La légitimité du pouvoir politique en Occident (1/3)
Au milieu du XVIIème siècle, la France est ravagée par un soulèvement aristocratique : la Fronde. Les membres de l’insurrection nationale contestent la légitimité du pouvoir exercé par la régence depuis la mort de Louis XIII en 1643. La reine Anne et le cardinal de Mazarin exercent ensemble le gouvernement de la France en attendant la majorité du jeune Louis XIV. Cette rébellion, réprimée dans le sang, n’est pas un cas isolé. Malgré la force du sang comme du mérite, les pouvoirs politiques peuvent vaciller dès lors qu’une frange influente de la population vient à douter de sa légitimité.
Le mot légitimité nous vient de l’adjectif légitime, lui-même emprunté au latin legitimus ; ce qui est légal, fondé en droit et conforme à la loi, à la raison ou à l’équité – à plus forte raison, ce qui se justifie, qu’on peut admettre et excuser. Cependant, si la légitimité du pouvoir politique – c’est-à-dire son acceptation par les populations – tient des lois nationales, coutumières ou juridiques, comment en arrive-t-on à des contestations ? Au sein du monde occidental, empires, monarchies et républiques n’ont eu de cesse de chercher la plus grande légitimité possible de sorte que leur pouvoir sur les peuples, les administrés ou les citoyens, soit incontestable. Certaines institutions ont réussi là où d’autres, incapables de se justifier, ont disparu.
Comment le pouvoir politique parvient-il à se légitimer auprès des populations qu’il administre ? Et par quels mécanismes peut-il perdre tout légitimité jusqu’à disparaître ?
D’abord, il convient de brosser un portrait historique de la légitimité du pouvoir en Occident. Ensuite, d’examiner les causes qui mènent à l’illégitimité – c’est-à-dire un déficit de légitimité. Enfin, nous nous intéresserons à divers exemples de pays contemporains affichant une forte légitimité politique ainsi que d’autres qui, au contraire, en manquent cruellement.
Les différents mécanismes de légitimation du pouvoir en Occident
Au cours des millénaires, trois mécanismes de légitimation principaux ont été constatés. Le premier d’entre eux, est sans doute le plus ancien : l’autorité militaire. La guerre en tant que conflit armé entre groupes humains est consubstantiel de notre espèce – elle existe depuis toujours et disparaîtra avec nous. En Occident, c’est d’autant plus vrai que l’Europe a été un gigantesque champ de bataille pour les civilisations. La plus vieille guerre connue de l’humanité remonte vers 3150 av. EC*. Ce conflit a pour objet l’unification de l’Égypte par Narmer, premier pharaon historique et donc non-mythologique du pays. Celui-ci, roi de Haute-Égypte, impose son autorité militaire sur un territoire donné et fonde ainsi le premier État de l’histoire. Grâce aux exploits du prince comme de son armée, le pouvoir politique trouve sa légitimité dans la victoire militaire. Ce mécanisme est le plus rapide mais aussi le plus fragile. Quid d’une défaite qui vient fragiliser le monarque ? Et si un général de son armée se trouve plus victorieux ou compétent que lui ? L’exemple de l’empereur des Français Napoléon Ier illustre très bien cette fragilité du pouvoir politique dès lors que les défaites s’accumulent. Au sommet de sa gloire, Napoléon n’était pas contesté, ni en tant que monarque, ni en tant que chef de guerre. Après le bourbier espagnol et le terrible hiver russe, les institutions se sont retournées contre lui. Les fondements socio-culturels de cette légitimité trouvent leurs origines dans l’organisation traditionnelle des premières sociétés humaines. C’est la fameuse répartition en trois ordres des civilisations indo-européennes : ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores) – les guerriers appartenant à la deuxième catégorie étant destinés à protéger prêtres et travailleurs.
Ensuite, la légitimité peut venir de la religion. Ici, le terme n’est pas à considérer dans son acceptation contemporaine. Religion vient du latin religio – ce qui unit, relie un individu à un concept. Pour l’illustrer, prenons les rois de France qui, dès Clovis, fondent la légitimité de leur couronne sur le droit divin avec le baptême, le sacre mais surtout la bataille de Tolbiac (496). En priant le dieu chrétien de lui apporter la victoire en contrepartie d’une conversion religieuse, Clovis a ancré la légitimité de sa couronne dans la foi chrétienne – devenant le fils aîné de l’Église. Avant lui, un autre type de lien a permis de légitimer un pouvoir : l’hérédité. Sous la Rome impériale, par exemple, les empereurs pouvaient se succéder de père en fils, naturellement (Marc-Aurèle & Commode) ou par adoption (Auguste & Tibère). Les deux liens (droit divin et hérédité) ne sont pas incompatibles entre eux, en témoignent de nombreuses monarchies à travers le monde. Les origines de ce type de légitimation sont à chercher d’une part dans une certaine vision de la famille, ses vertus supposées et ses avantages en termes de stabilité à la succession, et d’autre part dans une association entre le pouvoir temporel qui se réclame du pouvoir spirituel (pharaons d’Égypte, rois de France, etc.).
Enfin, le dernier grand type de légitimation constaté à travers l’histoire est la légitimité contractuelle. Nous aurions pu dire démocratique ou électorale, mais c’est nier une partie importante de ce type de légitimité : la réciprocité. Avant l’imposition de l’hérédité au sein de la dynastie royale capétienne (à partir de Philippe II Auguste), les rois de France étaient élus par une assemblée de grands féodaux – les pairs de France. La papauté obéit toujours à ce système ainsi que les régimes républicains comme les États-Unis, la France ou encore l’Allemagne. Si le prince est élu par une assemblée qui lui confère la légitimité nécessaire à l’exercice du pouvoir, la dimension contractuelle s’impose rapidement à lui car il ne saurait exister de dévolution sans garanties : droits, devoirs, exigence de résultats, etc. C’est aujourd’hui, le fondement légitimateur des démocraties occidentales avec le suffrage comme mode de dévolution du pouvoir politique. Les origines de cette légitimation sont bien plus récentes que les deux autres types explicités précédemment. Ce modèle apparaît en Grèce antique avec l’essor du modèle des Cités-États comme Athènes. Il succède généralement à un pouvoir monarchique et s’impose à travers une aristocratie puissante comme ce fut le cas à Rome avec la République. L’idée de compromis comme alternative à l’anarchie y est omniprésente.
*av. EC = avant l’ère chrétienne