Histoire des religions (2/3)

 
La Mort sur un Cheval Pâle - Benjamin West, 1796

La Mort sur un Cheval Pâle - Benjamin West, 1796

 

La naissance du monothéisme en Occident

Le dernier millénaire précédant l’ère chrétienne est d’une richesse religieuse rare. Alors que les grands empires se développent (Égypte, Perse, Grèce, Carthage, Rome…), les religions polythéistes – qui sont alors la norme – se codifient et surtout se simplifient. En Égypte, le panthéon devient plus simple et les représentations animales déclinent. Mais évolution la plus notable, la religion se personnalise tandis que le monde politique se sépare toujours plus des différents clergés. Chacun possède ses idoles et les prient dans leurs foyers. De plus en plus déconnectés de leur ascendance divine, les rois perdent leur légitimité et le royaume sombre bientôt dans l’anarchie.

Parallèlement au déclin égyptien, deux nouvelles civilisations majeures voient le jour : la Perse et la Grèce. Sur les cendres de la Mésopotamie, l’Empire perse conquiert bientôt tout le Proche-Orient. Bien que polythéiste, cet État ancien commence à vouer un culte de plus en plus important à un seul de ses dieux, Ahura Mazda, sorte de roi du panthéon perse et figure tutélaire des monarques. En Grèce, une mythologie similaire à celle de l’ancienne Égypte – avec son panthéon, ses dieux nationaux et sa culture des enfers – se développe et s’impose bientôt dans toutes les cités de culture hellénistique.

Enfin, un dernier peuple provoque, au Proche-Orient, une révolution religieuse : les Israélites. Originaires de Palestine (pays de Canaan), ce peuple a progressivement abandonné le culte des dieux pour celui d’un dieu unique : Yahvé. À l’origine, ce dieu est celui de l’orage et de la fertilité, prenant parfois les traits du taureau. Comme Amon-Râ en Égypte, association politique des deux dieux principaux du pays, les Israélites disposent avec Yahvé d’une divinité principale chef d’un panthéon. Mais progressivement, symbole de la nation et du peuple israélien sous occupation étrangère, ce dieu devient unique. Le monothéisme abrahamique vient de naître, mais il n’en est encore qu’à ses débuts…

La Méditerranée du Ier millénaire est marquée par une diversité religieuse forte, accentuée par un polythéisme quasi-omniprésent. Rappelons d’ailleurs, s’il était nécessaire, que même en Égypte, dans les villes dédiées au culte d’une divinité principale, les autres dieux locaux et nationaux étaient tolérés et même adorés. Les différentes guerres s’apparent plus la conquête territoriale qu’aux conflits religieux qui sont assez rares. Les vainqueurs tolèrent la religion des vaincus, comme toujours dans un but de paix publique et sociale. Grecs puis Romains respectent voire assimilent les divinités des territoires conquis à l’instar d’Isis, déesse égyptienne majeure vénérée jusqu’à Pompéi sous l’Empire. Certains syncrétismes locaux voient également le jour comme Sarapis en Égypte ptolémaïque puis romaine avec un culte principal à Alexandrie.

 
Le judaïsme est la première religion abrahamique. Yahvé, devenu symbole d’unité nationale, va rapidement s’imposer pour ne plus être considéré que comme le seul et unique dieu.

Le judaïsme est la première religion abrahamique. Yahvé, devenu symbole d’unité nationale, va rapidement s’imposer pour ne plus être considéré que comme le seul et unique dieu.

 

Le christianisme, première religion mondiale ?

Tout change lors du premier siècle de l’ère impériale romaine. En Palestine, un juif du nom de Jésus, va développer ce qui s’apparente à une secte judaïque. Promouvant la tolérance, l’amour et la paix universelle, ce nouveau prophète va se heurter aux réactions négatives du culte juif ainsi que du pouvoir romain ne désirant aucun trouble dans cette région. En effet, du fait de la vénération d’un dieu unique et national, les Juifs s’opposent au culte impérial imposé par Rome. S’en suivent des insurrections fréquentes et une agitation perpétuelle. Jésus est condamné à mort pour pacifier la Palestine. Mais les conséquences seront bien plus fatales pour les justiciers.

Quelques siècles après le sacrifice de celui qui prétendait être « fils de Dieu », la secte judaïque qu’il avait fondée se transforme en religion, se répandant à travers tout l’Empire comme une trainée de poudre. Menace pour l’ordre public car combattant le polythéisme à une échelle continentale, au moins de jure, le christianisme sera combattu de façon récurrente par les différents empereurs païens. Se voulant universel, a contrario du judaïsme qui doit se cantonner à une élite restreinte, le nouveau culte s’installe d’abord en Orient avant de se propager via les grandes places portuaires de la Méditerranée. Au-delà des frontières de l’Empire, l’adoration du Christ va atteindre l’Inde, la Mésopotamie, la Perse ou encore le Caucase (Géorgie, Arménie…).

Chose notable, le christianisme prend majoritairement pied dans les grands centres urbains tandis que les campagnes restent attachées aux mythes de leurs ancêtres. Jusqu’au début du Moyen-Âge, il reste la religion des élites dans la presque totalité de ce qui était le territoire impérial. Plus encore, son rang de culte officiel, adopté par l’empereur Constantin au IVème siècle, est plus un outil de pouvoir qu’une conversion sincère. En effet, en se plaçant sous la bénédiction d’un Dieu absolu, les empereurs pensent augmenter leur légitimité et leur autorité de la même manière. Mais il est déjà trop tard et l’Occident s’effondre.

Pourtant, le christianisme en tant qu’outil de pouvoir va trouver un second souffle auprès des nouveau chefs d’Europe occidentale comme Clovis, roi des Francs qui se convertit afin d’assurer son acceptation par les élites gallo-romaines encore en place. Il est couramment admis que l’Europe est entièrement christianisée lorsqu’elle entre dans le Moyen-Âge. Néanmoins, cette conversion ne concerne que des élites qui voient dans ce dieu unique et absolu un relais de leur propre pouvoir temporel. Ainsi, derrière ce succès apparent de la « première religion universelle » se trouve une réalité bien plus complexe avec des élites voulant renforcer leur autorité en des temps chaotiques.

 
D’abord à vocation universelle et pacifique, le christianisme ne tarde pas à devenir un outil au service d’élites en quête d’autorité et de légitimité politique.

D’abord à vocation universelle et pacifique, le christianisme ne tarde pas à devenir un outil au service d’élites en quête d’autorité et de légitimité politique.

 

L’islam, une religion de conquête et de puissance

Malgré une conversion continentale en demi-teinte, le christianisme est, à l’aube du VIIème siècle, la religion majoritaire dans l’Europe post-romaine. Grâce à une politique religieuse d’assimilation plus ou moins vigoureuse allant du syncrétisme (les saints, anges et archanges) à la conversion manu militari, les campagnes des principaux royaumes européens sont désormais acquises à la cause du Christ.

Alors que l’Europe panse ses plaies et se convertit au christianisme, un nouveau culte issu de l’Ancien Testament voit le jour au Moyen-Orient : l’islam. En Arabie, dans la cité de la Mecque, un marchand du nom de Mahomet, sans doute inspiré par les religions chrétiennes et juives avec lesquelles il a pu commercer, tente de convertir la population à la religion dont il se prétend le dernier des prophètes. Combattu par l’élite locale attachée à son polythéisme, il s’exile loin de sa ville pour trouver refuge dans les tribus arabes du nord-est. Parvenant à unifier ces dernières, il vit de pillages de caravanes avant que la situation ne dégénère en guerre ouverte avec la Mecque. Finalement, c’est toute l’Arabie qu’il va unifier sous sa loi et sa foi. Dès lors le fondement de la nouvelle religion musulmane sera le Coran qui cumule les fonctions juridiques, sociales et religieuses.

Forts de cette nouvelle puissance, les Arabes unis se lancent à la conquête des territoires alentours. Profitant des dissensions internes frappant les différents empires d’Orient, les Musulmans mettent la main sur des terres fertiles et riches comme la Mésopotamie, l’Égypte ou la Perse. Avec une rapidité fulgurante, un califat se met en place et dirige tout le Proche-Orient et Moyen-Orient. Partout, la nouvelle religion est imposée aux peuples conquis. Les territoires les plus rebelles se voient octroyés le droit de conserver leur croyance – monothéiste uniquement – à condition de devenir des citoyens de seconde zone : les « dhimmis ». Ce sera le cas en Espagne (Al-Andalus), sous occupation musulmane pendant six siècles. L’expansion rapide de ce nouvel empire politico-religieux inquiète une Europe à peine remise des troubles romains. Commence alors une cohabitation belliqueuse entre Chrétiens et Musulmans à travers toute la Méditerranée.

Une des particularités de la religion coranique est le contexte de sa création. Alors que le judaïsme apparaît comme l’élément fondateur de l’identité nationale juive et que le christianisme repose sur une volonté de démocratisation du monothéisme comme instrument de pouvoir et de contrôle social dans une époque troublée (sorte de retour à l’autorité étatique alors en déclin), l’islam est un instrument d’unité politique mais aussi de conquêtes militaires. C’est ainsi que va se répandre le concept de « guerre sainte » (Djihad), particulièrement prégnant dans cette religion.

 
Mahomet, fondateur de l’islam. Marchand, il semble qu’il ait importé en Arabie les principes des religions abrahamiques avec lesquelles il aurait commercé.

Mahomet, fondateur de l’islam. Marchand, il semble qu’il ait importé en Arabie les principes des religions abrahamiques avec lesquelles il aurait commercé.

 

Sources :

Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade (1949)

Mythes et Épopée I. II. & III., Georges Dumézil (1995)

The Bible Unearthed, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman (2001)

Curieuses histoires de la pensée. Quand l’homme inventait des religions, Jean Baudet (2011)

Les Religions. Des origines au IIIe millénaire, Collectif (2017)