 % des obligations émises par les USA furent achetées par des japonais lors de cette même année.  

Trois ans plus tard, Yasushi Mieno est nommé gouverneur de la BOJ. Il décide de mettre fin à cette hausse en incitant les banques à restreindre leurs conditions et leur montant de crédit. Mais face à la baisse des crédits accordés et pour soutenir l’économie, la BOJ crée massivement de la monnaie. Forcément cela entraîne une dévaluation du yen face au dollar. Toujours dans l’objectif de réformer structurellement l’économie nippone, la BOJ entretient la récession. Fatalement un acteur est mis à contribution pour éponger les dettes accumulées des créances douteuses : le peuple. Les années 90 voient des manifestations se produire, le rôle de BOJ est petit à petit mis à jour.

L’incroyable essor de l’économie japonaise n’est pas, contrairement à ce que de nombreux livres font croire, dû au salarié japonais et à sa discipline de fer incarnée notamment par le toyotisme. Cette forme de management n’est en rien un miracle. La BOJ et les acteurs économiques nippons ont créé un monde déconnecté de la réalité, un mirage. Mais cette formidable envolé n’a pu être possible qu’à l’aide d’une incroyable volonté de coordination, notamment sur les marchés étrangers.

Afin d’assurer l’hégémonie de ses entreprises au-delà de ses frontières, le Japon dispose d’une arme redoutable et enviée par de nombreux pays : la Japan external Trade Organization (JETRO).

 

 

Sources :

https://www.franceculture.fr/geopolitique/depuis-1945-limpossible-reconciliation-entre-coree-et-japon

https://mythologica.fr/japon/amaterasu.htm

https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-bilan-de-la-banque-centrale-japonaise-a-depasse-le-pib-du-pays-147293

https://www.youtube.com/results?search_query=les+princes+du+yen

https://www.boj.or.jp/en/index.htm/

https://labourseauquotidien.fr/banque-centrale-japon-a-fonde-politique-monetaire-sur-mensonge/

https://www.lafinancepourtous.com/pratique/placements/obligations/qu-est-ce-qu-une-obligation/

https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/crise-financiere/mecanique-des-crises/bulle-financiere/