EGYPTE-ETHIOPIE, LA DIPLOMATIE AU SERVICE DE L’EAU

 
Construction a 66% du Barrage de la Renaissance Ethiopien - Construction Review Online

Construction a 66% du Barrage de la Renaissance Ethiopien - Construction Review Online

 

À la frontière entre l’Ethiopie et le Soudan, depuis avril 2011, se construit le barrage de la renaissance, le plus grand barrage d’Afrique. Ce dernier fait 170 mètres de haut, 2 kilomètres de large et comprend un lac réservoir immense d’une capacité de 83 km2, soit l’équivalant d’une crue complète du Nil. Un projet titanesque estimé à 4 milliards d’euros entreprit par l’Ethiopie et sur lequel repose une grande partie de l’avenir économique du pays. C’est à une entreprise italienne qu’a été confié ce chantier et la puissance du barrage devrait être celle de 6 centrales nucléaires. L’Ethiopie joue gros mais cet investissement lui permettrait de gagner son indépendance énergétique. Aujourd’hui, le chantier a pris un retard de plusieurs années sur le programme initiale. Principale obstacle : l’Ethiopie doit financer seul son barrage car aucune institution internationale n’a voulu apporter son aide au pays, le projet étant fortement contesté. L’Egypte est la première concernée, dépendant à 98 % des eaux du Nil pour son agriculture et l’adduction en eau potable. 

TENSION EGYPTE-ETHIOPIE

L’Afrique du Nord-Est est une région sèche et aride, où l’eau est précieuse et les tensions fortes. La situation entre l’Egypte et l’Ethiopie illustre parfaitement les problèmes de la zone, problèmes bien souvent dû à l’eau. Il faut dire que l’acharnement des deux est justifié car il est question du Nil. Ce fleuve de plus de 6700 km de long est l’un des plus grands du monde et absolument vitale pour de nombreux pays tel que L’Egypte, le Soudan ou l’Ethiopie. Le rapport des deux pays au Nil est donc important. Les eaux du Nil proviennent essentiellement des hautes terres d’Afrique centrale (Ouganda, Kenya, Tanzanie) via le Nil blanc, et des hauts plateaux d’Ethiopie via le Nil bleue. A Khartoum, au Soudan, le Nil bleue rejoint le Nil blanc et ils forment alors le grand fleuve Nil qui va traverser les 1000 kilomètres du territoire égyptien. En d’autres termes, l’Ethiopie possède la plus grande source du fleuve. L’affluent éthiopien fournit effectivement 90 % de l’eau qui arrive en Egypte. Tandis que l’Egypte, elle, est située bien plus en aval et contrôle l’embouchure du Nil à la mer Méditerranée. Selon le traité de 1959 signé sous domination britannique, l’Egypte possède un droit de veto sur tous les travaux effectués qui pourraient modifier le débit du Nil. Mais pour les Etats en amont, ces accords sont considérés comme inéquitables. La situation est d’autant plus tendue que l’augmentation de la population est très rapide dans le bassin. Entre 1959 et aujourd’hui, elle est passée en Egypte de 26 à 98 millions, et en Ethiopie, de 24 à 109 millions. La construction du barrage inquiète fortement l’Egypte car il ne va pas seulement apporter à l’Ethiopie une nouvelle puissance économique, mais il va aussi lui donner le contrôle du Nil. L’Ethiopie aura alors une nouvelle arme diplomatique et politique redoutable, elle contrôlera le robinet du Nil. La tension autour de ce barrage est l’héritage de décennies de tensions entre les deux voisins. L’Egypte a toujours revendiqué une hégémonie sur le Nil, mais l’Ethiopie prône un droit total pour développer ses ressources naturelles et améliorer les conditions de vie de sa population. 

 VUE D’ETHIOPIE

Le barrage de la renaissance n’est pas le premier ni le seul d’Ethiopie sur les bras du Nil. En effet, la volonté de développer l'agriculture irriguée (quasi-inexistante), et le potentiel hydroélectrique d'un pays qui manque d'énergie, ont conduit le gouvernement d'Addis-Abeba à lancer la construction de nombreux barrages depuis 1995. L’hydroélectrique est primordial pour le pays : d’une part car les besoins en électricité de l'Éthiopie augmentent de 30 % par an, d’autre part car l'exportation de l'électricité produite par le nouveau barrage vers les pays voisins fournirait 730 millions d'euros par an à l’Ethiopie. Il faut savoir qu’actuellement elle importe plus qu'elle n'exporte. Mais l’avènement de ce barrage risque de prendre du temps. Le pays doit s’en remettre à sa seule population pour financer le chantier. Malgré une croissance économique exceptionnel autour de 10% depuis une décennie, plus d’un quart des éthiopiens vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Le gouvernement éthiopien a vivement encouragé les habitants pauvres ou riches, à faire des dons pour la construction du barrage. Si de nombreux citoyens sont prêt à un tel sacrifice, c’est que dans ce pays marqué par 30 ans de communisme, la pression de la société est énorme. Rare sont les voix discordantes, mais quelques habitants se plaignent de ce qu’ils caractérisent d’un racket déguisé de la part de l’Etat éthiopien. Peu d’entre eux osent s’exprimer en public car le régime ne tolère pas la contestation, en témoigne le nombre d’opposants disparus ou emprisonnés de façon arbitraire. Le barrage de la renaissance et son coût exorbitant font partis des sujets tabous du pays. Autre problème en amont du chantier, sur plus de 200 km, tout une zone va disparaître sous les eaux. Elle est aujourd’hui habitée par des milliers de personnes qu’il va falloir déplacer. Le gouvernement tente tant bien que mal de convaincre ces populations de quitter la région, moyennent compensation financière. Il garantit surtout l’accès à l’eau et l’électricité aux populations prochainement déplacés. Pour ces populations, le barrage de la renaissance est la fin de tout un monde. À ce jour, impossible de savoir combien de personnes ont été déplacés, ni combien d’argent a été récolté. Ce qui est certain, c’est que le projet pèse lourd sur la population d’un des pays les plus pauvres du continent africain. 

 VUE D’EGYPTE  

Pour prendre la mesure de cette crainte des Égyptiens d’être à la merci de l’Ethiopie, il suffit de se souvenir d’un des incidents diplomatiques les plus importants de ces dernières années entre ces deux pays. En 2013, les frères musulmans sont encore au pouvoir. Le président Mohamed Morsi est en réunion avec ses ministres, retransmise en directe à la télévision, mais à l’insu des ministres qui évoquent le barrage de la renaissance. L’un d’entre eux annonce que si l’option diplomatique ne permet pas de résoudre la situation, l’Egypte devra recourir à n’importe quelle autre option afin de protéger l’approvisionnement en eau du pays. La sécurité de l’eau est une question de vie ou de mort. Un autre évoque l’utilisation de services de sécurité afin de détruire le moindre barrage qui porte atteinte à la sécurité de l’eau en Egypte. La réunion est soudainement interrompue par le président annonçant à ses ministres que la scène est retransmise en directe dans tout le pays. Depuis cet incident, l’Egypte a présenté ses excuses et changé de gouvernement. L’Ethiopie, elle, a promis de ne pas abuser de ce futur pouvoir. Mais le Caire craint deux choses :  d’abord sur le court terme, si l’Ethiopie remplie le réservoir du barrage trop rapidement, mécaniquement, le débit de l’eau en avale sera réduit, donc la quantité d’eau reçu par l’Egypte sera moindre. Le Caire souhaite donc un remplissage plus lent étalé sur 7 ans. D’autant plus que le climat apporte aussi son lot d’inquiétude avec d’éventuelles périodes de sécheresses. Ensuite, L’Egypte craint que le barrage réduise la quantité d’eau qui lui parvient en continue à cause de l’évaporation de l’eau dans le réservoir, ce qui explique la position agressive du pays. Le sujet est fréquemment abordé dans le pays notamment lors de la campagne présidentielle de mars 2018. Il y a même un passage à ce sujet dans la nouvelle constitution de 2014. Pour autant chaque fois qu’une étude est faite, l’un ou l’autre pays remet en cause les résultats. En mai 2018, les 3 gouvernements (avec le Soudan) avaient acceptés de former un panel d’experts pour faire des études, mais là encore, on note peu de progrès. Pour l’instant la position éthiopienne est plutôt intransigeante. En effet, l’Egypte a proposé d’étaler le remplissage du réservoir sur 7 ans, entraînant un refus. Elle a ensuite voulu envoyer des ingénieurs pour surveiller le chantier, refus de la part de l’Ethiopie. Elle a souhaité qu’un parti Tiers face une médiation (notamment les Etats-Unis), encore refusé. Mais durant le sommet Russie-Afrique, Moscou a proposé de faire l’intermédiaire, les Etats-Unis aussi en invitant les deux pays à Washington. En Russie, le président égyptien et le premier ministre éthiopien se sont parlé et ce dernier a ensuite déclaré que les médiations extérieures étaient bienvenues. Il y a donc là un début d’assouplissement même si l’Ethiopie reste ferme, et l’Egypte, toujours craintive. 

 

Sources : 

Observatoire des Enjeux Politiques et Sécuritaires dans la Corne de l’Afrique : (officiel) http://www.defense.gouv.fr/content/download/482730/7731031/version/1/file/OBS_Corne+Afrique_201604-Hydropolitique+du+Nil.pdf 

Le Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/30/barrage-sur-le-nil-l-ethiopie-le-soudan-et-l-egypte-se-rencontreront-le-6-novembre-a-washington_6017418_3212.html 

Rfi Afrique ; http://www.rfi.fr/afrique/20191007-ethiopie-soudan-egypte-barrage-renaissance-echec-negociations 

France 24 : https://www.france24.com/fr/20191007-barrage-nil-egypte-echecs-negociations-ethiopie-mediation-internationale 

France info : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/soudan/la-tentation-du-nil-les-clefs-de-la-tension-entre-lethiopie-et-legypte_3055285.html 

Info Guerre : https://infoguerre.fr/2019/01/lhydro-guerre-corne-de-lafrique-confrontation-entre-lethiopie-soudan-legypte/ 

BBC news : https://www.bbc.com/afrique/region-42741455 

Zone militaire : http://www.opex360.com/2018/01/16/guerre-entre-legypte-soudan-lethiopie-a-craindre/ 

Le figaro : https://www.lefigaro.fr/international/2013/06/20/01003-20130620ARTFIG00686-l-egypte-et-l-ethiopie-se-disputent-les-eaux-du-nil.php 

Sputnik news : https://fr.sputniknews.com/international/201711281034083288-tensions-egypte-ethiopie/ 

Le Monde diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/nil