La bataille de Bouvines  : ce qui fait une Nation

 
La Bataille de Bouvines - Horace Vernet - 1827

La Bataille de Bouvines - Horace Vernet - 1827

 

Qu’est-ce qui fait une Nation ? Une langue, une culture, une façon commune de voir le monde ? L’acceptation habituelle de « nation » est un regroupement de personnes qui s’identifient à un ensemble immatériel commun. En somme, une nation, c’est une personne morale à défaut d’être une personne physique. Si beaucoup font remonter les origines des nations à la Révolution française, il convient de dire que le principe moderne de nation est né en 1648 à l’occasion du traité de Westphalie qui fonde l’idée « d’Etat-nation ». Dès lors, la nation est un sentiment d’appartenance commun à une communauté : la communauté nationale. Mais une nouvelle interrogation émerge : ce sentiment a-t-il pour origine un événement déclencheur ou est-ce simplement un processus de construction sur le long terme ? C’est à cette problématique que nous tâcherons de répondre en prenant le cas de la France.  

La France est un territoire situé sur l’ancienne Gaule romaine. Fortement romanisée, elle passe sous la tutelle de maîtres francs avant de devenir un royaume indépendant en 847 lors du partage de l’Empire de Charlemagne. Lorsqu’arrive sur le trône franc le comte de Paris Hugues Capet, la future France est un royaume féodal où le pouvoir royal central est faible et discrédité par les échecs des descendants de l’auguste empereur Charles. Pour autant, cette monarchie était-elle unie ? En 987, lorsque Hugues Capet devient roi des Francs, le royaume est divisé en cinq duchés souverains – Aquitaine, Normandie, Bourgogne, Gascogne et Bretagne - et une multitude de comtés tout autant souverains comme les comtés de Toulouse, de Flandre, d’Anjou ou encore de Blois. Outre les divisions politiques, le Royaume des Francs est scindé en deux par la langue : au nord, langue d’oïl plutôt germanisée et au sud, la langue d’oc, encore fortement latinisée. Les rapports sociaux y sont aussi différents ; ainsi le nord est marqué par la féodalité et la chevalerie franque tandis que le sud est caractérisé par un clientélisme romain encore fort : l’obéissance et la fidélité envers le suzerain y est sujet à caution… Mais au-delà d’une divergence nord/sud, la France compte en son sein des peuplements nordiques réunis en Normandie qui partagent des liens avec la Grande-Bretagne et la Scandinavie et qui pourraient obtenir des trônes puissants…  

Malgré cela, la future France apparaît quand même comme un pays fortement centralisé et homogène. Son statut de cœur de l’empire de Charlemagne a conduit à un lissage culturel important là où, par-delà le Rhin par exemple, des peuples sans lien commun autre que celui d’avoir été vaincus par Charlemagne cohabitent dans le même royaume. Même si les langues d’oc et d’oïl présentent des divergences, il est à noter que la base latine commune permet une compréhension réciproque et des échanges de tous types. En résumé, déjà dès l’origine, la France présentait des prédispositions à l’unité nationale. Mais cela n’est pas suffisant, loin de là.  

Moins de 200 ans après l’avènement de Hugues Capet, la France est en danger. Les Normands ont pris possession du Royaume d’Angleterre et menacent les intérêts royaux en refusant de rendre hommage à leur suzerain mais aussi pair. Un conflit s’engage entre le roi français Philippe II et le roi anglais Jean (Sans-Terre) dès 1204. Cette année-là, la Normandie et la vallée de la Loire, fiefs historiques des ducs de Normandie et rois d’Angleterre sont confisqués par Philippe à la suite d’une campagne victorieuse. Il ne reste à Jean que des terres aquitaines. Dix ans plus tard, ce dernier décide de se venger et monte une coalition européenne contre le Royaume de France.  

L’Angleterre, le Saint-Empire Romain Germanique (sorte de confédération allemande), et le comté de Flandre mènent la vie dure au roi français. Dans le nord de la France, dans la Flandre, le destin du pays va se jouer : sera-t-il anglais, unifié par Jean, ou restera-t-il français ? C’est à Bouvines que les deux armées se rencontrent. Philippe ne dispose que de 7 000 hommes contre les presque 10 000 hommes de la coalition. Piégées dans des bois et des marais, les forces européennes sont défaites par une armée française qui a pu gommer son infériorité numérique. La victoire est totale. Et les conséquences vont être sans commune mesure.  

En effet, la dynastie capétienne signe son premier fait d’armes royal et se positionne en juge, au-dessus des barons, comtes et ducs. Le retour du roi à Paris est triomphal et servira la propagande capétienne pendant des années. De plus, la bataille lance une dynamique centralisatrice : l’annexion de la Normandie et des terres du Val de Loire permet au domaine royal de s’étendre et de faire du roi, non seulement un monarque mais un grand seigneur. La victoire de Bouvines ouvrera la voie à l’annexion du comté de Toulouse suite à la croisade des Albigeois et confortera les rois de France en leur politique centralisatrice et unitaire. Parlant d’unité, la seule armée royale fait cas d’école puisqu’elle est formée de contingents venus des quatre coins du royaume : Bourguignons, Flamands, Picards, Bretons, etc, tous soumis à l’autorité suprême du roi. C’est bien l’événement fondateur du nationalisme français.  

Comment naît une nation ? Nous venons de démontrer que c’est face à l’adversité qu’une nation parvient à naître. Même si des éléments communs sont des prérequis appréciables, c’est bien la défense d’une cause commune contre un ennemi commun qui est l’élément fédérateur de toute nation. Et l’Histoire nous confirme cette thèse : les Américains ne se sont-ils pas soulevés contre la monarchie britannique pour fonder leur nation ? Les Allemands n’ont-ils pas eu à combattre les Français pour devenir un empire uni ? Les Anglais n’ont-ils pas eu à renoncer aux terres françaises lors de la guerre de Cent-Ans pour se recentrer et réaliser leur unité ? L’Histoire est emplie d’événements fédérateurs qui mettent en scène une communauté pré-nationale face à des ennemis communs. C’est d’ailleurs sans doute cela qui explique ce si fort nationalisme français, ce chauvinisme millénaire : carrefour de l’Europe, entourée d’ennemis, la France a toujours dû faire face, unie, pour vaincre et survivre. Voilà ce qui fait la France.