L’impasse électorale des démocraties parlementaires : le cas israélien

 
L’assemblée législative israélienne, la Knesset.

L’assemblée législative israélienne, la Knesset.

 

Auteurs : Jean et Gaal Dornick

RECAPITULATIF DE LA SITUATION ISRAELIENNE

La situation politique israélienne constitue un excellent exemple de la paralysie à laquelle peuvent aboutir les régimes démocratiques parlementaires. Revenons brièvement sur les évènements qui ont conduit à cet imbroglio qui dure depuis un an.

Le 9 avril 2019 se sont tenues des élections générales en Israël visant à renouveler l’assemblée législative (la Knesset) arrivée au terme de son mandat de 4 ans. Ces élections ont donné lieu à un certain nombre de tensions politiques dues au long mandat (10 ans soit plus de deux législatures complètes) du controversé premier ministre Benjamin Netanyahu, président du Likoud. Accusé de corruption, celui-ci comptait vraisemblablement sur une réélection ainsi qu’une loi en cours d’examen pour éviter d’être traduit en justice. Au terme de ces élections, la coalition de droite menée par le Likoud semblait avoir une majorité de sièges à la Knesset, qui lui permettrait de former un gouvernement. C’était sans compter les divisions propres à la droite israélienne, entre les partis laïques et religieux ultra-orthodoxes. A cause de cette dissension, il a manqué à la coalition de Netanyahu les quelques sièges nécessaires à une majorité parlementaire. Cette situation a conduit à une nouvelle élection législative en septembre dernier.

Cependant, le statu quo a été maintenu : le partie Bleu et Blanc (centre) et son champion Benny Gantz (ancien chef d’état-major de Tsahal) a obtenu le plus de sièges mais la coalition de gauche qu’il mène possède moins de sièges que la coalition de droite emmenée par le Likoud. Aucune des deux formations n’a de majorité à la Knesset car au milieu de ce chaos se tient Israel Beytenou(1), un parti de droite nationaliste mené par Avigdor Lieberman. Celui-ci refuse une alliance avec les partis religieux ultra-orthodoxes (appartenant à la coalition du Likoud) ainsi qu’avec les députés arabes israéliens(2) (membres à la coalition Bleu et Blanc).

Face à cette impasse, le président israélien Reuven Rivlin a tout d’abord demandé à Netanyahu de constituer un gouvernement. Devant son incapacité à réunir une coalition de droite majoritaire, celui-ci a remis son mandat au président qui a alors chargé Gantz de faire de même. Cependant, au vu des rapports de force il était très improbable qu’une coalition majoritaire de centre gauche ou de droite puisse se former.

Les électeurs ont ainsi été une nouvelle fois convoqués aux urnes début mars pour apporter une solution que beaucoup n’espéraient plus. Et les résultats n’ont pas créé la surprise : si le Likoud est le premier parti d’Israël avec 37 sièges, il ne peut toujours pas obtenir de majorité à la Knesset sans le soutien de Israel Beytenou. Par conséquent, c’est à Gantz qu’est revenue la charge de former un gouvernement, celui-ci ayant reçu le soutien de 61 députés. S’il y parvient, voir la droite nationaliste israélienne siéger avec les députés arabes dans un gouvernement mené par un ancien général sera pour sûr un fait insolite dans l’histoire politique du pays.

LES ECUEILS DU SYSTEME PARLEMENTAIRE ISRAELIEN

La forme politique de l’Etat d’Israël est une république parlementaire, ce qui signifie que le gouvernement qui exerce le pouvoir exécutif est composé de membres du parlement, ce même parlement exerçant le pouvoir législatif. A ce titre, le chef de l’Etat n’a pas de réel pouvoir, celui-ci étant entre les mains du chef du gouvernement. Cela implique que les élections législatives en Israël constituent la seule voie de désignations des responsables politiques à l’échelle nationale. Ajoutons à cela que le mode d’élection en Israël est un système proportionnel, c’est-à-dire que les sièges à la Knesset sont attribués aux différents partis selon le pourcentage de votes qu’ils ont recueilli lors des élections. Ce mode de scrutin permet aux différents groupes qui composent la société israélienne d’être représentés à la Knesset, plus particulièrement la part d’arabes israéliens.

Le principal inconvénient du système politique israélien réside dans sa dépendance envers la composition de la Knesset et la faiblesse des coalitions parlementaires qui s’y forment. La grande diversité des partis politiques présents en Israël oblige les gouvernements à composer avec plusieurs objectifs politiques différents voire contradictoires et il n’est pas rare que la Knesset soit dissoute avant le terme du mandat des parlementaires (qui est de quatre ans). Cette multiplicité des partis reste nécessaire pour ne pas briser la cohésion nationale d’un pays qui est en guerre depuis sa création en 1948. Il apparaît néanmoins que les petits partis profitent bien plus de ce système que les formations les plus importantes. En effet, étant indispensables à la formation ou au maintien des coalitions parlementaires, ils ont la capacité de forcer l’acception de leur point de vue au détriment de la majorité de la population. Cet état de fait participe à une fracture entre les différentes classes sociales israéliennes (nationalistes laïques, juifs ultra-orthodoxes, socialistes, minorités arabes …).

En définitive, la politique israélienne pâtit de la jeunesse de l’Etat israélien et des différents corps qui composent son tissu social. L’histoire nous dira si cette situation a porté préjudice à Israël dans la gestion de la crise sanitaire qui touche le pays.

COMMENT LA FRANCE S’EST-ELLE PREMUNIE CONTRE CE GENRE D’IMPASSE

La France a connu des périodes de forte instabilité politique sous les IIIe et IVe Républiques qui avaient un système parlementaire proche du système israélien actuel. Cependant sous le régime actuel de la Ve République, les institutions ne peuvent connaître un blocage pareil. Cela est principalement dû à deux facteurs que sont l’élection au suffrage direct d’un président assumant la fonction de chef du gouvernement et l’apparition du fait majoritaire.

Notons en aparté que l’institution d’un scrutin uninominal à deux tours pour l’élection législative a fortement restreint la diversité des partis politiques en France et ainsi mené au bipartisme que nous avons connu pendant cinquante ans. Un tel procédé permet de s’affranchir d’une politique d’alliances parlementaires hétéroclites qui volent en éclat au premier revers. Cependant un observateur avisé objectera que sous la IIIe, le scrutin législatif n’était pas proportionnel, ce qui n’a pour autant pas empêché d’assister à une valse des gouvernements pendant près de 70 ans.

C’est en effet l’instauration d’un pouvoir exécutif fort, en la fonction du président de la République telle que l’a voulu De Gaulle, qui permet à la France de se garder de l’instabilité politique. Si le Président partage avec son gouvernement le pouvoir exécutif, il assure une continuité car il n’est lui-même pas soumis aux mêmes contraintes vis-à-vis du Parlement. Le gouvernement peut en effet être dissous sous le coup d’une motion de censure mais la seule motion qui ait aboutie sous la Ve République a menée à la dissolution de l’Assemblée par De Gaulle. Il faut noter malgré tout que les motions de censure déposées à l’encontre du gouvernement depuis 1958 ont été nombreuses (111 à l’heure où cet article est écrit), mais jamais encore la procédure de destitution du Président n’a été utilisée. Ce serait en effet une manœuvre politique très hasardeuse puisque le Président dispose d’une légitimité accrue par son élection au suffrage universel direct.

L’apparition du fait majoritaire, c’est-à-dire la concordance entre la couleur politique de la Présidence et du Parlement participe également à la grande stabilité de l’exécutif français. En effet, après les périodes de cohabitation des années 80 et 90 où le pouvoir exécutif était en guerre contre lui-même, Jacques Chirac a institué le quinquennat et dissous l’Assemblée de manière à faire concorder les dates des élections présidentielles et législatives. Si la manœuvre est discutable puisqu’elle altère la cohérence de la politique française sur le long terme et fragilise le principe de séparation des pouvoirs, elle permet au moins d’assurer une unité du pouvoir exécutif.

Pour se prémunir à la situation politique de l’état d’Israël, l’instauration d’un pouvoir exécutif fort est un bon moyen mais il ne faudrait pas pour autant le porter au pinacle : ce système présente des limites qui pourraient lui être fatales.

(1) Israel Beytenou : Parti israélien de droite nationaliste qui a pour objectif de représenter les juifs d’origine russe et les populations qui ont migré en Israël après la chute du bloc soviétique.

(2) Arabe israélien : se dit de la population arabe qui réside sur le territoire de l’Etat d’Israël tel qu’il a été reconnu par la communauté internationale.

 

Sources :

Constitution du 4 octobre 1958 | Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006071194.

Rivlin va charger Gantz de former le gouvernement. | Times of Israel https://fr.timesofisrael.com/rivlin-va-charger-gantz-de-former-le-gouvernement/.

Third election leaves an ominous impasse | The Jerusalem Post | JPost.com, https://www.jpost.com/Jerusalem-Report/Third-election-leaves-an-ominous-impasse-620675.

Motions de censure (art 49, al.2) - Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/engagements-49-2.asp.

Motions de censure (art 49, al.3) - Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/engagements-49-3.asp.